[Article et shooting à retrouver dans le magazine têtu· de l'hiver] Paquet moulé et fessier rehaussé font un gay bien habillé. Pour cela, le jockstrap est notre indéfectible allié. Le voilà qui célèbre cette année un âge vénérable sans avoir pris une ride. Petit chanceux.
Photographie : Benjamin Guillonneau pour têtu·
Stylisme : Jacopo Fiorentino pour têtu·
Une affaire qui roule
Croyez-le ou non, mais le jockstrap – en français on devrait dire "suspensoir", un terme joliment évocateur – est le plus vieux des sous-vêtements modernes. Pratique avant d'être lubrique, il a toujours été destiné au cul, mais d'abord à ceux des cyclistes. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, à Boston (États-Unis), tout le monde communiquait par télégrammes ("slt – stop – tu ch quoi ? – stop"), comble de la modernité, mais les livreurs qui portaient les messages à vélo avaient l'entrejambe un peu irrité à force de rebondir sur les pavés. En 1874, Charles F. Bennett trouve la solution avec un nouveau sous-vêtement au design simple : une bourse en tissu blanc, une ceinture élastique et deux bandes latérales pour tout maintenir en place. Il propose son idée à l'entreprise d'équipement sportif qui l'emploie, et le "Bike Jockey Strap" est né ! En 1897, le protecteur de tant de bijoux de famille décide de se lancer à son compte, crée la Bike Web Company et se met à produire son invention en masse sous le nom de "Bike #10 Jockstrap". L'histoire ne retiendra que la dernière partie du nom, et nous les bulges bien moulés qu'il a rendus possibles…
Jockstrap, protège-moi !
Au début du XXe siècle, notre bien-aimé "jock" devient si populaire que des médecins en proposent à leurs patients. Les docteurs s'aperçoivent que son port facilite la convalescence après certaines blessures ou opérations chirurgicales. Par exemple, pour les hommes souffrant d'une hernie, le soutien des bandes latérales logées sous les fessiers aiderait à atténuer la douleur. Pas très sexy, mais l'objet se répand rapidement chez les athlètes de tous bords : joueurs de foot, de basket, de baseball… Tous ces hommes magnifiques se mettent à porter le Précieux à des fins athlétiques, bien sûr, tout comme nous. Dans les années 1920, il est devenu partie intégrante de l'équipement de base de nombreux sports. La Bike Web Company est dépassée par la demande, et d'autres entreprises se mettent à produire des jockstraps, ici avec des matières plus respirantes, là avec des élastiques plus ajustés, etc. En 1927, la canadienne Elastic Hosiery innove avec son modèle fortifié d'une coque solide au niveau de l'entrejambe, destiné aux hockeyeurs qui souhaitent se protéger des douloureux coups de crosse. Alors qu'aujourd'hui beaucoup enfilent leur jock en espérant en recevoir de bien sentis.
Le meilleur ami des gays
De nos jours, c'est acté, le jockstrap est pédé. Une appropriation pourtant tardive. Dans les années 1950, époque sans presse gay, nos valeureux prédécesseurs se rinçaient l'œil avec les "beefcake magazines" spécialisés dans le culturisme, comme Physique Pictorial ou Tomorrow's Man, où l'on trouvait notamment des sportifs en jockstrap. Synonyme de puissance et de virilité, ce slip aéré devient peu à peu l'accessoire masculin par excellence dans la communauté. Et lorsque les athlètes le délaissent – tristesse ! – dans les années 1980, les homos en font leur sous-vêtement fétiche – joie ! Chacun y trouve son compte : le jockstrap ne discrimine pas et sublime autant les attributs de l'actif que ceux du passif. TBM ou petit format, le top voit son paquet mis en valeur, quand le bottom profite d'un boulard bien galbé quelle que soit sa cambrure. Le jock est un rehausseur de sex-appeal qui apporte volupté et confiance en soi tout en permettant, accessoirement, un accès plus direct à la terre promise… Le voilà si solidement assis dans la culture gay que Lady Gaga, qui n'aime rien tant que nous allumer, a misé sur un exemplaire fuchsia collector pour promouvoir la sortie de son album Chromatica en 2020.
Plus in que jamais
Sache, lecteur, que depuis sa création, Bike Athletic – le nom actuel de la Bike Web Company – a vendu plus de 350 millions de jockstraps à travers le globe, soit plus de 2,7 millions par an. Le chiffre est énorme, et ce n'est pas la seule entreprise à en commercialiser. Gucci, Versace, Calvin Klein, Tom Ford, pour ne prendre que quelques grands noms, ont fait du jock la star des défilés et des pages mode. Associant l'esthétique et la provocation, il permet à des designers établis d'afficher un virage gentiment subversif. Dans le sillage de cet élan fashion, les célébrités s'en emparent pour faire grimper leur niveau de cool : Troye Sivan en arbore un exemplaire très classique dans le clip de son carton "Rush", l'iconique postérieur de Kim Kardashian s'affiche lardé dans un modèle blanc à fines rayures en couverture d'Interview Magazine, Kristen Stewart y glisse la main en une de Rolling Stone… D'ailleurs une version existe pour protéger les vulves, appelée "jillstrap", très utilisée dans certains sports de contact. Mais de toute façon le concept est non-genré, car qu'il soit blanc ou coloré, uni ou à motifs, en coton ou en cuir, à franges ou à fermeture éclair, le jockstrap sera toujours une ouverture sur le champ des possibles.
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