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cinémaBertrand Mandico, réalisateur d'"After Blue" : "J’ai toujours voulu être une actrice"

Par Franck Finance-Madureira le 16/02/2022
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Avec son nouveau film After Blue (Paradis sale), Bertrand Mandico se range parmi les cinéastes queers les plus prometteurs et les plus engagés de la scène ciné. Rencontre.

Court-métragiste intrigant et ultra-créatif, Bertrand Mandico est un cas à part dans le cinéma français. Il l’a prouvé avec son premier long métrage Les Garçons sauvages qui mettait en scène une bande jeunes hommes (interprétées par des jeunes femmes) mis au ban de la société sur une île luxurieuse, hantée et enchantée qui s’attaquait aux attributs sexuels de ses occupants. Le film avait séduit par sa facture formelle, sorte de chaînon manquant entre un cinéma expressionniste au noir et blanc spectral et la fable queer façon Cocteau. Suivra le très beau court-métrage Ultra Pulpe, sélectionné par la Semaine de la critique à Cannes en 2018 et sorti en salles dans le programme Ultra Rêve aux côtés des sublimes Les Îles de Yann Gonzalez et After School Knife Fight du duo Caroline Poggi-Jonathan Vinel à l’été 2018.

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Son nouveau film, After Blue (Paradis sale), au cinéma ce mercredi 16 février, s’inscrit dans la droite ligne d’Ultra Pulpe, celle de la création d’un outre-monde, d’une planète refuge pour l’humanité où seules vivent des femmes, débarrassées des hommes pour l’éternité. Avec cette nouvelle épopée en forme de western post-apocalyptique crypto-lesbien, Bertrand Mandico creuse son sillon singulier : un cinéma opératique, mêlant science-fiction, non-binarité, camp et onirisme.

Bertrand Mandico, réalisateur d'"After Blue" : "J’ai toujours voulu être une actrice"
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Qu’est-ce qui a inspiré le monde post-apocalyptique d’After Blue ?

La première version de ce film date d'il y a 17 ans. C’était un western qui se passait en Amérique du Nord et le premier casting était opposé à celui du film puisqu’il était peuplé d’hommes et qu’il n’y avait qu’une seule femme. Les relations et desseins des personnages étaient quasiment les mêmes. Le casting initial devait comporter Guillaume Depardieu, Maurice Garrel et Katerina Golubeva, on a beaucoup travaillé mais ça a pris du temps, il y a eu des problèmes de production et ils sont sont tous les trois décédés. Après Les Garçons sauvages, en pensant au film suivant, ce projet est remonté à la surface et avec en tête l’une des dernières phrases des Garçons, "l’avenir est femme, l’avenir est sorcière". J'ai donc transposé le film dans un futur qui a une forte résonance avec les questions écologiques actuelles et inversé tout le casting, en donnant tous les rôles à des actrices sans modifier les personnages et les dialogues.

C’est de fait un prolongement des Garçons sauvages et cela permettait de déployer un univers de fantaisie pour parler de sujets qui me tiennent à cœur comme le rapport père-fils ou mère-fille, le rapport aux morts. Ce qui m’intéresse c’est d’être politique sans être frontal, d’évoquer le rapport de classes, la vie de la communauté, l’utopie d’un nouveau monde dans lequel on ne voudrait pas reproduire les mêmes erreurs que dans le nôtre. Mais des règles, des lois se mettent en place et deviennent un poison, ce Paradis est sale puisque empoisonné par des règles humaines, même si elles partent de bonnes intentions au départ. Le problème inhérent aux espèces vivantes c’est le rapport du dominant au dominé. Et il y a toute une dimension ésotérique et érotique qui m’intéresse vraiment. 

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Et une réelle dimension de recherche esthétique qui donne un peu l’impression de replonger dans le monde qui était au centre du film dans le film de votre court Ultra Pulpe...

C’est tout à fait ça. Je m’aperçois que les courts et les moyens métrages que je peux faire entre deux longs amorcent la fabrication du film suivant. Dans Ultra Pulpe, la créature incarnée par Vimala Pons était une ébauche de celles qui peuplent ce film. Mais, ici, le monde de science-fiction est très premier degré et plus du tout dans le registre de la parodie même s’il y a de l’ironie et de l’humour. Je suis dans une économie de film d’auteur qui fait que je devrais normalement filmer dans un café ou un appart donc je dois déployer une panoplie d’astuces pour qu’on puisse croire à cet autre monde sans qu’il soit pour autant kitsch. L’esthétique est outrancière mais complètement assumée, tout ce qui est sur la pellicule est vrai, il n’y a aucun travail sur l’image après le tournage.

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On est toujours dans vos films dans un registre qui oscille entre queer et camp, quelles sont vos influences dans ces domaines ?

Pour moi il y a forcément la présence de Johnny Guitare de Nicholas Ray (1954, ndlr), je ne sais pas s’il est considéré comme camp ou queer mais le personnage de Joan Crawford, très fort et qui se tient à l’avant-plan en fait pour moi un film queer très signifiant. Et puis il y a tout le cinéma de Werner Schroeter, son rapport à l’esthétique et sa façon de déployer des univers avec pas grand-chose, cet amour pour ses actrices. Mais il y aussi la lecture des Guérillères de Monique Wittig, qui est l’influence littéraire majeure et notable du film tout comme le travail plastique de Carolee Schneemann sur l’investissement du corps.

Vous filmez des femmes, des relations érotiques, est-ce que les questionnements actuels autour du regard masculin ou féminin, le fameux "gaze", font partie de votre réflexion ?

Je me questionne beaucoup là-dessus et, sans vouloir m’en sortir avec une pirouette, j’ai toujours voulu être une actrice. Je me vois comme une actrice quand je fais un film et en tenant la caméra, j’ai l’impression d’être une partenaire de jeu. C’est mon approche, c’est l’actrice qui est en moi qui parle. Il n’y a pas tant de nudité que ça dans le film à part le personnage de Kate Bush qui est spectral et habillé de sable et de paillettes. Le regard que je peux poser sur les actrices et la façon dont je les filme fait toujours l’objet de discussions approfondies avec elles. A partir des situations données, du cadre, ce sont elles qui fixent les limites et proposent des choses. C’est la même chose pour le choix des vêtements, c’est important qu’elles se sentent à l’aise, libres. 

Créer un monde de femmes dans lequel les hommes n’existent plus, qu’est-ce que cela raconte pour vous ?

Pour moi, c’est comme toujours un prétexte pour proposer à des actrices de jouer des personnages qu’on n’a pas l’habitude de leur proposer, c’est la volonté première. Et puis évidemment, il y a l'envie de créer un monde meilleur.

Bertrand Mandico, réalisateur d'"After Blue" : "J’ai toujours voulu être une actrice"
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La question de la fluidité sexuelle est aussi très présente, comme une redéfinition des codes de genre…

Je me sens sans frontières, non-binaire, très fluide et j’ai envie que ça transparaisse dans mes films. J'ai envie de montrer ce regard sur le monde, mon regard en fait,plutôt que ce qu’on voit dans la plupart des films. C’est une façon d’idéaliser sans oublier les aspérités. Il n'y a pas de roses sans épines !

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Vous travaillez depuis quelques temps sur un projet tentaculaire qui s’intitule Conan la barbare, peut-on en savoir un peu plus ? 

Cela se passe à nouveau dans un monde au féminin, il y a aussi un personnage qui est une sorte de double, un réalisateur devenu actrice !  C’était au départ une commande de Théâtre des Amandiers, cela me plaisait d’aller sur les traces de La Reine Margot de Chéreau que j’adore, et je voulais prendre un personnage de la pop culture très viriliste, donc Conan le barbare qui devenait Conan la barbare, un prétexte pour moi pour parler de la barbarie, de la vieillesse qui tue la jeunesse, et cela sur plusieurs décennies. Mais, suite à la crise du covid, cela est devenu un corpus de films. Un premier film expérimental et un court métrage ont été tournés aux Amandiers, un film de cinéma a été tourné cet automne et un quatrième film sera exploité en réalité virtuelle. C’est une expérience assez étrange et sans vraiment plus de budget que sur mes films précédents !

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Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir la filmographie singulière de Bertrand Mandico, elle est actuellement disponible sur la plateforme MUBI en France.

Crédit photo : Northlight