interviewJean-Luc Mélenchon : "Mon engagement pour le pacs a changé ma vision de l'humanisme"

Par Nicolas Scheffer le 15/11/2024
jean luc melenchon

Il y a 25 ans, le 15 novembre 1999, était adoptée la loi instaurant le pacte civil de solidarité (pacs). Premier parlementaire français à avoir proposé une réforme permettant de reconnaître les couples de même sexe, Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur socialiste, revient pour têtu· sur cet engagement.

C’est le prélude au premier "oui" prononcé par un couple homosexuel dans une mairie. Le 15 novembre 1999, l'Assemblée nationale vote définitivement en faveur d’une réforme permettant de reconnaître administrativement les couples de même sexe via le pacte civil de solidarité (pacs).

À cette époque, les militants et politiques engagés ne se rendent pas compte que le pacs deviendrait aussi populaire – on en compte 200.000 signés chaque année. L'idée d'une telle réforme s'est cristallisée à la fin des années 1980 chez des militants homosexuels en prise avec l’épidémie de sida, mais il aura fallu des années pour la voir aboutir.

À lire aussi : Mélenchon : "Une nouvelle condition humaine, non genrée, c'est inédit dans l’histoire !"

L’une des premières personnalités politiques à s’intéresser à la reconnaissance des couples de même sexe fut un certain Jean-Luc Mélenchon. À l’époque sénateur socialiste, il y est sensibilisé par des militants et dépose en 1990 la première proposition de loi en ce sens. À l’occasion des 25 ans du pacs, il revient pour têtu· sur ses souvenirs de cette période.

  • Vous avez été la première personnalité politique française à déposer une proposition de loi sur l'ancêtre du pacs. Comment avez-vous été sensibilisé au sujet ?

Jean-Luc Mélenchon : En 1988, en campagne pour l'élection présidentielle, je suis invité par une association appelée Gais pour les libertés. J’y vais, et je leur fais un discours totalement hors sujet, très pompeux, sur des thèmes généraux comme l’avenir des villes. Puis quelqu’un prend la parole et me dit : "Ce que vous venez de dire est intéressant, mais ce n’est pas notre sujet. Aujourd’hui, nous souhaitons parler des droits des couples homosexuels face au sida." 

  • Que vous disent ces militants ?

Ils me racontent des histoires terribles : des récits d’hommes qui avaient perdu leur partenaire et chassés de leur logement par la famille du défunt, dépouillés de tout ce qu’ils avaient construit ensemble. C’était un moment très humain, et ces témoignages m’ont touché au point de transformer ma manière de voir les choses. Dans l’objectif de protéger ces couples, ils prennent l’exemple du Danemark qui réfléchit alors à partenariat civil pour les homosexuels, qui sera mis en place dès 1989.

  • En 1990, alors que vous êtes sénateur, vous écrivez une proposition de loi mais elle ne trouve pas de place à l’ordre du jour…

J’ai ouvert une brèche, à un moment où il n’y avait pas d’opinion publique favorable. En 1990, quand je dépose ma proposition de loi, je fais face à un scepticisme même à gauche. Mon groupe sénatorial socialiste comptait 72 membres, mais seuls six ont signé ma proposition, pour me faire plaisir. Les blagues homophobes étaient encore monnaie courante, même chez les progressistes, où on était avant tout focalisé sur les luttes sociales et économiques. Les droits des personnes homosexuelles étaient perçus comme des "questions de mœurs", secondaires par rapport aux enjeux de production, de redistribution de la richesse et de nationalisation. Mais mon engagement pour le pacs a changé ma vision de l’humanisme.

"L’être humain doit être l’auteur de son destin nonobstant toute autre considération, y compris son orientation sexuelle."

  • Comment cela ?

La droite cherche un ordre biologique pour justifier les inégalités sociales. Karl Marx dévoile ainsi que les préjugés, les idées dominantes, permettent de maintenir une tradition qui justifie la perpétuation de la classe dominante. Je comprends alors ce qu’il y a de profond dans l’idéologie humaniste : l’être humain doit être l’auteur de son destin nonobstant toute autre considération, y compris biologique, et y compris son identité de genre ou son orientation sexuelle. Pour la gauche, le futur n’est pas la répétition d’une tradition : nous devons en être maître et trouver les moyens de faire sauter les inhibitions.

  • Initialement, vous êtes favorable à ce que le pacs reconnaisse le lien entre deux personnes, qu’elles soient en couple ou non. Pourquoi ce choix ?

La révolution, c’est de considérer que le couple, ce sont deux personnes qui s’aiment et non deux personnes qui sont ensemble pour procréer. À partir de là, on peut élaborer : j’ai grandi dans une famille méditerranéenne où les schémas sont souvent différents de ceux qui sont considérés comme "classiques". Des situations, par exemple, où la plus jeune sœur d’une fratrie restait souvent auprès des parents âgés pour s’occuper d’eux. Tant qu’ils étaient en vie, elle ne se mariait pas. Puis, après leur décès, il arrivait qu’elle partage son quotidien avec un autre membre de sa famille, comme une sœur aînée devenue veuve. Elles formaient alors une sorte de ménage, non par choix amoureux mais par nécessité et solidarité. Ces expériences nous poussent à élargir notre définition des relations familiales. Pour cela, j’ai été accusé d’être le suppôt de la destruction de la famille. 

  • Le pacs a ensuite engendré de nombreux débats théoriques, comment vous y êtes-vous inscrit ?

Ce que je voulais avant tout, au-delà de l’aspect théorique, c’était améliorer concrètement la condition des couples victimes du sida, car il y avait énormément de souffrance inutile. Au sein des associations et des courants du parti socialiste, les engueulades étaient vives et je m’en suis écarté le plus possible. Je n’avais pas les clefs pour comprendre les guerres de clans et pourquoi les débats étaient si vifs. Lorsque les débats commencent à l’Assemblée, à la fin des années 1990, je les suis depuis le Sénat, mais je ressens une forme de rejet car on n’avait pas fait appel à moi.

Concernant la transidentité, c’est encore beaucoup plus compliqué à faire comprendre que les caractéristiques biologiques et de genre puissent ne pas coïncider. Mais on sait que ça existe, et que des personnes souffrent pour mettre en accord l’un avec l’autre. La personne se lance dans une transition, ce n’est pas par mode ou pour se rendre intéressante, mais parce qu’il y a quelque chose de violent qui se passe en elle-même. Quand j’ai lu que le Parlement argentin, pays catholique, a reconnu en 2012 l’auto-détermination, je me suis dit que la France, pays de Voltaire, pouvait le faire aussi. 

À lire aussi : 25 ans avant le rejet de la loi immigration, le précédent du "vendredi noir" pour le Pacs

Crédit photo : Enzo Tonati pour têtu·

interview | politique | gauche | La France insoumise | Jean-Luc Mélenchon | histoire | news