L'entourage de Marianne Faithfull a annoncé ce jeudi 30 janvier la mort de la chanteuse britannique à l'âge de 78 ans. Elle nous avait donné une interview en 2014, que nous reproduisons ici dans son intégralité.
Propos recueillis par Romain Burrel ; interview parue en octobre 2014 dans le magazine têtu· no 203
Idole sixties, baronne trash, miraculée du rock, voilà un demi-siècle que l'Anglaise traîne sa noblesse bohème et sa voix fracassée dans le show business. Fiancée de Mick Jagger, clocharde céleste, chanteuse toxique mais aussi actrice ; Patrice Chéreau a vu en elle une femme blessée, Sofia Coppola une impératrice, quant à Sam Garbarski, il a fait d'elle la branleuse de bites experte de son Irina Palm. Mais c'est en musique que Lady Marianne fête son jubilé, avec Give My Love To London, album qui prouve que le rock n'a pas d'âge. Rencontre.
- Vous allez fêter vos 50 ans de carrière. Vous avez survécu à la tuberculose, aux drogues, aux Rolling Stones, à la cigarette [Marianne a cessé de fumer il y a six mois], au cancer du sein et, récemment, à une fracture de la hanche. Vous êtes la "Highlander" du rock !
Marianne Faithfull : C'est vrai, Très peu de femmes de ma génération sont encore en activité. À part Yoko Ono, qui reste d'ailleurs une de mes amies les plus chères.
- Et vous revenez avec un nouvel album aux crédits vertigineux : Anna Calvi, Ed Harcourt, Nick Cave, Roger Waters… Ce n'est plus un disque, c'est la ligue des super-héros du rock !
Ces gens sont mes amis ! Des amis très proches, comme Nick et Roger. L'idée était de montrer que faire de la musique, du rock'n'roll, ça n'est qu'un truc de gosse.
- Sur ce disque, il y a une chanson sublime sur l'inconstance du sentiment amoureux : Love More Or Less…
L'amour entre deux personnes est en perpétuel changement. En tout cas, dans ma vie, ça a toujours été le cas. Vous savez, toutes ces choses que j'écris sont terriblement personnelles. Je ne connais que cette manière d'écrire. Et je crois avoir un public très sensible qui comprend cela. Cela peut paraître présomptueux mais je ne pense pas que mon travail soit destiné aux masses. Même si occasionnellement un ou deux titres se frayent un passage dans les charts ! Je ne dis pas que je ne suis pas populaire. J'ai quelques hits, bien sûr. Mais je ne suis pas Madonna ou Lady Gaga. Dieu merci, putain ! Désolée : je suis snob.
- Vous chahutez Madonna, mais il y a sur votre nouvel album deux chansons signées Patrick Leonard, l'homme qui a composé la moitié de ses hits !
C'est vrai. Madonna est OK. Je ne veux pas lui faire de tort. Mais Lady Gaga ? Elle en fait trop selon moi.
"Grâce à Jagger et Bowie, toutes les petites pédales londoniennes sont sorties du placard !"
- Vous partagez tout de même avec ces chanteuses un point commun : une relation privilégiée avec le public gay.
C'est vrai mais, moi, je ne l'ai jamais cherché à tout prix. J'ai toujours eu beaucoup d'homos autour de moi. Je devais même chanter au mariage d'un couple d'amis gays, ce week-end, mais j'étais souffrante. Et j'ai longtemps été bisexuelle moi-même. Ma mère aussi d'ailleurs !
- Votre mère, on ne se souvient pas d'avoir lu ce détail dans votre biographie…
Ce n'est pas quelque chose que je lance à la cantonade, mais, oui, ma mère, Eva [von Sacher-Masoch, nièce de l'écrivain Leopold Sacher-Masoch dont le patronyme a forgé le mot "masochisme"], était bisexuelle. Je crois qu'elle a arrêté lorsqu'elle s'est mariée, mais je n'en suis même pas sûre. À 18 ans, elle était danseuse de ballet à Berlin, sous la république de Weimar. C'est là qu'elle a eu plusieurs expériences bisexuelles.
- Vous, vos expériences bisexuelles ont eu lieu surtout dans les années 1960, non ?
Oui, mais je ne suis jamais tombée amoureuse d'une femme. Peut-être ne suis-je pas bisexuelle finalement… Andrew [Oldham, le manager des Stones], lui, était gay, et Mick l'aimait beaucoup. Je n'ai jamais pensé que Mick Jagger était bisexuel mais peut-être l'était-il, après tout ? Je pense que c'était un coup de publicité.
- Comme David Bowie qui, en 1972, déclarait au Melody Maker : "Je suis gay, je l'ai toujours été ?" Vous pensez que c'était juste de la provocation ?
Exactement ! Ça n'était qu'une posture. Un coup magistral, je dois dire. Merci à eux. Grâce à eux, toutes les petites pédales londoniennes sont sorties du placard ! (Rires.) C'était merveilleux ! J'ai adoré ça ! L'aspect marketing d'une telle réputation n'a pas n'a pas échappé à Mick. Il se disait : "Je veux que toutes les filles du monde soit amoureuse de moi. Mais je veux que tous les garçons le soient tout autant !"
"Rappelez-vous ces horribles cortèges de l'année dernière qui sont venus défiler jusque sous mes fenêtres, boulevard du Montparnasse."
- Jagger, Bowie, Brian Jones… Toutes ces rock stars anglaises étaient incroyablement sexy, non ?
À l'époque, je les trouvais surtout… boutonneux ! Mick s'est amélioré avec le temps. Quand je me suis bien occupée de lui. Et de son régime… C'est en mangeant gras qu'on chope des boutons !
- Ces anciennes histoires d'amour nourrissent-elles encore votre écriture aujourd'hui ?
Non. Il n'y a pas une seule chanson sur ce disque qui fasse référence à Mick Jagger. Pas une seule note ! Ces chansons sont pour François [Ravard, son manager et ex-compagnon dont elle est restée très proche].
- Vous êtes le prototype de la femme libre. Que vous inspirent les propos d'une chanteuse comme Lana Del Rey, qui a récemment déclaré que le féminisme ne l'intéressait pas ?
Quelle idiote ! Elle ignore profondément qui elle est et d'où elle vient si elle méprise les sacrifices que ces gens ont faits pour elle. Quelle erreur… Tout reste à faire : le patriarcat regagne du terrain ! Vos lecteurs le savent mieux que quiconque. Rappelez-vous ces horribles cortèges de l'année dernière [La Manif pour tous, ndlr] qui sont venus défiler jusque sous mes fenêtres, boulevard du Montparnasse. J'étais chez moi avec mon meilleur ami, Jerry, qui est gay justement, et nous étions tous deux terrorisés et, surtout, atterrés. Merci l'Église catholique pour toutes ces conneries.
À lire aussi : Mort de David Lynch : comment "Mulholland Drive" m'a rendue lesbienne
Crédit photo : compte Instagram de Marianne Faithfull