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reportageDans l'atelier de Christophe Mecca, perruquier star de nos queens

Par Julien Hennequin le 18/12/2023
Christophe Mecca

[Article à lire dans le têtu· de l'hiver en kiosques ou sur abonnement] Le drag a ses artistes, mais aussi ses artisans. Spécialisé dans la perruque de queen, le Français Christophe Mecca est aujourd'hui une référence internationale et travaille aussi bien pour Paloma qu'Aquaria.

Photographie : Audoin Desforges pour têtu·

Pour la finale de Drag Race France 2, Paloma avait mis le paquet : son maquillage et sa tenue over-the-top étaient complétés par une perruque rousse, étonnante élévation inspirée par la Fée des lilas – le rôle de Delphine Seyrig dans Peau d’âne de Jacques Demy –, qui rappelait à toutes les drag que c’était elle la première à avoir remporté la couronne. "Je n’ai jamais vu une perruque aussi bien construite, se rappelle-t-elle. On dirait que chaque élément est en apesanteur. Je n’ai aucune idée de comment ça tient !" Et ça, c’est la garantie d’une perruque conçue par Christophe Mecca – on dit même une “Mecca” dans le mileu, celle vers qui on se tourne et se retourne : une wig inimitable, unique, aux influences très futuristes avec une pointe de rétro, inspirée par la science-fiction, les oiseaux et les créatures des abysses. "Les drag-queens, ce sont des créatures qui vendent du rêve. Les perruques font partie de leur look. Mon travail, c’est donc de faire rêver, témoigne le créateur. Les grosses perruques crêpées, tu n’en verras jamais chez moi. J’aime la finesse. J’ai envie que de loin les gens se disent «waouh», et qu’en arrivant de près ils gardent la même magie dans les yeux."

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À 31 ans, Christophe Mecca est devenu la référence française dans la perruque de drag. En feuilletant son carnet de commandes, parmi tous les artistes qui le contactent, on trouve des vedettes internationales comme les candidates de la septième saison de RuPaul’s Drag Race Miss Fame et Violet Chachki, ou encore la gagnante de la dixième édition, Aquaria. Un rêve devenu réalité pour le jeune homme, qui a toujours su qu’il voulait devenir perruquier, sa passion depuis l’enfance. Après un CAP coiffure et une formation spécialisée dans le sud de la France, il s’installe à Paris et décroche quelques boulots dans des comédies musicales, comme Priscilla, folle du désert. À l’époque, le drag est encore un tout petit milieu en France. Christophe Mecca et son compagnon font partie des pionniers et prennent comme noms de scène The Arseniek (désormais Arsen-X) et Kam Hugh. Puis Ghost Elektra, drag queen parisienne, le contacte pour un mulet punk : "Je n’étais pas encore hyper calé à ce moment-là, avoue-t-il avec autodérision. Le résultat était loin d’être chic." Mais son contact circule dans le milieu, et Cookie Kunty, future participante de la saison 2 de Drag Race France, lui passe commande.

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La première "Mecca" d'Aquaria

En 2019, Christophe Mecca est engagé pour un shooting en Allemagne par le magazine Tush : Aquaria, fraîchement couronnée par l’émission phare américaine, doit faire la couverture : "C’était la première fois que je quittais la France et je parlais très mal anglais, se souvient-il. Aquaria a été très sympa, on s’est très bien entendu." Dans un petit coin du studio, il réalise trois perruques. La New-Yorkaise est tellement satisfaite de son travail qu’elle lui en achète une en cheveux naturels violets. C’est d’ailleurs celle-ci qu’elle porte l’année suivante pour le Meet the queens de la saison 11 de RuPaul’s Drag Race, donnant à Christophe Mecca "une visibilité un peu folle". À 27 ans, le Parisien est vite sollicité par d’autres superstars du programme, comme Detox ou Kim Chi. Plus récemment, il a réalisé toutes les perruques de Kam Hugh lors de la première saison de la franchise hexagonale.

“Pour la perruque pigeon de Kam Hugh lors de la saison 1 de Drag Race France, on avait imaginé faire des ailes."

Au début d’un projet, je regarde le style de la drag pour comprendre sa vibe, explique-t-il. Il faut aussi que je tienne compte de la tenue qu’elle portera. Donc je passe beaucoup de temps à faire des croquis." Une fois que la queen a validé le concept, l’artiste pense la technique : chaque perruque est un nouveau défi sans limites. "Pour la perruque pigeon de Kam Hugh lors de la saison 1 de Drag Race France, on avait imaginé faire des ailes, raconte-t-il. Mais je n’avais encore jamais fait ce genre de formes ! Heureusement, on m’avait parlé d’une technique utilisée pendant le championnat du monde de coiffure. Après quelques essais, je suis parvenu à obtenir le résultat désiré. Réussir à avoir entre les mains ce qui se forme dans ma tête est un tel soulagement !"

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De l'art du détail et des finitions

Pour Christophe, la perruque est avant tout ce qui termine le personnage drag. "Je peux aussi bien faire des sculptures, ajouter un tulle transparent, une boule de cristal au milieu…" énumère le jeune homme. S’il fourmille d’idées, le créateur blond à fine moustache doit à chaque fois trouver des solutions. "Il peut passer des heures sur un détail. Il est toujours innovant et n’hésite pas à se lancer dans l’inconnu en développant de nouvelles techniques, témoigne Paloma. Il sait s’adapter à chaque morphologie et ne se contente pas de faire des perruques qui pourraient aller à tout le monde. En plus, elles sont extrêmement solides."

"Il est capable de transformer une perruque très simple en quelque chose d’incroyable, avec des implantations, des pointes, des toiles d’araignées… au cheveu près !"

Toutes les finitions sont faites à la main, détaille Christophe. Je ne fais que de la qualité. Sinon, tu peux aller dans n’importe quel magasin de perruques, passer un coup de brosse et hop." Mais pour le perruquier, le pire ennemi sera toujours la gravité, qu’il combat à coups de laque et de sèche-cheveux. "Ça me sert à la fois à faire la mise en forme, à chauffer la matière, à fixer ou encore à tout remodeler. Je passe énormément de temps à travailler sur la structure, explique-t-il. Je fais quelques tests, et dès que j’ai une idée précise en tête je me lance. Une fois fixée, la perruque est dure comme du bois. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Si je me trompe, je suis obligé de couper et de rajouter des morceaux. C’est assez périlleux." Le perruquier se fait alors sculpteur. "Il est capable de transformer une perruque très simple en quelque chose d’incroyable, avec des implantations, des pointes, des toiles d’araignées… au cheveu près ! C’est rempli de petits détails qui font que c’est chic", constate Paloma avec admiration. Pour impressionner le public, Christophe mise sur la longueur du cheveu et la structure. "Dès qu’il y a de la construction, ça apporte du cachet en plus et le public est impressionné, observe-t-il. J’adore lorsque l’on me demande : «Mais comment ça tient ?» J’ai juste envie de répondre que c’est magique."

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