C'est l'un des films les plus poignants de ce début d'année. Avec Tout ira bien, actuellement au cinéma, le réalisateur hongkongais Ray Yeung met en scène une histoire lesbienne d'amour, de deuil et de famille.
Le lauréat du Teddy Award à Berlin en 2024 est sorti au cinéma ce 1er janvier. Tout ira bien s'inscrit dans la lignée du travail intimiste et militant du cinéaste et scénariste hongkongais Ray Yeung, qui raconte ici comment Angie va devoir survivre à la perte de sa compagne, Pat, et aux conséquences sociales et financières de ce décès brutal. Le réalisateur, qui avait signé en 2019 Un printemps à Hong Kong – sur l'histoire d'amour cachée de deux sexagénaires gays –, revient sur l’origine de son nouveau film, sa méthode de travail et ses inspirations, mais également sur les évolutions de la société à Hong Kong.
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- En 2019, vous racontiez dans Un printemps à Hong Kong les amours tardives de deux sexagénaires. Alors que le couple de femmes de Tout ira bien est établi depuis 30 ans…
En 2020, j'étais à Hong Kong et j'assistais à une réunion publique sur les droits des LGBTQI+ et les questions d'héritage. De nombreux cas ont été cités, proches de l'histoire du film avec ses deux femmes en couple depuis longtemps, l’une se retrouvant presque sans domicile à la mort de l'autre. J’ai rencontré et interviewé les personnes qui témoignaient lors de cet événement, et l’histoire d’Angie et Pat a pris forme.
- Pourquoi avoir choisi de parler d’un couple de femmes ?
À Hong Kong, deux hommes en couple depuis plus de 30 ans ont de grandes chances d'être dans le placard, notamment par rapport à leur famille. Pour les couples de femmes qui vivent ensemble, c’est un peu plus simple. Elles peuvent, au départ, passer pour des amies proches, et l’acceptation peut se faire progressivement. Mais quand quelque chose change, comme la mort de l’une des femmes du couple, la veuve réalise que, malgré les années, elles n'ont jamais été considérées comme un vrai couple. Dans toutes les interviews que j’ai réalisées, ces femmes étaient très surprises que les membres de la famille de leur compagne leur aient tourné le dos.
- À ce sujet, quels sont les textes de loi en vigueur pour les couples gays à Hong Kong ?
À Hong Kong, il n'y a pas de mariage homosexuel, pas de partenariat civil. Et même si vous vous mariez à l'étranger, vous ne serez pas officiellement reconnus comme un couple. Récemment, il y a eu un changement. Certains activistes ont attaqué en justice le gouvernement, et le verdict, rendu public il y a peu, a statué que le gouvernement de Hong Kong devait reconnaître les droits des couples de même sexe mariés à l’étranger. C’est un début ! Mais ce n'était pas le cas quand j'ai tourné le film.
- Dans les premières scènes du film où la famille est réunie, tout semble idéal. Mais à un moment, brusquement, tout bascule…
Oui, j’ai voulu montrer un couple très ordinaire, montrer leur vie quotidienne avec sa routine, les petites choses qu’elles ont créées à deux, la façon dont elles ont appris à se comprendre sans tout verbaliser… J’avais aussi besoin que l’on voie leur environnement proche, qu’on comprenne que le couple est accepté par son entourage, avant qu’Angie se retrouve démunie à la mort de Pat. Au début, elle perd son amoureuse, avant de se rendre compte, petit à petit, qu’elle peut aussi perdre l'appartement dans lequel elles vivaient, etc. Elle perd en réalité une partie de son identité, sa place dans la famille de Pat où elle pensait être devenue quelqu'un d'important et de respecté.
- Le film dessine la situation avec finesse, sans manichéisme. C'était important pour vous ?
Je pense que dans la réalité, les gens, les situations, sont plus compliqués qu'il n'y paraît. Je ne voulais pas qu'il y ait une héroïne et des méchants. On n’est pas dans Star Wars ou ce genre de films très manichéens, où tout est clair dès le départ. J’avais besoin que le public ait aussi une forme d’empathie pour la famille de Pat, qu’il se questionne avec eux, qu’il pense à ses propres obligations morales, à sa propre homophobie aussi.
- Où en est-on de l’acceptation à Hong Kong ? Les personnages plus jeunes du film semblent être pris entre deux feux…
Les plus vieux, même lorsqu'ils acceptent l'homosexualité, n’ont pas envie de se battre contre la pensée traditionnelle. La génération plus jeune, en revanche, est beaucoup plus ouverte aux questions LGBTQI+. Mais à quel point ? C’est aussi une des questions que pose le film, qui confronte la façon dont on a appris à considérer un couple lesbien avec lequel on a grandi et son propre intérêt, notamment quand la crise du logement devient un véritable enjeu qui met beaucoup de pressions sur les relations sociales. Quand vous êtes face à un dilemme, c'est toujours plus facile de choisir ce qui est considéré par la société comme une norme. Le moment même des funérailles fait ressortir tout ce qui a trait à la tradition, aux rituels, parce qu’on est vulnérable. Dans ces moments, le patriarcat reprend ses droits et il n'y a bien sûr pas de place pour les couples de femmes ou la communauté LGBTQI+.
- Cette crise du logement est-elle devenue un obstacle supplémentaire pour les populations LGBTQI+ à Hong Kong ?
Oui, absolument ! Par exemple, si vous souhaitez être en couple, il est rare de pouvoir trouver un appartement, donc vous devez vivre avec votre conjoint chez vos parents, ce qui n’est souvent pas possible pour les LGBTQI+. Donc vous pouvez imaginer la pression que cela fait peser sur les relations naissantes. Cela dit, le propos du film est tout de même universel, bien que les questions d'injustice et de discriminations résonnent différemment. En France, l’égalité des droits entre les couples hétéros et les couples de même sexe a une dizaine d’années, ce qui n'est pas non plus énorme.
- Votre travail débute souvent par des interviews. Est-ce ainsi que vous avez pu envisager de raconter, en tant qu’homme gay, l’histoire d’un couple lesbien ?
Effectivement ! Je devais comprendre pourquoi les personnes interviewées avaient fait ces choix. Je pense que c'était important de passer par ces entretiens, même si j’étais un peu inquiet au début qu’on pense que je m’appropriais quelque chose. J’ai pu échanger avec des amies, et notamment avec Denise Tran qui est professeure à l'université à Hong Kong et qui a beaucoup travaillé et écrit sur les couples de lesbiennes hongkongaises et plus âgées. J'ai donc demandé son aide, et de nombreuses personnes concernées ont assisté à des lectures du scénario. Grâce à leurs commentaires, j’ai écouté et réécrit le film. J’ai beaucoup avancé grâce à elles.
- Tout ira bien est vraiment doux, intimiste et sensible. Comment vous y êtes-vous pris ?
Dans un premier temps, nous avons décidé de ne pas utiliser de musique pour éviter de créer une émotion trop factice. Pour les inspirations, je vais citer trois cinéastes que j’aime beaucoup : Ozu pour son sens des ellipses, sa façon de ne pas tout montrer ; Kore-eda, un autre Japonais, pour l’aspect très calme de ses films qui masque toujours une tension puissante ; et le réalisateur français Olivier Assayas dont j’adore L’Heure d’été. C'est aussi un film sur la famille et la manière dont chacun peut avoir une attitude très différente selon ses propres intérêts au sein d’une famille. Dans ce film également, personne n’est bon ou mauvais…
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Crédit photo : Mise en Scene film production