[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Que ce soit sur OnlyFans, Snapchat ou bien des sites de branle, le cybersexe a ses avantages, et ses adeptes. Loin des yeux, près du cul ?
Illustrations : Corentin Garrido pour têtu·
Échanger des nudes ? Mais tout le monde le fait, voyons : 50% des hommes gays et bi en ont reçu, selon une enquête française Ifop pour Cam4 qui remonte déjà à 2019, contre 23% des mecs hétéros. Et si 40% des mecs interrogés indiquent avoir déjà envoyé une dickpic, le pourcentage monte à 53% chez les gays.
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Alors oui, nous sommes la commu de la sensualité et du sexe positif. Et puis, s'envoyer une photo de bite entre mecs, ça n'a pas les mêmes implications que dans des rapports genrés. Mais ce ne sont pas les seules explications à ce fossé avec la société hétéro. Pour beaucoup d'entre nous, le sexe virtuel a été au début le seul possible, parce qu'on ne pouvait pas faire son coming out, parce qu'on était le "seul" gay du village… "Le sexe numérique, c'était d'abord un moyen de découvrir mes désirs avec d'autres garçons sans que ça se sache", explique Jérémi, 20 ans. D'ailleurs, les hommes interrogés pour cet article sont unanimes : tous ont commencé le sexe à distance pour découvrir, explorer leur sexualité. Il y a trente ans, Marc, 45 ans, bisexuel et artiste plasticien à Lyon, appréciait ainsi les plateformes téléphoniques : "J'étais à la fois dans une envie et une retenue d'avoir des relations sexuelles, alors c'était une façon de m'y aventurer de manière plus discrète."
Marre du présentiel
"Ça m'a permis d'expérimenter à mon rythme", abonde Rémy, 34 ans. Même après la découverte, le sexe virtuel peut être un moyen de se protéger, par exemple des guets-apens ciblant les gays : "J'ai été agressé sexuellement à la suite d'un plan Grindr il y a quelques années, confie Jérémi. Pendant plusieurs mois, je n'osais plus du tout refaire de plans en réel et je me suis donc beaucoup tourné vers le sexe en ligne pendant cette période. Bien sûr, il y a sûrement aussi des prédateurs sur les sites que je consulte, donc évidemment j'utilise un pseudo et je ne donne jamais mes informations personnelles. Même s'il m'arrive, dans l'excitation du moment, d'envoyer des photos où l'on reconnaît ma voix ou mon visage…"
Une fois qu'on y a mis la main, on trouve bien d'autres raisons de continuer et de varier les pratiques. Un tiers des hommes gays et bisexuels interrogés par l'Ifop (35%) s'étaient déjà exhibés en privé devant une webcam – contre 9% des hétéros – et un sur dix (10%) sur un site de live show spécialisé – contre 3% des hétéros. "J'accorde beaucoup d'importance à l'écrit. Il y a un lâcher-prise par les mots", vante Marc, grand adepte du sexting, qui conteste que cette pratique du sexe soit "virtuelle" : "Les fantasmes qu'on partage à l'écrit sont bien réels, quand bien même ils ne sont pas réalisés."
De son côté, Jérémi échange plutôt des nudes et des vocaux sur Snapchat, et se fait des sessions de masturbation en live sur Flingster. Ce qui lui plaît particulièrement, c'est de ne pas savoir qui est de l'autre côté de l'écran : "On va se parler de nos désirs, de ce qu'on a envie de faire, c'est super excitant." Mieux désinhibé derrière son écran, le jeune homme a pu expérimenter des fantasmes qu'il gardait jusque-là pour lui, comme le BDSM ou le roleplay. "Le sexe numérique permet de tester des choses que ses pratiquants n'auraient pas forcément faites en personne, confirme Pierre Brasseur, enseignant-chercheur en sociologie à l'Université libre de Belgique et co-auteur avec Jean Finez d'une étude sur le caming. La plupart des personnes interrogées dans notre étude considèrent d'ailleurs le cybersexe comme du sexe au même titre que les rapports physiques."
3615 Cybersexe
"Face à un écran, le visage masqué, tu peux t'autoriser des trucs que tu ne ferais jamais autrement, corrobore Marc. Par exemple, je n'irais pas me goder pendant un plan cul, mais c'est quelque chose que je peux faire dans un plan cam." En ligne, Rémy a découvert des "fétichismes qu'il jugeait auparavant peu conventionnels", comme le voyeurisme : "J'aime regarder un homme nu, son sexe au repos, en érection, et les autres parties de son corps. Mais il s'agit davantage d'un plaisir psychique et visuel que d'une pulsion sexuelle, donc c'est plus dur à faire dans un contexte réel."
D'autres, comme Lucas, participent sur Zoom à des séances de masturbation collectives qui peuvent réunir jusqu'à cent personnes (attention à ne pas se tromper avec le salon d'apéro en famille). Quelque chose qu'il ne fait qu'en ligne : "J'apprécie beaucoup le côté exhib et les jeux de regard entre les participants, développe-t-il. Ça m'a permis de comprendre que j'aimais beaucoup sentir tous ces regards sur mon corps."
Loin d'être du cul au rabais, le cybersexe est donc une pratique en soi, qui peut aussi permettre d'éviter les longueurs et déconvenues du sexe en présentiel. "On peut faire un plan cam rapide, couper sa webcam, s'arrêter et passer à quelqu'un d'autre si ça ne nous plaît pas, énumère Jérémi. Ça permet une grande liberté." Et ça, les gays et bi l'ont bien compris : que ce soit par webcam, par messages, sur des sites comme OnlyFans, Jerkay, Chatrandom ou Branle entre potes, sur les applis de rencontres, Instagram ou Snapchat, ils sont 68% à déclarer avoir déjà fait l'amour virtuellement avec un partenaire, dans une nouvelle étude réalisée par l'Ifop pour Cam4 en 2021. Les hétéros – les pauvres – ne sont que 33% à avoir testé. Ça doit être ça, la fracture numérique…
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