Si les questions de santé mentale émergent dans les champs médiatique et politique, celle des jeunes LGBTQI+ est très peu documentée. Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn dévoilent quelques résultats d'une étude inédite portant sur les facteurs d'aggravation et d'amélioration de la santé mentale des minorités de genre et de sexualité en France.
Texte par Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn
La famille, l’école et les groupes de pairs : facteurs clés pour l’amélioration de la santé mentale des jeunes LGBTIQ
En 2003, Ilan Meyer propose un modèle explicatif pour saisir ce qui semble lier les pratiques discriminatoires, les violences et les menaces à l’encontre des minorités de genre et de sexualité et la moins bonne santé mentale desdites minorités. Il s’agit pour le chercheur de prendre en considération "le stress excessif auquel les individus issus de catégories sociales stigmatisées sont exposés en raison de leur position sociale, souvent minoritaire". En parallèle, le chercheur distingue des facteurs qui viennent affaiblir ou neutraliser ce stress car selon lui "les personnes LGBT parviennent aussi à réduire ou neutraliser" ce stress notamment grâce à des groupes de pair·es (Meyer, 2003).
On pourrait ainsi lister les facteurs qui aggravent durablement la santé mentale des minorités de genre et de sexualité : être exposé à des violences physiques, verbales ou des menaces, vivre dans des familles, des institutions ou auprès de relations qui imposent le silence, mais également devoir subir des discours publics et médiatiques stigmatisants. Des recherches comme celle du psychologue français William Peraud Berthelot ont par exemple montré que l’on assistait, chez les personnes LGBTIQ, à une explosion des troubles du stress post-traumatique, avec des marqueurs particulièrement élevés chez les personnes trans (Peraud, 2024).
Violences scolaires et santé mentale des jeunes LGBTIQ
En 2024, une recherche portée par ARESVI et menée par Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin a tenté de mesurer quelques-uns de ces facteurs d’amélioration ou de dégradation psychique auprès des jeunes LGBTIQ de moins de 25 ans. La survictimation des jeunes appartenant aux minorités de genre et de sexualité est bien documentée dans le domaine scolaire. En 2018, la recherche "Santé LGBT" était parvenue à mesurer que 88 % des jeunes homosexuel·les déclaraient une expérience scolaire dégradée ou très dégradée du fait de l’homophobie ou de la peur de l’homophobie ; et ce chiffre grimpait à 98 % pour les élèves trans et intersexes !
Nous pouvons dorénavant plus précisément décrire ce que ces violences font aux jeunes LGBTIQ. Tout d’abord, insistons sur le fait qu’isoler un facteur est toujours compliqué car l’imbrication entre les soutiens ou les absences de soutien (dans la famille ou à l’école, par exemple) sont nombreuses. Mais lorsqu’un·e élève LGBTIQ est victime de menaces, de harcèlement, d’injures, de rumeurs ou d’outing dans son école – plus encore lorsque personne n’intervient pour aider la victime – la santé mentale de ce(tte) jeune s’effondre. Comme nous pouvons le lire dans le tableau ci-dessous, plus l’appréhension scolaire est grande, plus les pensées et les pratiques suicidaires augmentent !
En tant que jeune LGBTIQ… | J’ai déjà ressenti un coup de déprime | J’ai déjà eu des pensées suicidaires | J’ai déjà eu des pratiques suicidaires |
Ma scolarité s’est bien ou très bien passé | 60% | 29% | 7% |
Ma scolarité s’est mal ou très mal passé | 66% | 44% | 28% |
Des jeunes LGBTIQ et des risques
Il serait toutefois vain de croire que toutes les minorités de genre et de sexualités vivent exactement les mêmes phénomènes et les mêmes conséquences psychiques. On remarque notamment que peu importe les critères de violences pris en considération, les personnes trans sont toujours – et de loin – les plus fortement victimes. D’ailleurs elles ne sont que 3 % à déclarer ne rien avoir subi comme violences à l’école (principalement lorsque leur coming out trans n’avait pas été fait).
Violences scolaires et identités minoritaires
Avez-vous été victime de : (trois réponses possibles) | ||||
Moyenne | Gays | Lesbiennes | Personnes trans | |
(Cyber)harcèlement | 32% | 36% | 17% | 49% |
Des menaces | 25% | 25% | 17% | 49% |
Des violences physiques | 20% | 25% | 11% | 34% |
Des violences sexuelles | 12% | 13% | 14% | 14% |
Des injures | 50% | 61% | 37% | 67% |
Des rumeurs | 55% | 63% | 55% | 72% |
Je n'ai rien subi de cela | 18% | 12% | 26% | 3% |
En parallèle, on observe qu’à l’école, les soutiens auprès des personnes trans restent minoritaires. En moyenne, 12 % des témoins de violences scolaires (verbales ou physiques) interviennent pour aider la victime. Mais ce taux chute à 5 % dans le cas des personnes trans. Violences, isolement, ostracisme et menaces restent des réalités extrêmement palpables chez les jeunes personnes trans scolarisé·es, faisant diminuer d’autant leur estime d’elles même et augmenter corrélativement leur trouble anxieux. À la question : "Vous sentez vous en sécurité en tant que personne LGBTIQ" et en focalisant notre regard sur les expériences scolaires, 48 % des ces jeunes répondent "oui" (malgré tout) contre 22 % des jeunes trans.
La famille : l’angle mort des politiques publiques
Il existe toutefois un autre facteur d’aggravation ou d’amélioration de la santé mentale des jeunes LGBTIQ : leur famille. Lorsqu’on demande à ces mêmes jeunes si leur famille est acceptante ou non, il se dessine un paysage radicalement différent en fonction des réponses. En effet lorsque les familles sont décrites comme peu ou pas soutenantes, les jeunes relatent deux fois plus de pensées suicidaires et trois fois plus de passages à l’acte. Si, la encore, les facteurs cumulatifs de bien-être et de mal-être doivent être pris en compte, l’effet "famille" semble indiscutable.
Or dans notre étude prés de 50 % des jeunes LGBTIQ déclarent avoir subi des violences au sein de leur famille (allant d’un traitement différencié avec les frères ou sœurs jusqu’aux agressions physiques et sexuelles)… ce chiffre montant à 76 % pour les jeunes trans et intersexes….
Si la question de la santé mentale est aujourd’hui plus discutée qu’hier, il apparait que les facteurs cumulés d’inclusion et de soutien familiaux, scolaires et entre pair·es soient la clé d’une amélioration durable de la santé mentale des jeunes appartenant aux minorités de genre et de sexualités… Elle est donc l’affaire de toutes et tous dans une logique éducative globale : parents, personnel éducatif, proches, pair·es. À moins que dans le contexte actuel, les attaques et stigmatisations publiques (politiques comme médiatiques) viennent ternir tout aussi durablement le tableau.
À lire aussi : Santé mentale : connaissez-vous le stress minoritaire ?
>> Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn (sociologue, LACES, Université de Bordeaux) ; enquête "Santé mentale des jeunes LGBTIQ" (ARESVI), financée par la Dilcrah (2024).
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