Abo

magazine"Bambi a ouvert la voie" : rencontre avec Sharok, notre cover boy de l'été

Par David Choël le 20/06/2025
Sharok

[Portrait à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, ou sur abonnement] Il y a plein de petits chats dans le porno gay, mais il y a un seul Sharok. Après vingt ans de carrière, l'acteur américain d'origine iranienne est toujours au top.

Photographie : Ben Fourmi pour têtu·

Sans le savoir, ses parents lui ont donné un prénom parfait pour un dom top : en persan, Shahrokh signifie "visage du roi" (il a simplifié l'orthographe pour le boulot). Mais c'est évidemment son physique qui a fait de lui une star du porno gay, l'une des seules d'origine iranienne (avec Arad Winwin). Avec sa carrure massive à la François Sagat et sa belle gueule qui peut exprimer la douceur d'un chat autant que la dureté d'un roc – au choix –, l'acteur américain rappelle bien, en couverture du numéro spécial 30 ans dans les bras de Bambi, l'histoire de têtu·, ses cover boys à tomber et son goût assumé pour le porno bien fait. Ça tombe bien, le Californien vient justement d'emménager à Paris, dont il était tombé amoureux en même temps que d'un Frenchy. Le garçon est parti, mais Sharok nous est resté !

À lire aussi : 30 ans ! Le sommaire du numéro anniversaire de têtu·

Issu d'une famille ayant fui la révolution islamique de 1979, qui bouta le dernier shah hors d'Iran, Shahrokh Shamim Mosavi Nejad est né et a grandi à Los Angeles, où vit une importante communauté iranienne. Dans le restaurant perse qu'y ont ouvert ses parents et grands-parents, le gamin baigne dans un environnement multiculturel. "J'ai eu une belle enfance, résume-t-il. Je vivais entre la culture américaine et la culture iranienne, tout le monde parlait anglais, espagnol ou persan."

En 2001, les attentats du 11-Septembre viennent toutefois porter un sérieux coup à ce vivre-ensemble, même à Hollywood. "Tout a changé pour les personnes originaires du Moyen-Orient aux États-Unis, se souvient-il. Du jour au lendemain, on avait l'impression que le monde entier nous détestait, comme si on avait une cible dans le dos." Par peur de représailles, sa mère retire son fils de l'école ; Sharok, qui a alors 16 ans, vit difficilement ces tensions identitaires et interroge les regards portés sur lui. Cette partie de son adolescence lui fait comprendre qu'il est un corps désirable mais toujours non intégré, bien qu'il soit né sur le sol américain.

Une des premières queens iraniennes des États-Unis

C'est à peu près à cette période qu'il s'intéresse au travail du sexe. "J'ai été un objet sexuel dès mes 16 ans, retrace Sharok. Les gens aimaient payer pour coucher avec moi, ça boostait mon ego et c'était un sentiment agréable à cette époque." S'il tourne son premier porno pour un studio à 18 ans, il gagne surtout sa vie en étant escort. Perçu comme "twink" et "exotique", il profite de sa beauté et joue du fétichisme racial dont il fait l'objet.

Peu à l'aise au sein du milieu gay, le jeune homme préfère passer son temps avec les artistes drags et la communauté trans locale. Sous le nom de Shamimi Mosavi – en hommage à Mimi, sa tante flamboyante qu'il adore –, il devient l'une des premières drag queens iraniennes des États-Unis. Les plus grandes inspirations de sa vie ont toujours été féminines, de sa grand-mère, très pieuse et auprès de laquelle il ne fera son coming out que tardivement, à l'icône Dalida. C'est ce qui explique, selon lui, pourquoi la défense des femmes et de leur liberté lui tient autant à cœur, qu'il s'agisse des femmes transgenres ou des femmes iraniennes.

D'ailleurs, si le visage de Sharok vous est familier alors que jamais au grand jamais vous ne regardez de porno, c'est peut-être que vous avez vu son fameux passage au défilé printemps-été 2023 du créateur français Louis Gabriel Nouchi. Quand il débarque sur le catwalk, le beau gosse ouvre sa chemise, révélant un tatouage "Femme, vie, liberté", le cri de ralliement des femmes d'Iran. Il brandit également une pancarte "Stop Executions in Iran", en soutien aux manifestations qui ont suivi la mort, en septembre 2022, de Mahsa Amini, tuée en garde à vue après avoir été arrêtée par la police des mœurs à Téhéran. Ce geste audacieux fait le tour des réseaux sociaux et des médias internationaux.

Fan de Bambi

De son corps fétichisé et tatoué, Sharok a fait au fil des années un outil militant. Il n'a donc pas hésité une seconde quand on lui a demandé de participer à notre couverture en soutien aux personnes trans, cibles d'une offensive coordonnée de l'internationale réactionnaire. "Je suis honoré qu'on m'ait demandé de participer à cette séance photo avec Bambi, s'extasie-t-il avec admiration. C'est une icône, elle a ouvert la voie, non seulement à la communauté trans, mais aussi à toute la communauté LGBTQI+. J'aimerais tellement parler français pour lui dire dans sa langue à quel point je suis reconnaissant, être sur la même photo qu'elle est un honneur."

Avec son déménagement en France, Sharok compte bien ouvrir une nouvelle phase de sa vie. Passionné d'horticulture, il s'occupe déjà des balcons parisiens de ses amis. Fort de près de 900.000 abonnés sur X (Twitter), sa pratique du porno s'est délocalisée sur OnlyFans, comme beaucoup de ses pairs. Mais à 40 ans, il réfléchit à la suite et a toujours soif de nouveaux horizons. "Je n'aime pas me considérer comme un rôle modèle, mais je pense que vivre en étant libre et authentique peut être une source d'inspiration", dit-il simplement, conscient que l'incarnation qu'il porte est plus rare chez les personnes d'origine moyen-orientale. Avant toute chose, il compte intensifier son activité militante. C'est d'ailleurs pour aider les personnes queers en Iran et dans la région qu'il aimerait utiliser sa voix à l'avenir, peut-être via une ONG ou une association. Son message, il l'a déjà : le corps doit être un territoire libre.

À lire aussi : François Sagat passe à la chanson : "Le porno est un art où il ne fait pas bon vieillir"

magazine | porno | rencontre | interview