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cinémaDe "Spartacus" à "Gladiator II", le péplum, éternel réservoir à fantasmes homoérotiques

Par Didier Roth-Bettoni le 12/11/2024

[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Toi aussi tu as hâte de mater Paul Mescal et Pedro Pascal en jupettes dans Gladiator II ? Logique : que ce soit dans Spartacus ou dans Ben-Hur, le péplum a toujours porté, parfois malgré lui, un érotisme gay salvateur, au point que l'homoérotisme est devenu un fondamental de ce genre au cinéma.

"Tu aimes les films sur les gladiateurs ?" Le péplum, l’un des plus anciens genres cinématographiques, est devenu tellement queer qu’en 1980, cette réplique dans la comédie parodique Y a-t-il un pilote dans l’avion ? suffit à révéler l’homosexualité d’un personnage (à travers une blague pédophile, l'époque le permet encore). Oh, bien sûr, aujourd’hui on y voit surtout des kitscheries pseudo-historiques aux amitiés très mâles mais sans amours gays. Reste que, avec la sortie au cinéma de Gladiator II ce mercredi 13 novembre, on s’agite un peu : Pedro Pascal et Paul Mescal en sont les têtes d’affiche. Serions-nous si superficiels que l'idée de leurs corps huilés, tout en muscles, brandissant leurs glaives tendus, suffise à nous appâter ?

Le péplum libère le fantasme gay

Évidemment, ce n’est pas pour sa grandiloquence biblique que les gays d’alors allèrent voir Les 10 Commandements de Cecil B. DeMille à sa sortie en 1956 : on va (aussi) au cinéma pour se rincer l’œil. D'ailleurs les studios ne s’y trompent pas, qui recrutent dans ces films des acteurs pour leur physique plus que pour leurs talents de comédiens : des athlètes, des culturistes… les gym queens y triomphent. Le sculptural Victor Mature enfile ainsi, au tournant des années 1950, le pagne du guerrier juif de Samson et Dalila, la cuirasse du soldat romain d’Androclès et les lions ou la tunique déchirée de l’esclave de La Tunique. Autant de tenues très ajustées toujours prêtes à dévoiler son impressionnante musculature.

Jusqu’au début des années 1960, le péplum était un espace de liberté pour les fantasmes homo­érotiques, le prétexte antique rendant acceptable que des hommes se baladent en toge et en jupette, avant de se dénuder pour des corps-à-corps virils. Des soldats et des gladiateurs dévoilent ce qui n’est montré nulle part ailleurs : des poitrails musclés, des cuisses épaisses, des abdominaux saillants. Bref, de la peau, de la chair, des canons masculins de l’époque.

Mark Forest dans Maciste et les cent gladiateurs (1965) réalisé par Mario Caiano
Crédit photo : Collection Christophel

Car pendant l’âge d’or du péplum dans les années 1930-1950, les films de gladiateurs étaient l’une des rares occasions de le faire. Depuis 1934, les studios d’Hollywood, sous pression des conservateurs, appliquent en effet le code Hays, une autocensure qui bannit toute représentation de “perversions sexuelles” et de nudités “suggestives”. Dans les films tournés avant son application, comme dans les péplums européens, les personnages typés homos sont de toute façon montrés systématiquement de façon négative. Fourbes courtisans (le préfet romain de Fabiola, en 1949), favoris efféminés (le souffre-douleur de l’empereur des Week-ends de Néron, en 1956), séductrices sans scrupules (la langoureuse danseuse engagée par Néron pour détourner une pure chrétienne du droit chemin dans Le Signe de la croix, en 1932) ou reines cruelles (Anouk Aimée, toujours accompagnée de sa servante japonaise dans Sodome et Gomorrhe, en 1962) : le sort commun de ces déviants ridicules et/ou dangereux était d’être battus par les héros hétéros qu’ils avaient tenté de pervertir.

Tout est dans le regard

En 1991, des archivistes ont réussi à restaurer une scène coupée du Spartacus réalisé par Stanley Kubrick en 1960. Un sénateur romain (Laurence Olivier) est dans son bain avec son esclave favori (Tony Curtis) qui lui frotte le dos. S’ensuit un dialogue à double sens dans lequel le patricien explique à son jeune serviteur qu’il aime à la fois les huîtres et les escargots : il ne faut pas avoir un master en queer studies pour comprendre qu’il tâte le terrain en se déclarant (presque) bisexuel. Mais la très catholique Ligue de vertu veille, et obtient la coupure de la séquence.

À la fin des années 1950, l’emprise de la censure a pourtant diminué, et apparaissent des sous-textes gays bien plus volontaires et audacieux. Ainsi le multi oscarisé Ben Hur, sorti en 1959, mettait en scène les liens existant entre un prince juif de Judée, joué par Charlton Heston, et un officier romain nommé Messala (Stephen Boyd). Amis d’enfance, ils se retrouvent après des années de séparation. Pour cette scène de retrouvailles l’écrivain gay Gore Vidal, coscénariste du film, glisse avec l’accord du réalisateur, William Wyler, une tension érotique entre les deux hommes : Messala et Ben Hur auraient été amants durant leur adolescence, et le premier souhaite reprendre cette liaison, ce que le second refuse. Vidal et Wyler demandent donc à Stephen Boyd, par des regards insistants et par des effleurements, de jouer cette passion contrariée mais sans rien révéler de ce sous-texte à son partenaire : “Ne dites rien à [Charlton Heston], il tombera en morceaux s’il apprend de quoi il s’agit”, prévient le réalisateur. Si le célèbre acteur affiche son soutien à la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis, ce fervent chrétien est très rigide dès qu’il s’agit des mœurs. À l’écran le résultat est si intense qu’on se demande quand ces deux beaux spécimens vont non pas se battre, mais se sauter dessus.

L’arène de beauté

Alors que l’ère héroïque du péplum touche à sa fin à Hollywood, le genre se développe fortement en Italie au début des années 1960, débarrassé de prétentions scénaristiques mais surchargé en muscles et en testostérone. Finies les superproductions que le puritanisme américain et les récits bibliques rendaient toujours un peu trop sages, place à des réalisations beaucoup plus fauchées et baroques où les rêves humides des spectateurs gays trouvent un inépuisable réservoir.

Les Traaus d'Hercule, Steve Reeves, 1958
Crédit photo : Everett Collection / Aurimages

La cause tient en un nom : Steve Reeves. En 1958, cet ex-Monsieur Univers à la beauté renversante et au corps hyperbolique devient le plus sexy des demi-dieux dans Les Travaux d’Hercule, accédant illico à l’Olympe gay. Regard de braise, barbe toujours parfaitement taillée et costumes aussi réduits que possible pour mieux souligner ses nombreux atouts, il enchaîne durant une décennie les rôles de Grec (La Guerre de Troie), de Romain (Le Fils de Spartacus), de personnage des Mille Et Une Nuits (Le Voleur de Bagdad)…

Quand j'entends le mot culturisme…

À sa suite, une cohorte ininterrompue de bodybuilders plus ou moins doués se pressent dans des récits historico-mythologiques approximatifs, sans laisser de trace dans l’histoire du cinéma : Reg Park, Gordon Scott, Mark Forrest, Ed Fury… Mais le spectateur gay en a pour son argent, et retrouve à l’écran ces plastiques impeccables qui remplissaient la presse homosexuelle de l’époque : les magazines de culturisme, pour lesquels certains de ces surhommes de l’écran ont d’ailleurs posé.

Satyricon, de Fellini, 1969
Crédit photo : Moviescom / Aurimages

Depuis la chute de l’empire péplum, les tentatives de le faire renaître ne s’y trompent pas et assument l’homoérotisme comme l’une des caractéristiques du genre, avec les combats de gladiateurs et les révoltes d’esclaves. Les relations gays sont centrales en 1969 dans le Satyricon, du réalisateur italien Federico Fellini, quand, en 1976, Sebastiane, de Derek Jarman, seul film jamais tourné en latin, choisit de ré-homosexualiser l’histoire de saint Sébastien, dépeint non plus comme un martyr chrétien mais comme une victime de l’homophobie. En parodiant le péplum, la comédie française Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, en 1982, intègre diverses représentations gays, en particulier une scène dans un bar cuir-moustache.

Le péplum et son homoérotisme sont encore, au XXIe siècle, le meilleur moyen pour un sex-symbol contemporain d’apparaître dans toute sa splendeur virile, couvert d’huile, de sueur, de sable et de sang. C’est d’ailleurs cette carte que privilégient les réalisateurs de la série Spartacus, de Troie (avec Brad Pitt) ou de 300, où la testostérone déborde de tous les plans. Mais où sont les passions queers antiques, comme celles d’Achille et Patrocle ou de l’empereur Hadrien et Antinoüs ? En 2004, celle d’Alexandre le Grand (Colin Farrell) et Héphaïston (Jared Leto) dans Alexandre, d’Oliver Stone, reste bien sage, tandis que les amitiés viriles, comme entre l’officier romain (Channing Tatum) et son esclave (Jamie Bell) dans L’Aigle de la 9ᵉ légion, sont toujours mises en avant. Dans son premier Gladiator, en 2000, le réalisateur américain Ridley Scott se contentait d’exhiber un Russell Crowe tous muscles dehors. Un quart de siècle plus tard, on se régalera tout autant de mater Pedro Pascal et Paul Mescal descendant dans l’arène, mais ne pourraient-ils pas, enfin, se rouler au moins une petite pelle ?

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Crédit photo d'illustration : Paramount France

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