À l'occasion de la projection du film au festival Chéries-Chéris, à Paris, nous avons rencontré Rose Troche, la réalisatrice de Go Fish, un film lesbien devenu culte.
Un film créé pour les gouines, par les gouines. Go Fish, sorti en 1994, est considéré comme un classique fondateur du cinéma lesbien. On y suit Max, lesbienne à casquette qui cherche désespérément une meuf, et sa bande de potes gouines qui comptent bien la caser et pensent avoir trouvé la candidate idéale, Ely. Quoi de mieux pour interpréter une bande de copines qu’une vraie bande de copines ? Rose Troche, la réalisatrice, a fait jouer son carnet d’adresses. Deux ou trois bouts de ficelles, beaucoup d’huile de coude, et vous obtenez un chef-d'oeuvre en noir et blanc – parce que c’est moins cher. Samedi 16 novembre, de nouvelles spectatrices ont pu découvrir Go Fish lors du festival de cinéma LGBTQI+ Chéries-Chéris. Nous, on en a profité pour rencontrer Rose Troche et VS Brodie, qui interprète Ely, et tenter de percer les secrets d’un tel succès.
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"On s’est toutes rencontrées lors d’un meeting d’Act-Up ou de Queer Nation. Go Fish est né de cet esprit communautaire militant, insiste la réalisatrice. Le but, c’était de mettre les lesbiennes en avant." Dans le scénario, qu'elle co-écrit avec Guinevere Turner, les hétéros sont quasi inexistants de ce huis-clos lesbien ancré dans la réalité lesbienne. "Dans ce film, ce sont nos maisons, ce sont nos vêtements, de sont nos amies", énumère VS Brodie. "Je ne sais pas s'il serait possible de refaire la même chose aujourd’hui, rebondit Rose Troche. Simplement dire 'hey tout le monde, vous êtes libres samedi pour qu’on tourne une scène dans un restaurant ?' On demandait aux gens de se ramener pour la communauté, sans qu’il soit question d’argent." Les tournages se sont étalées sur deux ans et se soldaient presque toujours par une tournée générale de glaces ou par un repas bien arrosé dans l’esprit auberge espagnole.
Trop gouine ? Pas assez gouine ?
Puisqu'on parle de goudous, Doc Martens, casquettes, shorts baggy, marcels blancs et vestes en cuir sont partout. Au départ, Rose Troche veut à tout prix éviter les clichés qui gangrènent les productions mainstream. "Pas de lesbiennes aux cheveux courts qui portent uniquement de la flanelle", résume VS Brodie. C’est dans la garde-robe de cette dernière qu’on pioche d’ailleurs la plupart des fringues. Le truc, c’est qu’il faut se rendre à l’évidence : "C’est exactement le genre de vêtements que j’avais !" Alors quoi, est-ce qu’on prend le risque de faire trop gay ? Pas assez gay ? Ça tombe bien, c’est exactement le genre de dilemme qui occupent les personnages du film. "Être prise pour une butch, ça a été un problème dans ma vie, confie Rose Troche. Je ne veux pas dépendre de l’opinion des gens. S’il vous plait, ne projetez pas votre perception hétéronormée sur moi." Aujourd’hui, si elle remarque une tendance à la fluidité, à la nuance en matière d’identité, à l’époque une étiquette impliquait un certain nombre d’attentes en matière de comportements. "Si je suis une butch, on va s’attendre à ce que je top, explique-t-elle. Mais j’adore être une étoile de mer. Je suis une princesse."
Si le regard hétéro est absent, celui de la communauté lesbienne, régie par ses propres codes, est omniprésent. Chacune a son mot à dire sur la vie amoureuse de Max. Le cercle lesbien est un petit village où les ragots vont bon train, où tout le monde a couché avec tout le monde ou était à deux doigts de le faire. Certes, cette proximité comporte son lot de drama, mais est également vecteur d’une grande solidarité. "La plupart de mes meilleures amies sont des exs, admet Rose Troche. Comment de fois je suis allée en soirée en croisant des filles que j’avais datées”, s’amuse-t-elle. Impossible pour elle de comprendre le concept très hétéro de quitter une personne et de ne plus jamais lui parler. "Je suis totalement contre, c’est stupide, tranche-t-elle. Enfin, tu as aimé cette personne, vous avez construit une relation, parfois sur des années. Ce n’est pas rien."
À nos exs bien aimées, la gouinerie reconnaissante
Bien que cette communauté se serre les coudes et fonctionne comme un refuge, elle se révèle parfois étouffante, et Go Fish n’hésite pas à en montrer les aspects moins reluisants. Les amies aimantes peuvent devenir les juges sans pitié que vous craignez de décevoir. Lorsque le personnage de Daria, méga butch, séductrice comme pas deux, baise avec un mec, elle se sent immédiatement coupable et se retrouve face à un tribunal mental constitué de ses ex-amantes prêtes à lui confisquer son statut de lesbienne. "Est-ce que si tu baises un mec, ça te rend moins lesbienne pour autant ? Est-ce que ça fait de toi une mauvaise lesbienne ? Pourquoi une baise sans importance devrait chambouler toute notre identité ?", s’agace Rose Troche. Parmi les membres du casting, les opinions sont partagées. Du sexe hétéro dans un film lesbien, même s’il n’est pas montré frontalement, ça fait tâche. "J’ai personnellement ressenti pas mal de honte liée au fait que j’avais déjà couché avec des hommes. C’est ce qui rend cette scène très importante pour moi. Nous devrions accepter une certaine fluidité", conclut-elle. Et au diable les concepts réducteurs de "goldstar" et leur soi-disant éloge de la pureté.
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