livres"Photo sur demande" de Simon Chevrier, portrait romanesque de la génération Grindr

Par Mathias Howald le 05/03/2025
Simon Chevrier est l'auteur de "Photo sur demande"

Avec Photo sur demande, son premier roman, le jeune auteur Simon Chevrier signe le portrait, inspiré de sa propre vie, d'un gay d'aujourd’hui.

Un jeune homme, le corps plié en deux, suce son doigt de pied et nous regarde droit dans les yeux : cette image en noir et blanc, prise par le photographe Peter Hujar, orne le bandeau du livre de Simon Chevrier, Photo sur demande, publié aux éditions Stock. L’image nous accompagne dans la lecture tout comme elle fascine le narrateur, un étudiant dont le quotidien se délite. Au moment où son père meurt, il cherche à être compris et aimé, mais le monde se ferme sous le coup des restrictions sanitaires, les corps se rétractent et se pixelisent sur des écrans. Fasciné par Daniel Schook, le modèle contorsionné, le narrateur enquête pour retrouver cette figure mystérieuse (qui était-il ? est-il encore vivant ?). Ce faisant, il s’aventure dans une quête de sens et de beauté.

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Né en 1992, Simon Chevrier est diplômé du master Création littéraire du Havre où a été initiée l’écriture de Photo sur demande, son premier roman qu’il décrit comme "d’inspiration autobiographique". Le texte, fragmentaire et servi par une écriture claire, alterne entre des souvenirs du corps du père, l’évocation de passes tarifées, des rencontres plus ou moins lumineuses avec des garçons, des projections amoureuses ou encore la recherche de traces laissées par Daniel. Dans les blancs entre les paragraphes, cadrés comme des polaroids, s’immiscent les affects ; les ellipses sont des marques de pudeur.

Un roman de filiation pédée

Et cela tient parce que ces fils sont noués en profondeur dans l’intimité de l’écriture, sans que les coutures soient rendues inutilement visibles. Dans ce roman de filiation pédée, des lignées ont été rompues par l'épidémie de sida, de fausses figures paternelles apparaissent et les idoles sont de papier glacé. Comme Annie Ernaux dans Passion simple ou Lou Reed dans une rue de l’East Village, le narrateur de Simon Chevrier attend son homme. Ce sera, au choix, un amant de passage ou un amoureux, un psychologue ou un client, une effigie sur un frigo ou plus prosaïquement un reflet de lui-même.

En arrière-plan se dessine un portrait grimaçant de la génération Grindr, où nos photos de profil nous figent dans ce moment décrit par Roland Barthes : "Je ne suis ni un sujet ni un objet, mais plutôt un sujet qui se sent devenir objet." Sous nos yeux, le "je" du livre résiste à l’objectivation en ne se dévoilant jamais totalement – "j’essaie plusieurs poses, laissant une partie de mon visage dans l’ombre". On a beau louer ses charmes, le narrateur reste libre, le cœur battant, la gorge en feu, au bord du gouffre : "J’ai comme une envie de déchirer le décor, comme une urgence née à l’intérieur de mon ventre que je dois à tout prix expulser."

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Crédit photo : Dorian Prost

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