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témoignagesSalaire, rapport aux fans et à l'exhib : des créateurs d'OnlyFans se racontent

Par Nathan Lautier le 10/03/2023
Sur OnlyFans ou Mym, pas si facile de se faire un salaire

Depuis la création d'OnlyFans en 2016, les créateurs de contenu érotique ou porno – gay en particulier – sont de plus en plus nombreux à tenter de se faire un salaire sur la plateforme ou chez son concurrent français, MyM. Mais loin des clichés, parvenir à en vivre nécessite pas mal d'abnégation. Rencontre avec les petites mains d'une nouvelle forme de travail du sexe, virtuel.

Éros a une vingtaine d’années. Matin et soir, il scrolle les réseaux sociaux puis se prend en photo, torse nu ou en sous-vêtements, devant son grand miroir ou dans les vestiaires de sa salle de sport préférée. Et ceci pas seulement pour le plaisir. Comme 40% des étudiants en France, le jeune homme travaille sur son temps libre, en dehors des cours. Si d'autres ont opté pour un temps partiel en entreprise, lui a fait un autre pari. Après avoir passé plusieurs semaines à se forger une communauté sur Twitter, il a ouvert en novembre 2022 un compte OnlyFans, réseau social britannique créé en 2016 et basé sur l'abonnement, qui héberge principalement du contenu érotique, voire pornographique. En trois mois, le jeune homme s'y est fait "une soixantaine d'euros" grâce à une "dizaine d'abonnés". Un échec cuisant. "Cela me demande beaucoup plus de sacrifices que ce que je pensais, concède-t-il aujourd'hui, alors qu'il n'a pas chômé. J’y consacre une heure par jour en moyenne, je suis sur OnlyFans, MyM [mym.fans, pour Meet Your Model, équivalent français d'OnlyFans], j'ai un compte PayPal et je suis également sur des sites pour vendre des sous-vêtements."

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Iamlehoe et Arnoboy, eux, se consacrent à plein temps à ce nouveau travail du sexe numérique. Le couple, qui vit sur Paris, revendique s'être hissé dans le top 3 des créateurs français présents sur OnlyFans. Les deux hommes affirment même en retirer un salaire complet. Avec une recette tous azimuts que détaille Arnoboy : "On prévoit deux posts par jour, que ce soit photo ou vidéo. On est sur TikTok, Twitter, OnlyFans et MyM, c'est un job à plein temps. Les abonnés paient un abonnement plus cher que Netflix, alors il faut rester actifs ! En plus de cela on a créé notre site où l'on vend des caleçons et des chaussettes". Et ce n'est que la partie visible de leur activité, complète Iamlehoe : "Cela demande beaucoup de travail en amont, notamment faire de la veille, avoir des idées, de la créativité... En moyenne, on est bien sur du 50h/semaine, sans horaires fixes ; cela peut être le matin comme tard le soir". Et le jeune homme de préciser : "Il faut surfer sur les tendances. On ne peut pas se permettre de perdre de temps, c'est instantané, en continu, toute la journée".

Le micro-entreprenariat version OnlyFans

Cinquante heures par semaine, coller aux tendances... Les deux pornoastes (oui, on l'a inventé) sont bel et bien des micro-entrepreneurs. "On travaille pour nous-mêmes, quand on reçoit des critiques, on les prend personnellement", explique Iamlehoe. "On n'a pas la sécurité de l'emploi, reprend Arnoboy. Un employé sait ce qu'il va gagner à la fin du mois, nous on ne sait pas ce qui va se passer dans trois jours. C'est beaucoup de stress. On peut gagner beaucoup, mais aussi beaucoup moins d'un seul coup. On ne peut pas savoir." Après une pause de réflexion : "Les gens voient le côté facile du métier, mais ils occultent l'insécurité, les critiques, le stress…"

"On ne joue pas, on commercialise notre amour."

Arnoboy, créateur de contenus

Il faut aussi gérer les relations avec les abonnés, un aspect au cœur de l’activité de ces créateurs de contenu porno, pourvoyeurs de fantasmes et dont les clients attendent un service toujours plus personnel. "Notre compte est comme une boîte secrète, il faut s'abonner, notre communauté est donc restreinte et beaucoup d'abonnés profitent de cette exclusivité pour nous parler plus personnellement. Certains se livrent beaucoup, vident leur sac auprès de nous", développe Arnoboy, reconnaissant : "Sans fanbase, on n'est rien. Sur ces plateformes, si tu n'es suivi par personne, tu n'existes pas". Au-delà de cette relation forte avec ses abonnés, le couple explique sa réussite par la singularité "moins porno" de leur contenu : "C'est vraiment de l'amour, c'est naturel. On ne joue pas, on commercialise notre amour en fait".

Fans de porno et d'exhib

Pour se lancer dans un tel projet, les trois onlyfaneurs sont unanimes : "Il faut un attrait pour le cul." Éros l'admet d'ailleurs en souriant : "Il y a aussi une certaine recherche de validation, de reconnaissance, voire d'exhibitionnisme. C'est excitant, et puis si ça peut embêter ceux qui sont coincés dans le puritanisme…" Le couple parisien abonde : "Il faut être à l'aise avec son corps !" Une évidence pour Iamlehoe : "Moi je l'ai toujours été, j'ai un côté un peu exhib dans l'âme, c'est en partie pour ça que je me suis lancé. À force d'envoyer des photos gratuitement, autant faire fructifier ça !". Il a commencé comme modèle photo "mais c'était plein de restrictions avec les marques, les agences... J'en ai eu marre de devoir être quelqu'un que je ne suis pas, je voulais être libre." 

"J'ai un côté un peu exhib dans l'âme, c'est en partie pour ça que je me suis lancé. À force d'envoyer des photos gratuitement, autant faire fructifier ça !"

Iamlehoe, créateur de contenus

Boris*, lui, est de l'autre côté de l'écran : pour une quinzaine d'euros par mois, il est abonné à trois comptes OnlyFans. S’il continue d’aller de temps en temps sur les sites pornos classiques, il se tourne vers ces abonnements pour trouver des vidéos "avec moins de mise en scène". "J'apprécie ce format amateur, authentique, explique-t-il. Je suis des comptes français, mais aussi anglo-saxons, parce que les profils d'acteurs sont plus variés. En France, on a beaucoup de twinks." Dorian*, lui, a commencé à s'abonner pour "soutenir un ami". Désormais, il paie pour avoir accès aux contenus de personnes qu'il a découvertes sur Twitter ou Instagram, et dont il "admire le talent". De fil en aiguille, il s'est pris au jeu, et préfère désormais aux sites classiques les comptes OnlyFans ou Mym : "Il y a de la proximité avec les créateurs. Et puis, c'est important pour moi que le contenu soit safe, qu'il y ait cette dimension liée au consentement que les plateformes sont seules à garantir." Comme Boris, le fait que le contenu soit amateur lui plaît d'autant plus : "J'ai l'impression que c'est moins fake, plus réel".

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Des travailleurs du sexe comme les autres ?

Contenus pornos, service aux clients… Ces créateurs de contenus sont-ils donc des travailleurs du sexe comme les autres ? Malgré l’étroitesse de leurs relations avec certains abonnés, les trois créateurs rejettent cette étiquette. "Si certains se forcent, je ne sais pas, à avoir le rôle de passif alors qu’ils ne le sont pas vraiment, simplement pour faire du contenu ou quelque chose comme ça, alors peut-être…", suggère Éros. Pour Arnoboy et Iamlehoe, la réponse est encore plus très tranchée : "On est des créateurs de contenu, c'est autre chose. Beaucoup de Français ont un temps de retard sur ces questions. TDS, c'est un niveau au-dessus. On n'est pas escort, on reste dans le virtuel." Et de préciser qu'il ne s'agit pas de rejeter la qualification par honte, au contraire : "Ce serait dénigrant pour les travailleurs du sexe sur le terrain, qui parfois risquent leur vie". Quoi qu'il en soit, OnlyFans considère ses créateurs de contenus pornos comme des travailleurs du sexe, tout comme Le Strass, syndicat du travail sexuel en France, qui avait dénoncé "l'hypocrisie générale et l'oppression des travailleurSEs du sexe" quand la plateforme anglaise avait réfléchi à interdire les contenus sexuels.

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"Aujourd'hui, je perds un peu la notion de plaisir, parce que ça ne rapporte pas. Je réalise en ce moment la difficulté de sortir du lot. Ceux qui y arrivent ont vraiment beaucoup de mérite."

Éros, créateur de contenus sur Onlyfans

Mais si tous nos interlocuteurs prennent du plaisir à créer du contenu pour adultes, aucun ne s’imagine poursuivre sa carrière jusqu’à 62…64 ans, enfin l’âge de la retraite. "Je me donne trois ans, le temps de finir mes études, assure Éros. Si je me suis lancé, c'est aussi pour me faire un peu d'argent, même si je ne suis pas dans le besoin. Aujourd'hui, je perds un peu la notion de plaisir, parce que ça ne rapporte pas. Je réalise en ce moment la difficulté de sortir du lot, et les sacrifices qu'il faut consentir. Ceux qui y arrivent ont vraiment beaucoup de mérite." Mais l'étudiant n'est pas encore prêt à baisser les bras. "Si j'atteins les mille euros, ce sera l'euphorie, mais pour l'instant, cela ne se passe pas comme je veux. Je n’abandonne pas parce que je veux me prouver que je peux y arriver."

"La peur de se faire reconnaître contrebalance l'excitation de se montrer", remarque aussi Éros, qui refuse de montrer son visage sur les sites où il se montre dans des activités sexuelles. Pour Arnoboy et Iamlehoe, la problématique est différente puisqu'ils travaillent à visage découvert. Pour autant, le duo ne compte pas non plus passer sa vie à créer des contenus pornos : "À nos yeux, ce ne serait pas gratifiant de passer toute notre vie sur OnlyFans... Alors on assure notre avenir, et l'argent qu'on gagne aujourd'hui servira d'autres projets, dans un autre style !"

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*prénoms modifiés par souci d'anonymat

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