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sexoOnlyFans, Mym… chacun tourne son porno, mais dans quelles conditions ?

Par Youen Tanguy le 19/05/2025
OnlyFans, Mym… chacun tourne son porno.

[Article à retrouver dans le magazine têtu· du printemps] De plus en plus d'amateurs se lancent dans le porno sur des sites comme OnlyFans ou Mym. Mais comment ces plateformes s'assurent-elles que la démocratisation du X ne vire pas au Far West ?

Illustration : Nada Hayek pour têtu·

Qui n'a jamais scrollé frénétiquement les vidéos de Fabio Stallion ou de Maxime Andolini ? Niez, niez, de toute façon, on vous voit : à eux deux, ces stars françaises du porno gay cumulent plus de 760.000 abonnés sur le désormais bien nommé X (ex-Twitter), le seul des grands réseaux sociaux à autoriser – officiellement, depuis juin 2024 – les publications à caractère sexuel. Mais les tweets et la célébrité ne remplissent pas le frigo. La plateforme d'Elon Musk est juste une vitrine : on y voit des extraits, des bandes-annonces, des photos alléchantes… Pour profiter pleinement de tout ce que ces apollons ont à offrir, il faut se diriger vers d'autres sites, payants cette fois.

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L'internaute des années 2000 finissait par voir son numéro de carte bleue volé après avoir cliqué sur un pop-up lui promettant une vidéo intégrale des plus chaudes. Aujourd'hui, l'amateur de contenus pour adultes paye des plateformes sécurisées pour suivre en toute sérénité les gesticulations de ses stars préférées. La plus utilisée pour le porno à ce jour est OnlyFans, lancée en 2016. Comme beaucoup de ses concurrents, le site britannique ne se destinait pas au X, et sa page d'accueil vous propose toujours innocemment de "soutenir vos créateurs préférés". Il ne produit rien, il héberge des contenus (des photos, des vidéos, des streams) et gère les abonnements.

Influenceurs du cul

Il doit bien sûr être possible de suivre votre céramiste favori sur OnlyFans, mais soyons réalistes : les amoureux de la terre cuite n'expliquent que peu le 1,3 milliard de dollars de chiffre d'affaires affiché pour un bénéfice dépassant les 600 millions de dollars pour le site en 2023. On comprend mieux pourquoi son concurrent Mym lorgne ouvertement sur le marché du porno. Le cul, ça rapporte. C'est d'ailleurs pour cela que de nombreux jolis garçons sont soudain très tentés de se lancer dans le business…

Le succès de ces plateformes reflète aussi les changements profonds du marché des contenus pour adultes. À l'ère des cassettes vidéo, des DVD et des sex-shops glauques, les studios étaient tout puissants. Désormais, ils sont inutiles, et les acteurs les voient même comme une gêne. "Certains cherchent à vous coller une étiquette, argue Hugo Dupré, 22 ans, nommé Meilleur twink de 2024 aux Grabby Awards, les Césars du porno gay. Moi, c'était le « twink innocent qui se fait baiser », et tant pis si ça ne me correspondait pas." Sur les plateformes, il contrôle totalement son image et ses contenus. "Quand on travaille avec les studios, tout est très léché, soigné, propre. Sauf que mes abonnés préfèrent le naturel à la beauté visuelle", souligne RSsecurityX, acteur de 33 ans. Dites-vous qu'avant, les studios décidaient même de qui tournait avec qui. "Moi, je choisis avec qui je joue, je fais les positions que j'aime et le scénario qui me plaît…" énumère Maxime Andolini. De l'autre côté de l'écran, l'abonné y trouve son compte, avec des contenus qui paraissent plus authentiques.

Acteur pour acteur

Néanmoins, l'amateur avisé aura remarqué que, souvent, ses stars préférées aiment tourner ensemble. Alors, certes, travailler avec un autre pro à ses avantages devant la caméra… Mais le porno, ce n'est pas que de la gaudriole : c'est aussi de l'administratif. "Je privilégie les acteurs qui sont déjà sur les plateformes, explique ainsi Hugo Dupré. C'est beaucoup plus simple à organiser, et ça limite le risque de tomber sur des gars qui renoncent au dernier moment à publier." Mais d'ailleurs, comment les plateformes vérifient-elles que les non-­professionnels savent où ils mettent les pieds ? OnlyFans dit s'assurer que "toute personne figurant dans du contenu explicite a consenti à l'utilisation de son image avant que le contenu ne soit partagé". Concrètement, si RSsecurityX vient de tourner avec Thomas et veut poster la vidéo sur son compte, il doit obtenir son autorisation par écrit via un document en ligne fourni par le site, avec ses coordonnées et une photo de lui tenant sa pièce d'identité. Similairement, Mym met à disposition de ses modèles une "autorisation de diffusion et d'exploitation commerciale" et assure réaliser "des exercices de vérifications aléatoires sur les contenus" : "En cas de contrôle, le créateur de contenus devra fournir l'autorisation écrite ainsi que la preuve de majorité du tiers apparaissant dans les contenus." Sans ces éléments, il risque l'exclusion.

C'est pourquoi Romain, alias Niamorxx, ne tourne pas avec des amateurs ou des occasionnels, et privilégie ceux qui sont déjà "actifs" dans le milieu : "Les garçons qui n'ont pas de compte n'ont pas forcément fait le cheminement nécessaire pour comprendre les implications d'apparaître dans des contenus pour adultes." Pour se simplifier la vie, certains créateurs délèguent le travail administratif à des agences. Celle de Mathieu Dor, 29 ans, "ton mâle alpha préféré" d'après son profil Mym, gère ainsi la diffusion du contenu, les questions juridiques, les droits d'auteur… "La plupart des créateurs de contenus n'ont pas en tête qu'il faut faire signer des formulaires de consentement ou de cession de droit", déplore son conseiller.

"Le contrôle est une bonne chose, mais je trouve que ça va parfois un peu loin."

Avec des milliers d'amateurs qui se lancent dans le X, les plateformes ont fort à faire en matière de modération : comment vérifier que tous ces contenus ne tombent pas, à leur tour, dans des travers qu'a pu connaître l'industrie du porno ? Interrogé, OnlyFans s'est contenté de nous rediriger vers ses conditions d'utilisation. Une liste de "mots interdits" bloque automatiquement les contenus ciblés, et des modérateurs, assistés d'outils d'intelligence artificielle, scrutent en outre les photos et les vidéos publiés pour identifier ceux qui enfreignent la loi ou le règlement : présence de mineurs, violences, non-consentement, activités illégales, etc.

Quitte à trop serrer la vis : Fabio Stallion rapporte que l'une de ses photos a été supprimée d'OnlyFans au motif qu'il avait les yeux fermés et pouvait donc ne pas être consentant. Plusieurs créateurs nous disent par ailleurs y avoir été censurés pour des vidéos montrant du poppers ou des pratiques jugées "extrêmes", comme le fist, l'uro ou la pénétration anale autrement qu'avec un pénis ou un jouet ressemblant à un pénis. "On est contraint à faire des vidéos assez « traditionnelles »", confirme Fabio Stallion. "Le contrôle est une bonne chose, mais je trouve que ça va parfois un peu loin, soupire Even Canaillou, 21 ans. Ça reste une vision un peu restreinte de ce qu'on peut faire dans le sexe…"

Face à l'excès de puritanisme parfois reproché à la plateforme anglo-saxonne, le Français Mym, seul à avoir accepté de nous répondre, plaide pour une création "sans jugement ou forme de morale". Et son service communication de faire valoir : "Les seules limites sont imposées par la loi et nos prestataires de services de paiement, qui définissent librement les transactions qu'ils sont prêts, ou non, à mettre en œuvre. À cet égard, tout contenu révélant une trop grande violence ou une absence de consentement est interdit."

Sans vous, les studios

Trop puritains ou non, avec OnlyFans et consorts, les acteurs sont les seuls maîtres à bord, et ça change tout. Pour ceux qui travaillaient déjà dans l'industrie classique, c'est une option de plus pour diffuser leurs contenus ; les petits nouveaux commencent tout de suite en auto-entrepreneurs du X en quelque sorte. À eux de trouver suffisamment de mecs prêts à s'abonner pour voir leurs performances, voire à payer un supplément pour des vidéos à la demande. "Je gagne bien plus sur OnlyFans qu'en travaillant avec un studio", souligne Even Canaillou. Avec ses 600 abonnés, il évalue son revenu mensuel moyen entre 3.500 et 4.000 euros (après que la plateforme a prélevé ses 20%).

Comme sur les marchés, la vente en direct est aussi un moyen de créer un lien avec les fans . "J'ai une relation privilégiée avec mes abonnés, fait valoir Antéo Chara, ancien danseur classique récemment reconverti dans le X. Certains viennent me parler de leur rapport à leur corps, de leur sexualité, et j'essaie de leur apporter un soutien. Ça va au-delà d'une simple consommation de porno, je dirais que c'est parfois quasiment thérapeutique !" Mathieu Dor abonde : "Le lien que j'ai avec mes abonnés est pour moi capital. Il y en a qui m'écrivent tous les jours et dont je connais la vie, les passions, le nom des proches…" Donc, pour 16 $ par mois, je peux mater en toute légalité les 1.200 photos et 2.000 vidéos privées de Fabio Stallion, et je pourrais lui parler comme à mon psy ou mon meilleur ami ? Où est-ce que je signe ?

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