Deuxième roman de l'écrivain suisse Mathias Howald, Cousu pour toi nous plonge dans les années sida et la confection d'une mémoire des victimes.
Mathias Howald est entré en littérature en 2018 avec Hériter du silence, un premier roman d’introspection familiale amorcé pour faire le deuil d’un père taiseux parti trop tôt. L’enseignant qui est né, vit et travaille à Lausanne, creuse son sillon dans Cousu pour toi (éd. Gallimard, collection Scribes) où il brode, à nouveau, les thèmes du silence, du souvenir et de la transmission. Cette fois, c’est en empoignant celui du sida à l’échelle de son pays, en rappelant ce qu’a signifié le fait d’en mourir, d’en porter le deuil, de vivre avec le virus ou de “simplement” grandir avec son ombre, qu’il continue de dévider le même fil.
L’auteur a vécu son adolescence dans les années “nonante”, comme on dit en Suisse. En 1994, il a 15 ans. Deux ans plus tard, le début des trithérapies fera évoluer l’épidémie mortelle en maladie chronique, mais le VIH continue à faire peur, à afficher ses piquants en une des journaux ; les messages de prévention pavoisent les rues, les militants de Sidaction témoignent dans les classes, martèlent “qu’il suffit d’une fois”… Pas facile, alors, d’être un lycéen qui se sent attiré par les garçons et garde cette chose comme un secret sans s’en ouvrir à personne, ni à la bonne copine qui semble avoir deviné, ni à une famille où, de toute façon, on ne parle de rien. Pas évident, non, de savoir que faire de ce désir, a fortiori quand l’angoisse de mourir lui fait escorte.
Les patchworks au cœur du récit
Le récit croise le journal de bord – de l’adolescence à l’âge adulte – d’un narrateur qui pourrait bien ressembler à Mathias Howald et l’histoire d’Alexander, 25 ans, un garçon dévasté par la perte de Thomas, son compagnon. À travers ce personnage, le romancier vaudois ravive la mémoire d’un rituel inventé en Amérique en 1987, en hommage aux morts du sida. Car Alexander participe à l’un de ces ateliers où des familles, des amis brodent, décorent, peignent des rectangles de tissu en mémoire de leurs proches disparus, racontant ceux qu’ils étaient, ce qu’ils aimaient, rappelant la singularité de chaque existence face à l’implacable des statistiques.
Dans ce texte mosaïque, sensible et documenté, où s’entremêlent l’autofiction et l’imagination, la plume met autant de cœur à l’ouvrage que les aiguilles s’appliquent à façonner le patchwork des noms. Car si l’adolescent a grandi, pu s’émanciper, sortir du placard, aimer, une autre angoisse – d’adulte, cette fois – s’est substituée à celle qui a hanté sa jeunesse : la peur que le souvenir des combats ne s’efface doucement mais sûrement, acculant à un “deuxième” silence les personnes vivant avec le virus. Grâce à ces 207 pages, le lecteur (re)découvrira la solidarité et l’amour qu’ont représenté les tableaux de tissu mémoriels, mais aussi le sentiment de honte, le rejet terrible éprouvé par certains malades qui ne souhaitaient pas que leur nom y apparaisse, ou encore la solitude de cet homme qui confectionna son propre hommage posthume. Nimbé de tristesse colorée, Cousu pour toi est de la belle ouvrage avec laquelle le militant apporte sa contribution à la mémoire des luttes. Et grâce à laquelle l’écrivain prend encore de l’étoffe.
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Crédit image : Gallimard