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magazineRencontre avec Beth Ditto pour le grand retour de Gossip avec "Real Power"

Par Tessa Lanney le 22/03/2024
Beth Ditto, Nathan Howdeshell et Hannah Billie du groupe Gossip

[Article à lire dans le magazine têtu· du printemps] Après douze ans d'absence, le groupe de pop-punk Gossip revient avec un nouvel album, Real Power. Et la diva/chanteuse Beth Ditto prouve qu'elle a toujours beaucoup d'énergie à revendre.

“Un matin tu te lèves dans ton pyjama, tu as 43 ans, et tu te poses une multitude de questions : est-ce que je dois m’empêcher de sortir sans maquillage ? Repenser ma manière de m’habiller ? Je me demande de plus en plus si j’agis pour moi ou parce que c’est ce qu’on attend de moi en tant que femme.” Comme nous toutes, Beth Ditto a pris de l’âge, mais elle garde toute sa niaque. La chanteuse de Gossip – avec Nathan Howdeshell à la guitare et Hannah Billie à la batterie – cherche toujours à provoquer, par exemple en commençant par un bruit de pisse “Crazy Again”, le premier single de leur nouvel album, Real Power, qui signe le retour du groupe après douze ans d’absence. Le clip débute sur elle, dans un costume qui rappelle l’outrance des films de John Waters, assise sur les pires chiottes imaginables, dans une atmosphère glauque de néon dysfonctionnel.

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Quand on la rencontre à 9 h du matin, Beth est déjà survoltée et particulièrement avenante, bien qu’elle ne soit pas connue pour avoir la langue dans sa poche. “Je ne me suis pas calmée, mais j’essaye d’éviter les réactions à chaud, tempère-t-elle. Avec l’avènement d’internet, des réseaux sociaux, c’est plus sage de ne pas être dans l’immédiat, de prendre le temps de la réflexion, de se renseigner sur le contexte, de multiplier les sources d’information au lieu de crier dans le vide.”

Beth Ditto, pop & trash

Cette sagesse de quadra ne lui donne pas pour autant envie de faire des concessions : elle a trop subi en tant que femme, lesbienne et grosse pour fermer sa gueule. Elle regrette d’ailleurs que ses interlocuteurs ne s’intéressent pas davantage à son vécu et à son ressenti. “Quand on parle de féminisme ou de grossophobie, évidemment que les gens ne comprennent pas, puisqu’ils ne s’intéressent qu’à ce qui les touche eux”, lâche-t-elle en levant les yeux au ciel. “Un jour, lors d’un concert, on était en train de jouer et j’ai entendu un gars dire à son pote, sur un ton super négatif, à quel point ça grouillait de lesbiennes. Il débitait tout un tas de conneries homophobes en faisant le malin. Alors j’ai mis deux doigts au fond de ma gorge, et je leur ai vomi dessus.” Avis aux amateurs, Beth Ditto est tout à fait prête à recommencer. Le trash, ça la connaît : elle a commencé sa carrière dans la scène queer punk. “On voyait énormément de personnes grosses dans ce milieu-là, se souvient-elle. C’étaient de vraies rockstars et à l’époque je rêvais de pouvoir ne serait-ce que leur adresser la parole.”

“C’est impossible de séparer mon identité queer de ma musique.

Beth Ditto n’a pas retenu de la scène punk que sa radicalité, mais aussi une esthétique que l’on croise dans toute l’histoire du groupe, et quelques rythmes qui se mêlent à des influences pop, disco et soul. D’ailleurs, avec Real Power, ne vous attendez pas à un album punk rock, tout en cris et en riffs. Depuis longtemps, Gossip a entamé un tournant net vers la pop. C’est peut-être ce mélange des genres qui explique le succès de “Heavy Cross”, sur l’album Music for Men, sorti en 2009, dont la couverture montrait la batteuse en magnifique butch androgyne. “It’s a cruel, cruel world to face on your own, a heavy cross to carry along” (“C’est un monde cruel qu’on doit affronter seul, une lourde croix à porter”), chantait alors une Beth désabusée, dépeignant une société sans pitié. Dans ce morceau, qui mixait déjà des rythmes rock avec sa voix de diva pop, était déjà perceptible la mélancolie que l’on retrouve dans “Crazy Again”. Loin d’un hit punk-rock, ce dernier titre tient d’ailleurs plus de la ballade de rock indie sur un amour obsessionnel : “And I might go crazy, crazy over you” (“Et je vais peut-être devenir folle, folle de toi”).

“C’est impossible de séparer mon identité queer de ma musique, analyse-t-elle. Elle est présente dans tous les aspects de ma vie, et je la garde dans un coin de ma tête en permanence. Je me demande si les hétéros y pensent, eux aussi…” D’ailleurs, si “Heavy Cross” a fait le plus de bruit, “Men in Love”, sur le même album, parle littéralement d’hommes amoureux entre eux : “Come along and you’ll find it’s the perfect crime” (“Viens et tu verras que c’est le crime parfait”). “Sur Real Power, le titre le plus queer sera probablement «Act of God». De façon très ironique, précise Beth avec délectation. Je ne crois même pas en Dieu !” Le morceau est un condensé de désir, une explosion de passion transcendantale et d’un érotisme de l’ordre du sacré.

Avec Beth Ditto, ça passe ou ça casse. Sa personnalité entière ne demande pas de permissions. “Je ne saurais pas être autrement, réfléchit-elle tout haut. C’est comme quand tu rencontres les parents de tes amis pour la première fois : tu essayes d’être polie, calme, de ne pas faire de vagues. Tu sais que tu dois te tenir tranquille. Mais moi, rien à faire, je suis incapable de faire ça.” Avec les années, son corps change, les hormones s’agitent, et tout se complique. “Les normes de féminité et de minceur exercent de plus en plus de pression quand vous vieillissez”, avance la chanteuse. Beth Ditto choisit de voir l’âge comme elle voit la féminité : une idée, un concept, une forme d’expression. Apprendre à connaître ce corps qui change en permanence, ça l’éclate. “Ce qui est important pour moi, relativise-t-elle, c’est de garder l’esprit ouvert, de me questionner. Je sais que le temps passe.”

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>> Real Power, de Gossip. Sortie le vendredi 22 mars.

Crédit : Columbia Records, Sony Music

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