Spectacle centré sur les ravages du chemsex, Amours chimiques, de la compagnie Les Adelphes de la nuit, se joue à Paris en mai avant d'entamer une tournée la saison prochaine. Rencontre avec ses auteurs, Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn.
"Dans la pièce, on parle de nos parcours respectifs mais pas seulement. On a fait un appel à témoignages pour la nourrir ; on a interrogé beaucoup de monde." Le spectacle Amours chimiques, c'est la rencontre entre deux garçons abîmés par le chemsex qui décident de faire de ce passage de leur vie, aujourd'hui derrière eux, un spectacle vivant : Corentin Hennebert, 28 ans, ancien gamin introverti qui s'est épanoui dans le théâtre (il a notamment écrit un texte sur le harcèlement scolaire dont sont victimes les LGBT), et Joseph Wolfsohn, 31 ans, fils de comédiens lui-même arrivé au théâtre "après une déception amoureuse".
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Ensemble, ces "passeurs de parole" ont fondé en 2022 la compagnie queer, Les Adelphes de la nuit, afin de porter leur spectacle, dont la première a eu lieu à Paris en novembre 2023. "Amours chimiques, c'est une proposition totale : une pièce mais aussi un outil de prévention et d'alerte", revendiquent-ils d'une même voix. Une histoire difficile qu'ils ont écrite à deux. "On s'est replongés dans nos histoires. Quand je faisais du chemsex et que je n'allais pas bien, je m'enregistrais sur mon téléphone. J'ai tout envoyé à Corentin pour qu'on en fasse quelque chose", se souvient Joseph. Corentin, lui, préférait l'écrit, noircissant des pages "au cas où".
Le chemsex, "chute initiatique"
Dans leur fiction, un jeune homme, Candide, rencontre un homme qui va devenir son amant et l'entraîner dans le monde du chemsex. "Dans ce rapport tumultueux, le personnage va vivre l'allégresse puis les dérives et la solitude liées à la consommation des produits ; c’est une chute initiatique", écrivent les deux auteurs en note d'intention. À partir de leur expérience, ils ont élaboré un texte très documenté et destiné au plateau. "On a essayé de transformer ça en un objet artistique. Car même si on veut alerter, on fait avant tout du théâtre."
Du théâtre pour les concernés, mais pas seulement – "il fallait que ça soit compréhensible par ma mère qui ne connaissait pas le chemsex", explique Corentin –, proche de la vie réelle, avec des séquences fortes sur le tourbillon qui emporte Candide, et d'autres plus légères ("on montre les moments de vie"), le tout imbriqué autour d'une colonne vertébrale narrative : un groupe de parole sur le chemsex où se racontent des vies en suspens, des proches inquiets... "On ne s'est pas arrêté aux seuls consommateurs, afin de montrer l'impact que le chemsex a dans la société."
"Pendant trois jours on ne mange pas, on ne boit quasiment pas, on prend des produits chimiques qui sont là pour déterger des enjoliveurs."
Si Corentin, tombé dans le chemsex au début de sa vingtaine ("à un moment je pesais 47 kilos, j'ai failli mourir"), et Joseph, qui a testé le chemsex pendant le covid "comme beaucoup de chemsexeurs", précisent ne pas vouloir être des donneurs de leçons, ils assument un positionnement clair contre cette pratique et ceux qui soutiennent qu'un happy chemsex est possible. "Pendant trois jours on ne mange pas, on ne boit quasiment pas, on prend des produits chimiques qui sont là pour déterger des enjoliveurs..., explique le premier. J'ai vraiment du mal avec cette romantisation de la consommation qui contourne un sujet de santé publique." D'où l'apparition sur scène d'un personnage "allégorique, fantasmagorique", pour incarner le craving, le manque... "C'est la partie descente après le chemsex, les angoisses et le mal-être qui peuvent en découler."
Aujourd'hui, le duo a autant envie de jouer que d'organiser des tables rondes et autres rencontres en lien avec la pièce. Un film documentaire est également en préparation, réalisé par la réalisatrice Claudia BB et centré en partie sur le témoignage de Corentin. Avec une finalité proche de celle du spectacle, comme l'exprime la documentariste : "Je souhaite montrer aux yeux du monde le combat et le parcours d’une personne que j’aime et que je refuse de voir sombrer à nouveau. Je suis sûre que de nombreux jeunes hommes se reconnaîtront dans le parcours de Corentin et Joseph."
>> Amours chimiques, au Lavoir moderne parisien du mercredi 15 au dimanche 19 mai. À Toulouse le samedi 5 octobre. Mais aussi à Berlin dans le cadre du festival Lampenfieber du 4 au 10 novembre.
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Crédit photo : Guillaume Colrat