livre"Être lesbienne, c'est le choix d'une liberté" : rencontre avec Élodie Font

Par Fanny Hubert le 31/05/2024
Élodie Font est l'autrice de "À nos désirs, dans l'intimité des lesbiennes"

Puisqu'il existe très peu d'études sur la sexualité lesbienne, l'autrice et journaliste Élodie Font a voulu remédier à ce manque. Son essai, À nos désirs, sorti ce 31 mai, célèbre le désir et le plaisir lesbien sous toutes ses formes via le témoignage des principales concernées.

Après avoir fait le récit de l’acceptation de son homosexualité dans le podcast et roman graphique Coming In, Élodie Font sort un essai intitulé À nos désirs - Dans l’intimité des lesbiennes, aux éditions La Déferlante. L’autrice a recueilli le témoignage de près de 1.200 femmes pour montrer ce qu’est la sexualité lesbienne au quotidien, loin des fantasmes et des caricatures. Une parole collective qui scande unanimement : être lesbienne, c’est plus qu’une orientation sexuelle, c’est une façon d’être au monde et de refuser la norme. Élodie Font trace un chemin qui part du grand saut, celui de s’affirmer, pour aller vers la manifestation d’un plaisir partagé et se conclure sur le besoin de se rassembler. Un essai qui célèbre nos vécus et nous donne envie d’aimer – et de crier – encore plus fort. Interview.

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Comment t’es venue l’idée d’écrire cet essai ?

Élodie Font : C'est une thématique qui me semblait très absente, ou racontée d'une manière très fausse. Quand je regardais ou lisais des choses en lien avec la sexualité lesbienne, soit c'était fétichisé ou pornographié, soit c'était caricaturé comme une non-sexualité. J'avais envie de lire des récits de femmes qui racontent comment elles vivent leur sexualité, comment le fait d'être lesbienne influence leur quotidien. J'ai cherché et je n'ai pas trouvé, donc j’ai décidé de l’écrire.

Tu as reçu 1.173 témoignages de femmes. Comment as-tu sélectionné ceux que tu voulais garder ?

Je suis partie dans ce livre en n'ayant aucune idée d'où j'allais. Il y a énormément de thématiques que je n'avais pas vues venir. Le rapport au corps, par exemple : je ne suis pas quelqu'un d'extrêmement complexée mais je ne m'étais pas figurée que la manière dont je me regardais avait potentiellement un lien avec mon orientation sexuelle. Je n'avais pas non plus complètement perçu que la pénétration dans les couples de femmes pouvait être le lieu d'autant de questionnements.

Tu mets en avant les témoignages de lesbiennes seniors, qu’on a peu l’habitude d’entendre…

C'était essentiel pour moi qu'on les entende aussi. Quand on parle des lesbiennes aujourd'hui, on entend beaucoup de vingtenaires et de trentenaires, et c'est super. Mais on entend très peu de femmes qui ont plus de 50 ans. C'est un problème pour nous toutes, parce qu'on n'a pas du tout accès à ce que ces femmes ont traversé pour nous, comment elles nous voient, ce qu'elles ont à nous communiquer. J'ai été très frappée par leur liberté, elles disent quelque chose de différent.

Tu mêles le récit de ta propre expérience à celui des autres témoignages. Est-ce que ce choix s’est imposé à toi ?

J'étais plutôt partie sur l'idée de faire un livre uniquement de témoignages. Je me disais qu'avec Coming In, j'avais assez parlé de moi pour toute une vie (Rires). Au fur et à mesure de l'écriture m'est apparue l'envie d'entendre une parole collective, un "nous" et pas un "vous". Je trouvais que c'était un vrai engagement pour toutes ces femmes de raconter quelque chose d'aussi intime, et moi aussi je devais m'engager. Au départ, ce livre s'appelait Mouillons-nous : il y avait cette idée de me mouiller, de sauter dans la piscine avec les autres. 

Le mot lesbienne apparaît dans le sous-titre du livre, est-ce que tu as envisagé de le mettre dans le titre ?

À un moment, on avait comme idée Le sexe lesbien. Mais je n'aimais pas l'idée que le mot lesbienne soit au masculin. En revanche, c'était primordial pour moi qu'il soit en couverture. C'est un acte militant d'utiliser ce mot parce qu'il est encore sali, ou invisibilisé. J'ai eu des réflexions de personnes non concernées qui m'ont dit "mais tu vas perdre des gens"… Mais je lis plein de livres destinés aux femmes hétérosexuelles, et j'y arrive ! (Rires)

Tu dis justement que tu as longtemps eu une "aversion" pour le mot lesbienne. Comment as-tu fait la paix avec lui ?

En me documentant, et en me rendant compte que c'était une aversion commune. Je me suis aperçue que ce n'était pas parce que je trouvais le mot moche, mais parce que la société m'avait intimé de le trouver moche. C’est ce que dit Alice Coffin dans Le Génie lesbien. Elle a tellement raison, ça a complètement changé mon regard sur le terme.

Tu parles de désir mais tu consacres aussi beaucoup de chapitres à l'absence et la perte de désir. Pourquoi ?

On dit souvent de la sexualité entre femmes qu'elle est merveilleuse, et elle l'est pour nombre d'entre nous. Mais j'ai reçu beaucoup de témoignages de femmes qui me disaient : "C'est horrible mais moi je ne ressens pas exactement ça, et c'est une injonction supplémentaire." Non seulement on essaye de se départir de toutes les injonctions faites aux femmes tout court, et en plus on doit lutter avec celle d'avoir une sexualité merveilleuse. Il y a aussi le fait qu'entre nous, on ose plus dire non, ce qui est super évidemment mais du coup, il y a une fréquence un petit peu moins élevée des rapports sexuels.

Tu évoques la violence dans les couples de femmes, sujet encore tabou, à ton avis pour quelle raison ?

On pense moins la violence des femmes. On associe la violence aux hommes, à raison d'ailleurs comme le montrent les chiffres. Et on a le sentiment que si on dit qu'il y a de la violence chez les femmes, on se tire une balle dans le pied. Les victimes elles-mêmes ont beaucoup de mal à parler parce qu'elles ont peur de nuire à la communauté. Les deux personnes qui témoignent de cela dans le livre m'ont dit que si elles avaient été avec un homme qui avait eu exactement les mêmes comportements, elles seraient parties plus vite. Être avec des femmes qui se disent féministes et militantes, c'est comme si ça rendait impossible le fait qu'elles soient violentes. Ça doit nous faire réfléchir ensemble à accueillir cette parole-là.

Dans de nombreux témoignages, il y a une idée qui revient : être lesbienne, c’est une façon de dire non et de se positionner contre.

C'est très fort chez plein de femmes, cette idée qu'être lesbienne c'est aussi le choix d'une liberté, d'un pas de côté. De dire "non, je ne vais pas être la femme que vous pensez que j'allais être". Une fois qu'on a osé franchir ce cap, de se dire "ok je ne vais pas être dans la norme et je l'accepte", ça rejaillit dans plein d'autres sphères de notre vie. Les femmes racontent qu'elles n'ont pas la même attitude ou le même regard dans la rue. Comme tu ne cherches pas à être observée de la manière dont on t'a appris à vouloir être observeé, tu te meus même différemment. Ce n'est pas juste une orientation sexuelle, c'est souvent plus profond que ça.

Après avoir écrit ce livre, comment définirais-tu le désir lesbien ?

Ce serait une plus grande facilité à dire oui et non, à exprimer quand on a envie de faire l'amour, à exprimer son plaisir, à le crier, à le partager avec sa compagne, à échanger, à discuter. 

Tu avais aussi la volonté de proposer un récit léger pour célébrer nos désirs et nos sexualités.

C'est un acte militant de ma part. Je n’en peux plus des récits sombres qui laissent penser que nos vies sont uniquement un tunnel de noirceur, c'est horrible. Je souhaite qu'il y ait aussi de la joie. C'est aussi pour ça qu'on a choisi ce titre, je l'ai pensé comme une célébration, comme si je portais un toast à nos plaisirs.

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Crédit photo : Léa Crespi