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rencontreBrimheim, la chanteuse danoise qui "prend du recul sur ses relations hétéros"

Par Tessa Lanney le 27/03/2024
la chanteuse Brimheim sort un nouvel album, "Ratking"

La pop sombre de la Danoise Brimheim questionne tout ce que l'on est prêt à faire pour un peu d'affection. De passage à Paris le 23 mai, elle vient de sortir son deuxième album, Ratking.

On a essayé de rentrer dans les cases, on a échoué. C'est le seul raisonnement logique que l'on peut avoir en écoutant Ratking, le deuxième album de la Danoise Brimheim (de son vrai nom Helena Heinesen Rebensdorff). "À travers lui, je prends du recul sur toutes les relations hétéros que j’ai eues et dans lesquelles j’essayais de me fondre dans la peau de quelqu’un que je ne suis pas, explique la chanteuse. Je vivais une vie qui ne me correspondait pas. Ma place était ailleurs." Après un EP suivi d’un premier album, Can't Hate Myself into a Different Shape, très remarqués au Danemark, elle continue à creuser son sillon d'une pop/rock indé un peu sombre, comme une Phoebe Bridgers (du supergroupe Boygenius) en pleine déprime saisonnière (le printemps est arrivé…). On peut percevoir quelques influences hyperpop et électro qui remontent à ses années de conservatoire, mais la chanteuse privilégie désormais les sonorités rock, en témoigne la présence grandissante de la batterie dans presque tous les morceaux de ce nouvel album.

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Chaque chanson de Ratking raconte la recherche de validation par autrui, qui a longtemps obsédé la chanteuse. “Lorsque vous avez des problèmes d’estime personnelle, vous vous persuadez que quelqu’un veut être avec vous et vous vous agrippez à ses miettes d'affection, confie-t-elle. Je me suis entichée de tellement de gens que je n'appréciais même pas tant que ça. Pourtant, je voulais qu’ils m’aiment. À travers eux, je voulais échapper à ma propre détresse. Je me suis retrouvée dans des situations tellement pathétiques." Dans la chanson "Normies", on suit ainsi une femme qui, pour se faire aimer, efface chaque facette de sa personnalité jusqu'à devenir quelqu'un d'autre : “Are you weirded out by how much I like you?” (“Es-tu effrayé par combien je tiens à toi ?”).

Brimheim raconte s'être contorsionnée pour entrer dans les bonnes cases. Dans "Keep Bleeding Diamonds", elle sacrifie tout ce qu'elle est pour satisfaire l'autre. "Même quand je trahis qui je suis pour trouver grâce aux yeux de quelqu'un, ce n'est pas jamais suffisant, déplore-t-elle. Tu brides ce que tu ressens pour ne pas importuner l'autre avec tes sentiments, si bien que lorsque tu te plains, on te reproche d'être mélodramatique." Pendant des années, elle se demande si le problème ne vient pas d'elle, se convainc qu'elle est tout simplement trop sensible, trop collante. Lors de la rupture, l'acmé du tragique de la chanson, "je continue d'être dans le déni de mon identité, j'essaie de répondre à ce que l'on attend moi", explique-t-elle.

Et "Brand New Woman" forme la suite logique de "Keep Bleeding Diamonds", la protagoniste s'oublie jusqu'à ce qu'il ne reste d'elle qu'une coquille vide : “I once begged you to love me” ("Un jour, je t'ai suppliée de m'aimer”). "On est prêt à tout donner, à s'abandonner à l'autre sans s'en rendre compte, souligne Brimheim. Finalement, c'est très lesbien non ?” La chanteuse raconte d'ailleurs avoir un jour traversé le Danemark pour se retrouver – sans y avoir été invitée – sur le pas de la porte d'un quasi-inconnu pour qui elle avait eu un coup de foudre.

Mais Brimheim a fini par atteindre un point de rupture et, tout au long de la deuxième partie de l'album, tente de briser ce schéma qui lui pourrit l'existence. En s'ouvrant à travers sa musique, elle atténue la honte qu'elle éprouve quand elle repense à ses années passées. "J'essaie d'être la plus vraie possible dans ma musique, y compris quand ce n'est pas glorieux", dit la chanteuse en riant. Elle entame une introspection, cherche l'origine du mal, jusqu'à ce qu'elle se rende à l'évidence : "Quand j’étais petite, je n'avais personne pour me soutenir. Je n’avais pas les fondations nécessaires pour me construire et gérer ces questions existentielles. Je n’avais simplement pas les outils et j’essayais de trouver des réponses dans des relations qui n’étaient pas saines, résume-t-elle. Je me contentais de reproduire la dynamique que je connaissais, donner sans recevoir."

"J'ai nié qui j'étais pendant trop longtemps"

Jusqu'à ce qu'elle embrasse sa queerness, Brimheim s'efforçait de rentrer dans le moule hétéro. "Essayer d'être hétéro, quand vous ne l'êtes pas, vous essayez de coller aux attentes de façon encore plus stricte. Vous ne faites que vous mentir à vous-mêmes, tranche-t-elle. J'ai nié qui j'étais pendant trop longtemps, j'ai atteint un point où ce n'était même plus une option : il fallait que ça cesse." Alors elle a rencontré celle qui est aujourd'hui sa femme, "C'est mon premier coup de foudre queer, la première fois que je tombais amoureuse d’une femme, précise la chanteuse. Je venais de faire mon coming out. Une expérience à la fois bouleversante et magnifique dans laquelle j’ai puisé pour écrire."

Cette épiphanie lesbienne lui a inspiré la chanson "Exquisite Bliss", tirée de son EP, Myself Misspelled : “How can I feel so safe with you and yet feel so defenseless around you” (“Comment puis-je me sentir si en sécurité avec toi et pour autant me sentir tellement sans défense à tes côtés”). "C’est comme une seconde adolescence, se remémore-t-elle, un sourire attendri. C'est dans ces moments où on comprend ce qu’on ressent vraiment. Ça nous paraît énorme." Brimheim, en féringien, signifie “là où se brise les vagues”. Mais la chanteuse, elle, a rejoint l'océan queer.

>> Ratking, de Brimheim. Déjà disponible en vinyle et en streaming. Brimheim est en concert le 23 mai au Point Éphémère, à Paris.

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Crédit photo : Tambourhinoceros

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