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cinéma"Je ne me reconnais pas dans la vision que le cinéma a des femmes" : Christa Théret, à l'affiche de "Conann"

Par Franck Finance-Madureira le 30/11/2023
Bertrand Mandico présente son film "Conann" au Festival de Cannes

Révélée par l’immense succès de LOLLa Boum des années 2000, Christa Théret, aujourd'hui 32 ans, est à l’affiche du dernier film de Bertrand Mandico, Conann, actuellement au cinéma. L'actrice se confie à têtu· sur son parcours et sa vision engagé du métier. 

Comment es-tu arrivée sur le film de Bertrand Mandico ? Tu connaissais son univers ? 

Je connaissais un peu ses films. J’avais vu Les Garçons sauvages et After Blue (Paradis Sale), que j'avais trouvés très originaux, et dans lesquels les comédiennes semblaient avoir une grande liberté. J’étais donc très heureuse de passer le casting.

La vision de la femme chez Mandico est plutôt originale. Comment avez-vous travaillé le rôle ?

J’ai pu profiter d’une liberté folle qui est en général réservée aux hommes, explorant le sarcasme, la folie, la solitude et une vraie sensation de pouvoir. J’ai aussi pu genrer mon Conann 25 [Conann à 25 ans, NDLR] au masculin ; j’avais un vrai besoin d’aller vers une certaine androgynie que je n’avais pas vraiment eu l’occasion d’explorer dans mes précédents films, et qui fait écho à qui je suis.

As-tu été surprise en visionnant le film lors de sa projection à la Quinzaine des cinéastes à Cannes ?

J’ai adoré découvrir le travail des autres comédiennes, qui sont incroyables, et aussi le travail sur la langue qui est toujours un peu déformée chez Mandico. En voyant le film, j'ai trouvé mon personnage très naïf, mais c'est aussi lié à son âge : il a 25 ans et croit en sa vengeance. Dès mon premier jour avec Bertrand, il m’a conseillé de penser à David Bowie ou à Alain Kan, un chanteur des années 80 que j’aime beaucoup. Ses références me parlaient tout à fait.

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À 17 ans, tu as endossé le rôle principal de LOL, de Lisa Azuelos avec Sophie Marceau, devenu un culte pour la jeunesse…

Oui, cela a été un énorme succès. Aujourd'hui, je pense que je suis plus au clair dans mes envies, notamment celle d’écrire des films. J’ai aussi besoin de faire des choix d’actrice plus engagés. En fait, j’ai reçu beaucoup de scénarios après LOL, mais j’ai surtout essayé d’aller vers des films qui me touchaient plus directement, des films indépendants, vers un cinéma plus proche de moi. J’aimerais aussi me rapprocher du théâtre, ce que je n’ai jamais fait et qui m’habite en ce moment. J’ai du refuser une belle proposition parce que je tournais une série pour France 2, La Corde.

Tu as fait, le 17 mai 2021 , un coming out discret en publiant sur instagram une photo de toi avec ta compagne, quelles ont été les réactions ? 

J’ai posté une photo avec mon amoureuse, Audrey, avec qui je suis toujours. Mais quand LOL est repassé à la télévision, j’ai reçu beaucoup d’attaques homophobes. Depuis, je suis passé en compte privé et je partage plutôt des travaux personnels à celles et ceux qui me suivent avec bienveillance.

"Aujourd’hui, on peut aussi aller vers des projets qui sortent du système, voire qui s’y opposent."

Tu te définis comme non-binaire, comment doit-on te genrer et comment ça se passe dans ton métier ?

Plutôt iel et au féminin. Je ne me reconnais pas dans la vision que le cinéma a des femmes, dans les sentiments qu’on leur associe. Cela ne me parle pas. Quand je lis, je m’identifie plutôt aux personnages d'hommes. Cela m’oblige aussi à faire des choix professionnels, comme m'éloigner des nombreux personnages féminins qui n’ont qu’une utilité, mettre en valeur le héros mâle. Et puis, il ne s’agit pas juste d’incarner un personnage mais de défendre un univers. Aujourd’hui, on peut aussi aller vers des projets qui sortent du système, voire qui s’y opposent. En tout cas, je suis fière de ceux auxquels je participe. 

Est-ce qu’il y a des rôles, des personnages que tu rêverais qu’on te propose ? 

J’adorerais incarner le rôle d’une femme homosexuelle en prison dans les années 80. Il y aurait aussi quelque chose à faire pour évoquer la prison Saint-Lazare, dont Zola parle dans L’Assommoir. Les femmes y étaient enfermées parce qu’anarchistes ou parce qu'elles participaient aux révoltes ouvrières. Cela serait une forme d’hommage que d’incarner une femme emprisonnée pour ses idées. 

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Crédit photo : UFO Distribution