La dernière fois que l'Assemblée nationale a refusé de débattre d'un texte qui lui était soumis, comme elle l'a fait ce 11 décembre sur le projet de loi immigration, c'était en 1998 à propos du Pacs. Les députés socialistes absents de l'hémicycle, la droite se mobilise alors pour faire tomber le texte. Retour sur cette histoire politique de nos droits.
L'Assemblée nationale a voté ce lundi 11 décembre 2023 une motion de rejet du projet de loi de Gérald Darmanin sur l'immigration. Par cette procédure, un texte est rejeté par les députés avant même que les débats n'aient débuté dans l'hémicycle. Il y a peu de précédents dans l'histoire de la Ve République : le dernier en date est vieux d'un quart de siècle, et portait sur le pacte civil de solidarité (Pacs).
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À l'époque, Lionel Jospin est un Premier ministre de cohabitation : Jacques Chirac est président de la République mais l'Assemblée nationale est contrôlée par le Parti socialiste (PS). En ce 9 octobre 1998, la droite, vent debout contre la réforme ouvrant la possibilité aux couples homosexuels de voir leur union reconnue, se mobilise davantage que la gauche dont la plupart des députés sont alors en circonscription. Il y a 25 ans, dans notre numéro de novembre 1998 (à retrouver dans nos archives sur abonnement), TÊTU faisait le compte-rendu détaillé de cette journée devenue un "vendredi noir" pour les droits LGBT+, que nous republions aujourd'hui. Une seconde réforme du Pacs sera déposée un mois après le début de la mobilisation décrite dans cet article, et le Pacs sera définitivement adopté le 13 octobre 1999.
"PACS, la lâcheté de la gauche" - par Caroline Fourest & Thomas Doustaly
Le vendredi 9 octobre, la gauche plurielle a lâché les homos. Avant la deuxième présentation du texte, du 3 au 10 novembre, retour sur l'incroyable faute des députés, les réactions politiques et la mobilisation des associations.
- Vendredi 9 octobre. Matin, Assemblée nationale
Jean-Pierre Michel commence son discours devant une assemblée quasi désertique : "J'aborde ce débat sans honte ni gloire, même si j'en suis l'un des initiateurs, sans passion et surtout sans hypocrisie". Ensuite, la droite acclame son poulain anti-PaCS, chargé de déposer l'exception d'irrecevabilité. C'est Jean-François Mattei, député des Bouches-du-Rhône et membre de Démocratie Libérale, le parti de Madelin. Avec talent, il s'étend longuement sur le respect des homosexuels et évoque la douloureuse question du sida. Mais, dans sa deuxième partie, Mattei tombe le masque : pour répondre à ces problèmes privés, il faut des solutions d'ordre privé. Le terrain est prêt pour la touche finale : derrière l'alibi de solidarité se profile la légitimation sociale de l'homosexualité. Il ne s'agit pas d'un pacte de solidarité mais de sexualité ! Fermez le banc !
Sauf qu'il y a plus de députés présents à droite qu'à gauche. Pour éviter le vote, le groupe PS demande une suspension de séance. Il est 12h30, à l'extérieur, quelques centaines de jeunes fachos ont revêtu des tee-shirts "PaCS out" et hurlent sur "I will survive". La plupart appartiennent au mouvement pro-vie des Survivants, parce que nés après la loi Veil.
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- Vendredi 9 octobre. 15h00, Assemblée nationale
L'hémicycle est toujours vide et la séance tarde à reprendre. À droite, Charles-Amédé de Courson bombe fièrement le torse. Il faut l'intervention d'un huissier pour lui faire enlever son tee-shirt "PaCS out". Mais le vrai problème n'est pas là. 15h08. La droite siffle et exige la reprise. Il faut procéder au vote. La gauche fait pâle figure. On cauchemarde éveillé. La motion d'irrecevabilité est adoptée. La proposition de loi relative au PaCS est rejetée.
- Vendredi 9 octobre. 19h00, rue de Solférino
À l'appel du Centre gai et lesbien (CGL), d'Act Up et de Aides, une centaine de militants viennent crier leur rage sous les fenêtres du Parti socialiste : Trahison ! Socialistes homophobes, vous n'aurez plus nos votes ! Ayrault, démission ! Vers 20h, Philippe Mangeot, le président d'Act Up, propose de se rendre dans le Marais chercher du renfort. Une heure durant, le cortège bloque le boulevard Saint-Germain puis le boulevard Saint-Michel. À La Huchette, les commerçants applaudissent. Prise de court, la police se contente de faire la circulation. Dans le Marais, au premier bar, l'euphorie retombe : le Marais avec nous ! Le Marais avec nous ! Rien n'y fait. Après quelques hésitations, la petite centaine d'enragés est obligée d'envisager la dispersion. Réaliste. Nathalie Millet, du CGL, invite les dirigeants d'associations à fixer très vite une date de manifestation nationale. Le CGL, Act Up, Aides, APGL, Prochoix-Paris, les éditions gaies et lesbiennes et l'ARDHIS sont d'ores et déjà ok.
- Samedi 10 octobre. 15h00, Centre gai et lesbien
Menée de main de maître par Nathalie Millet du CGL, la réunion préalable à la manif marque un tournant dans la façon d'aborder la mobilisation. L'heure n'est ni aux plateformes communes ni aux manifs unitaires de centre mou. La trentaine de représentants d'assos présents est d'accord. Chacun a depuis le début une façon propre d'aborder la question du PaCS, il ne faut pas l'abandonner. Ce qui nous réunit aujourd'hui, c'est la colère. Il faut l'exploiter. Le slogan ? "Nous sommes en colère, mobilisons nous vers l'Égalité". Ce sera le seul mot d'ordre général. Pour le reste, tout se règle en un quart d'heure. Act Up dépose la manif, le CGL se charge de récolter les signatures d'associations et d'envoyer le principal communiqué de presse. La manifestation aura lieu de l'Odéon à la Bastille le samedi 17 à 15h, en relais du rassemblement organisé par Prochoix à la Mutualité pour dénoncer un colloque d'extrême droite réunissant les pro-vie français et américains. En deux jours, plus de soixante-cinq associations signent l'appel à manifester. Grâce au soutien financier de Christophe Girard, Act Up achète un encart publicitaire dans Libé pour annoncer l'événement.
- Jeudi 15 octobre. 18h00 Act Up-Paris
Réunion préparatoire. Les choses se précisent. La veille, François Hollande a présenté ses excuses à quelques associations homos en les recevant rue de Solférino. Act Up-Paris n'a pas été invité à ce rendez-vous au terme duquel, contre l'avis général, l'association Homosexualités et Socialisme (HES) se félicite de la qualité de l'écoute du Premier secrétaire. À Act Up, Robin Campillo se moque : HES n'est pas un groupe de lobby gay au sein du parti socialiste, c'est un groupe de lobby socialiste au sein du mouvement gay.
Entraînées par Philippe Mangeot, les associations s'entendent pour présenter la manifestation comme une mobilisation d'usagers du PaCS. Le CGL, la Coordination Lesbienne Nationale et les homos sans papiers, dont la visibilité est nécessaire, seront devant. Ensuite, ordre aléatoire, sans carré de tête. Les VIP sont priés de se faire discrets pour laisser la parole à ceux qu'on n'a guère entendus jusqu'ici. Les politiques, quant à eux, sont invités à s'abstenir de venir, Act Up ne pouvant pas garantir leur sécurité. Côté communication, il est également décidé que les commissions homos internes aux partis de la gauche plurielle n'interviendront pas à la conférence de presse du lendemain, bien que signataires, pour laisser la parole au mouvement associatif.
- Samedi 17 octobre. 12h00, Mutualité
La crème du mouvement anti-IVG français proche du FN organise un colloque international en compagnie d'extrémistes pro-life américains redoutables. À l'initiative de Prochoix, 500 personnes venues d'associations diverses défendent par leur présence le droit de choisir au sens large : avortement, sexualité, droit de mourir dans la dignité, face aux ennemis de l'IVG, des déviances sexuelles et de tout ce qui fait barrage à l'ordre naturel et divin. À 14h, la plupart des participants au rassemblement prennent le chemin d'Odéon.
- Samedi 17 octobre. 15h00, Odéon
La manifestation est une semi-réussite. Organisée en moins de dix jours, elle parvient cependant à réunir plus de cinq mille personnes. Ultra majoritairement des gays et des lesbiennes. Des députés, Bernard Birsinger (PC) et Guy Ascoet (Verts). Et deux personnalités venues spontanément, Pierre Bergé et Pierre Bourdieu. Le soir, la couverture médiatique ne suit pas. Rien ou presque sur TF1, pire encore sur France 2 où Béatrice Schoënberg annonce un millier de manifestants. Depuis quand les journalistes divisent-ils par cinq les chiffres de la préfecture de police ? Dans la même édition, sujet foireux sur un gay adopté par son ami, de trente son aîné, et dont on ne comprend pas très bien s'il le considère comme son père ou son mari. Merci pour le brouillage de message !
- Mardi 20 octobre. 20h00 Act Up-Paris
En réunion hebdomadaire, le groupe activiste décide formellement de créer l'Observatoire du PaCS évoqué dans le texte du Monde. Interassociatif, il commencera son travail lors des débats des 3,7, 8 et 10 novembre, quand l'Assemblée nationale examinera la nouvelle proposition de loi sur le PaCS, signée par l'ensemble des députés socialistes.
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"Après le vendredi noir du PaCS, ils ont dit… ça" – Par Fiammetta Venner
Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS : «Le groupe socialiste a fait son travail, il le fait toutes les semaines. Nous les (les députés) avons tous relancés.» • Jack Lang, en retard de trois minutes : «Personnellement, j'étais très triste l'autre jour. Je balançais entre colère et tristesse.» • Noël Mamère, député Vert de la Gironde, a eu la colère la plus sincère : «J'ai honte pour la gauche plurielle. Nous avons trahi cinq millions de personnes qui attendaient de nous des conditions de vie plus dignes (.). Les députés socialistes ont eu peur de rentrer dans leur circonscription en ayant voté pour les pédés !» • Lionel Jospin, Premier ministre, dégagé : «Lorsqu'on a des convictions, il faut se mobiliser.» (NDLR : C'est pas vrai ?) • Roselyne Bachelot, député RPR, professeur de gauche pour élus PS : «Je trouve ça vraiment dommage (...). Je me suis toujours exprimée selon mes convictions. Beaucoup au PS ont été d'une hypocrisie totale : ils étaient contre le texte, ils ne sont pas venus le jour du vote.» • Jean-Louis Debré, député RPR, éternel "pit-bull décérébré" : «Les homosexuels ont droit de l'être. Mais la société n'a pas à encourager ou à favoriser ces unions. L'opposition, lorsqu'elle reviendra au pouvoir, devra supprimer le PaCS.» • Christine Boutin, députée UDF, section vaticane : «Je suis heureuse. Ça fait bien longtemps qu'on attendait ça. Ce n'est pas étonnant, le bon sens existe encore dans notre pays. Les Français peuvent être fiers de leur opposition ( ). La vérité a éclaté au nez et à la barbe du Premier ministre, c'est son premier grand échec.» • François Bayrou, président de l'UDF, biographe à nègre d'Henri IV, pas d'Henri III : «Les socialistes ne voulaient pas de ce projet. Leur sentiment profond était fait de réserve et d'inquiétude. Dans leur majorité ils étaient, sans oser le dire, du côté de ceux qui dénonçaient les risques et les ambiguïtés du texte.» • Philippe de Villiers, député villiériste de Vendée, fou du Puy : «C'est la première défaite de Lionel Jospin. Finalement, les députés socialistes ont décidé de ne pas venir dans l'hémicycle, sans doute tannés par leurs électeurs qui leur ont dit : "On veut pas que vous cassiez la famille. On ne veut pas que vous autorisiez l'adoption des enfants par les homosexuels. » • Thierry Mariani (RPR, Vaucluse), beau gosse, faux jeune mais vrai requin : «Pour la majorité plurielle, le PaCS, facteur d'injustices sociales pour les familles et les enfants, restera comme le début du déclin.».
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Crédit photo : têtu·