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éditoHomosexualité et cinéma : merci, Muriel Robin, d'avoir dit vrai

Par Thomas Vampouille le 18/09/2023
Muriel Robin dans "Quelle époque", le 16 septembre sur France 2

La comédienne et humoriste lesbienne Muriel Robin a mis les pieds dans le plat en affirmant haut et fort ce que tout le milieu parisien des médias et de la culture sait déjà : les acteurs gays de premier plan sont dans le placard. Hélas.

Comme ça, à chaud, les journalistes de têtu· pourraient vous citer une demi-douzaine d'acteurs connus de tous les Français mais dont ces derniers ignorent qu'ils sont gays. Spoiler : nous ne le ferons pas, évidemment, car têtu· combat l'outing. Et quand on vous dit une demi-douzaine, on ne parle pas des paquets de rumeurs qui circulent à Paris sur tel ou telle – c'est un sport très répandu, dans la capitale, que de faire courir le bruit de l'homosexualité des people ou des politiques –, seulement de personnalités qui ne cachent pas leur homosexualité en off ou qui la vivent, loin des projecteurs, ouvertement.

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Que nous disent ces acteurs (ce sont beaucoup des hommes gays) qui acceptent d'évoquer le sujet avec nous dans des conversations privées ? Exactement ce qu'a affirmé Muriel Robin dans Quelle époque, l'émission de Léa Salamé, ce samedi 16 septembre sur France 2 : ils savent qu'en révélant publiquement leur homosexualité, leur carrière en pâtirait. "J'ai interviewé plusieurs acteurs qui cachaient leur homosexualité. Un notamment, souvent en 1er rôle, qui dit que s’il faisait son coming out on ne lui proposerait plus que des rôles de gay", a appuyé le journaliste de TF1 Christophe Beaugrand sur X (Twitter).

Muriel Robin, Neil Patrick Harris et Ian McKellen

Comment le savent-ils, rétorquent sur les réseaux sociaux des petits malins, que leur carrière en pâtirait, puisque par définition ils n'ont pas essayé de sortir du placard ? "Citez-moi au monde un acteur ou une actrice qui a fait une grande carrière quand il est homosexuel, il n'y en a pas", a développé Muriel Robin, expliquant connaître également ces "acteurs homos français qui se taisent, sinon on ne leur mettra plus jamais une femme dans les bras". Et la comédienne lesbienne de conclure : "Cela veut dire que quand on est homosexuelle, on n'est pas désirable, on n'est pas pénétrable". 

On aurait bien des arguments à opposer aux mêmes hétéréos sachants qui, pour prouver qu'elle a tort, brandissent en boucle les mêmes noms. Neil Patrick Harris ? Il a fait son coming out après être devenu une star, dans la série How I met your mother où il incarnait l'archétype du dragueur hétéro. Ceux qui prétendent que sa carrière a décollé par la suite n'ont qu'un rôle à citer : celui du méchant dans Matrix Resurrections, qui soit-dit en passant était réalisé par une personne queer, Lana Wachowski. Ian McKellen ? Les deux rôles qui lui ont conféré une notoriété mondiale, dans les X-Men et Le Seigneur des anneaux, il les a obtenus après l'âge de 60 ans, quand de fait la question du désir (hétéro) projeté sur l'acteur, pointée à juste titre par Muriel Robin, se posait beaucoup moins.

Cinéma et homophobie

On pourrait continuer longtemps comme ça, mais le simple chiffre des contre-exemples cités pour contredire Muriel Robin confirment en réalité son propos : il y a beaucoup plus d'acteurs gays dans le placard qu'en-dehors. Est-ce à dire que le milieu du cinéma est resté aussi homophobe que dans les années 50, quand Rock Hudson ou James Dean devaient jouer les playboy straight pour espérer percer à Hollywood ? Si aujourd'hui un cinéma queer peut exister, l'homophobie dans ce milieu reste systémique en ce sens que les producteurs anticipent l'homophobie du public qui empêcherait, par exemple, un acteur gay d'être jugé crédible dans un rôle d'hétéro archétypal. Regardons les choses en face : personne n'imagine, pas même Margot Robbie, faire rêver le grand public devant une Barbie notoirement lesbienne, pas plus qu'on imagine la masse des hommes hétéros se projeter dans un Napoléon, De Gaulle, Chirac ou Tapie joué par un homme ouvertement gay.

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Pierre Arditi réagit aux propos de Muriel Robin dans Quelle époque.

Ce qui pose problème ici, on le voit bien, fait écho à ce qui se joue dans le football masculin : un public mâle (et fragile) réputé incapable de désirer une lesbienne qui ne serait pas Kristen Stewart, ou bien de respecter un bonhomme sodomite. Alors que faire ? "Il faut que les producteurs, les réalisateurs disent aux jeunes comédiens et comédiennes [homos] que ce n'est pas la peine qu'ils fassent ce métier, ils ne feront pas de cinéma", a lancé une Muriel Robin désabusée. Heureusement, des jeunes interprètes ont déjà choisi d'outrepasser ce conseil et de commencer leur carrière en étant out. Comment ont-ils réagi aux propos de leur aînée ? "Feel you sis", l'a soutenue Félix Maritaud, ajoutant ce lundi : "On n’a pas besoin d’Oscars on a déjà gagné nos désirs". Mais ce n'est pas aux plus jeunes d'assumer seul·es la charge d'exploser des décennies de système hétéropatriarcal LGBTphobe. La solution est la même que pour la Ligue 1 : le cinéma a besoin que des stars établies, qui n'ont plus rien à prouver quant à leur capacité à être respectées par un public masculin, osent dire une bonne fois pour toutes : eh bien vous voyez, depuis le début j'étais gay, et ça n'a rien changé.

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Crédit photo : France 2