livres"Pourquoi les lesbiennes sont invisibles" : rencontre avec la photographe Marie Docher

Par Tessa Lanney le 07/03/2025
Marie Docher

La photographe Marie Docher a observé les mécanismes d'effacement des lesbiennes durant toute sa carrière. Dans son nouveau livre, elle en dénonce les conséquences sur nos mémoires.

Seriez-vous capable de citer une dizaine d’écrivaines lesbiennes, ainsi que le titre d'une de leur œuvre ? Si tel n’est pas le cas, pas de panique, c’est l’effet de l’invisibilisation de ces autrices et de leur sexualité. En tant que photographe, Marie Docher a la double casquette d’artiste et d’observatrice. Son livre, Pourquoi les lesbiennes sont invisibles, édité au Seuil, n’est pas tant un essai sociologique sur les mécanismes d’effacement qu’un long témoignage rempli de connaissances et d’anecdotes qui nous plongent dans le monde de la photographie et de ses boy’s clubs.

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Mais l'autrice ne se lance pas dans une énième enquête. La sociologue Sarah Jean-Jacques et la chercheuse Sophie Pointurier ont déjà tenté d’apporter un éclairage sur les mécanismes qui conduisent à l’effacement des lesbiennes dans Le Déni lesbien : celles que la société met à la marge, paru en 2024. En 2023, dans son premier livre, Et l’amour aussi, Marie Docher avait entrepris un travail de visibilisation à travers 50 portraits de gouines, toutes générations confondues. Un ouvrage bienvenu qui mettait en avant des lesbiennes âgées, dont les représentations manquent cruellement.

Dans Pourquoi les lesbiennes sont invisibles, la photographe propose un essai à la fois étayé et personnel, inspiré de son travail derrière l'objectif à chercher des modèles, des sœurs qu'elle réunit dans son livre autour du terme "lesbienne". Un mot "simple et révolutionnaire à la fois" qu'elle décide d'utiliser après l'émergence de La Manif pour tous pour parler du travail des artistes. Son objectif ? Montrer que l'art lesbien est aussi un regard marqué par un vécu minoritaire, qu'elle tient aujourd'hui à mettre en avant, à revendiquer.

Femme et lesbienne, la double peine

Dans son ouvrage, Marie Docher évoque par exemple la photographe lesbienne Berenice Abbott, souvent abordée sans que sa sexualité soit précisée. Comme l'a expliqué à notre autrice Gaëlle Morel, curatrice au musée The Image Center, à Toronto : "Abbott ne souhaitait pas être reconnue publiquement en tant que lesbienne ; être une femme lui avait déjà coûté cher. Le fait d’être lesbienne a eu un impact encore plus négatif sur sa vie professionnelle" en lui valant le mépris de ses pairs. Être une femme a un prix. Être lesbienne aussi. Puisque les lesbiennes, les vraies, et non celles qui peuplent les fantasmes hétéros, ne seraient pas désirables, la valeur de leur travail a longtemps été dépréciée, et continue de l'être aujourd'hui.

Pas étonnant, donc, que certaines artistes fassent le choix de taire leur orientation sexuelle. Au début de sa carrière, Marie Docher a usé d'un pseudonyme masculin : Vincent David. Le constat est sans appel : "Les gens trouvaient ce Vincent David si juste, si intelligent, si cultivé, alors que ce que je disais, moi, Marie Docher, était nourri des pires biais de l’hystérie militante féministe."

Si l'autocensure est un facteur indéniable de l'invisibilisation, Marie Docher pointe aussi les ayant-droits des artistes. Concernant Berenice Abbott, ses héritiers ont préféré garder le silence sur son orientation sexuelle, taire ce que la photographe elle-même ne criait pas sur tous les toits. Pour respecter les volontés de la défunte, diront les uns, pour ne pas impacter les profits des ventes posthumes, soutiendront les autres. En dehors des pornos, les goudous, c'est moins vendeur. Mais ce livre prouvera peut-être le contraire.

>> Lancement de Pourquoi les lesbiennes sont invisibles le 21 mars à la librairie-café Violette and co, à Paris.

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Crédit photo : Emmanuelle Marchadour

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