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Nos vies queersSanté mentale : connaissez-vous le stress minoritaire ?

Par Laure Dasinieres le 26/12/2023
Le stress minoritaire

[Article à retrouver dans le têtu· de l'hiver en kiosques ou sur abonnement] Développé depuis une vingtaine d'années, le concept de "stress minoritaire" tente d’expliquer pourquoi les minorités sexuelles et de genre souffrent d’une santé dégradée.

Illustration : María Medem pour têtu·

Être lesbienne, gay ou trans dans l’espace public, c’est être exposé en permanence à des discriminations, des situations de harcèlement ou de rejet, des agressions… Autant de violences qui participent de ce que l’on appelle le “stress minoritaire”, un concept développé depuis le début des années 2000 pour tenter d’expliquer pourquoi les minorités sexuelles et de genre souffrent d’une santé dégradée.

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Concrètement, si tous les individus, LGBTQI+ ou non, sont soumis au quotidien à du stress lié à de nombreux facteurs – vie professionnelle et familiale, santé, finances, etc. –, les personnes queers en subissent un supplémentaire au quotidien. “C’est un stress chronique qui se couple à celui ressenti par tout le monde”, résume Eva Spaeter, psychologue.

Le mal dans la peau

Plusieurs facteurs expliquent ce stress supplémentaire. D’abord, ceux “objectifs” : “Ce sont tous les préjudices, toutes les agressions qui ont été réellement vécues, que ce soit dans l’espace public, professionnel, à l’école ou encore au sein de la famille”, détaille la psychologue. Mais il y a aussi des facteurs “subjectifs”, qui “correspondent à l’intériorisation des représentations négatives”, poursuit Eva Spaeter. “Ce sont des choses qui rentrent sous la peau, comme notamment l’anticipation des événements négatifs, la dissimulation de l’identité, l’homophobie intériorisée…” détaille Maxence Ouafik, médecin généraliste et doctorant en sciences médicales, spécialisé dans la santé des minorités sexuelles et de genre.

Et tout cela peut avoir, à différents degrés et selon les vulnérabilités de chacun, des effets considérables sur la santé. Les symptômes peuvent s’apparenter à ceux du syndrome de stress post-traumatique : insomnie, isolement, anxiété élevée, états dépressifs, consommation problématique de substances, troubles des conduites alimentaires, dissociation voire négation de la personnalité, conduites suicidaires. Il peut en outre exister des symptômes physiques tels qu’un dysfonctionnement sexuel, une perte ou une prise de poids inhabituelles, des maux de tête et/ou de dos ou encore de l’hypertension artérielle. Par ailleurs, par crainte de subir des discriminations supplémentaires lors de rendez-vous médicaux, nombre d'entre nous renoncent aux soins au risque d’affecter encore davantage notre santé.

Le stress minoritaire participe à un cercle vicieux : puisqu’on va mal, on s’investit moins dans sa vie, dans ses études, dans son travail, dans sa vie sociale, donc on va encore plus mal… Mais la solution ne peut pas résider dans une seule vision pro-active qui professerait que pour dépasser les discriminations la volonté suffit. Dans le cas du stress minoritaire, la résilience est compliquée car l’environnement est la première cause du mal-être. Il n’est pas possible de se défaire totalement de l’anxiété qu’elles engendrent. Il existe pourtant des ressources pour faire face, et des stratégies pour adoucir les choses.

La commu à la rescousse

Parmi ces facteurs de résilience, le soutien communautaire est prépondérant. “Le sentiment d’appartenance à une communauté permet de faire diminuer le stress minoritaire. Le fait d’être reconnu par ses pairs, de savoir qu’on n’est pas seul, de pouvoir partager son vécu auprès de personnes qui ont une histoire similaire aide beaucoup”, explique Eva Spaeter. Dans ce cadre, toutes les ressources déployées par la communauté, dans la vie réelle ou en ligne – lieux queers, groupes de parole, livres, presse communautaire, podcasts, comptes Instagram, serveurs Discord, etc. – apparaissent comme autant de supports participant de la résilience. L’engagement associatif peut également être d’un grand secours.

Vous n'avez pas la fibre militante ou communautaire ? Pas de problème. L’essentiel, c’est surtout de ne pas s'enfermer dans la solitude. “Il est vraiment crucial de créer du lien et de l’entretenir, mais cela peut être des choses aussi simples que de prendre un café avec un pote ou rappeler quelqu’un que l’on n’a pas vu depuis longtemps”, précise Maxence Ouafik. Au quotidien, pour se créer une sorte d’effet bulle, on peut aussi chercher à s’entourer de représentations positives par le biais de séries ou de films.

Ensuite, puisque la dissimulation de l’identité participe au stress subjectif, faire son coming out peut être également un facteur de résilience. Sortir du placard, si tant est que les conditions sont favorables, peut en effet faire beaucoup de bien. “C’est davantage vrai pour les lesbiennes, pour qui cela semble particulièrement libératoire de sortir de l’hétérosexualité”, signale Maxence Ouafik. Un double effet : fini le refoulement, et fini les rapports de domination genrée !

Enfin, et sans tout pathologiser, entamer une psychothérapie apporte du soutien, notamment pour ce qui a trait aux éléments intériorisés. “C’est tout particulièrement le cas des approches qui s’attaquent aux facteurs de stress subjectifs en travaillant sur l’affirmation de l’identité et l’estime de soi, et permettent de déjouer la LGBTphobie intériorisée”, précise le médecin. Quand on a fait la paix avec soi-même, on est d’autant plus fort pour affronter le monde et ses discriminations.

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