En travaillant sur des images de la libération des camps de concentration, le réalisateur suédois Magnus Gertten a exhumé une histoire d'amour lesbienne née dans la nuit nazie. Il retrace cette découverte dans le documentaire Nelly et Nadine, sorti au cinéma ce mercredi 27 novembre.
À Malmö, sur le pont d’un bateau, des femmes d’un autre temps saluent la caméra, sourient, se congratulent. Leur joie démonstrative cache mal la peine, terrible, qui se lit sur de nombreux visages : toutes sont des survivantes. Nous sommes le 28 avril 1945, et la Suède accueille des rescapées des camps de concentration nazis. En travaillant sur l’identité de ces femmes, le réalisateur suédois Magnus Gertten s’est intéressé à Nadine Huong, une fille de diplomate chinois, exhumant un pan de l’histoire lesbienne en passe d’être oublié.
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La veille de Noël 1944, Nadine rencontre Nelly Mousset-Vos à la cantine du camp de concentration de Ravensbrück, à 80 km au nord de Berlin, en Allemagne. Peut-on aimer à l’ombre des barbelés ? Les armées alliées avancent, les nazis massacrent et déplacent leurs prisonniers. Nelly est envoyée à Mauthausen, en Autriche. "La reverrai-je jamais ?" écrit-elle dans son journal.
Récompensé en 2022 par le Grand Prix du jury du Festival du film de Cabourg-Journées romantiques, le documentaire Nelly et Nadine suit la quête du réalisateur pour retrouver des traces de ces vies disparues. Il rencontre ainsi Sylvie, qui, quelque 70 ans après la mort de sa grand-mère, a découvert ses lettres dans une boîte oubliée dans le grenier familial. Et soudain tout s’éclaire, tout se relie.
Une histoire de la vie lesbienne
Son héritage comportait en effet de nombreuses pièces manquantes. "J’allais chez ma grand-mère, elle habitait avec quelqu’un d’autre", se souvient Sylvie. Une autre femme. Personne n’en parlait, alors elle ne s’est jamais posé de questions. Aujourd’hui, elle remue le passé, reconstitue les tragédies. Grâce au papier vieilli où l’encre témoigne d’un amour sans faille, prend forme l’histoire de Nelly, et son coup de foudre inespéré pour Nadine dans la nuit nazie. Après la libération des camps, toutes deux se cherchent, se retrouvent et ne se quittent plus.
Au fur et à mesure, l’histoire se révèle : la Résistance et les camps, mais aussi la vie lesbienne de l’entre-deux-guerres. Ces photos de Nadine dans les années 1930 en compagnie de belles inconnues ? Là, c’est en fait l’écrivaine américaine Djuna Barnes. Ici, la poétesse Natalie Clifford Barney. Nadine fut la chauffeuse, la secrétaire et, sûrement, l’amante de cette dernière quand elle tenait son célèbre salon d’écriture, Le temple de l’amitié, au 20 rue Jacob, à Paris. Dans la capitale française se rencontraient alors tant de futures icônes lesbiennes.
Même à Caracas, au Venezuela, où Nelly et Nadine s’étaient établies après la guerre, lur amour perdure en parallèle de leurs vies de famille respectives. Fouillant les photos et les films de vacances, Sylvie dépoussière les mémoires de sa grand-mère. Seulement le temps a fait son œuvre, et certains visages demeurent anonymes, des vies et des histoires communes semblent s’être tues à jamais. Jusqu’à ce que, quelque part, quelqu’un veuille découvrir qui était vraiment sa grand-mère…
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Crédit photo : Associate Directors