portraitArthur Robert, la conquête de Ouest

Par Lidia Ageeva le 25/06/2025
Arthur Robert, fondateur de la marque Ouest Paris.

Arthur Robert, le fondateur de la marque Ouest Paris, a séduit en seulement trois ans le cœur des amateurs de mode, par son ironie et sa proposition d'un total look denim à porter du matin au soir, et jusqu'au bout de la nuit.

"On assiste aujourd'hui au retour d'une masculinité viriliste que je trouve assez déprimante. Même au sein de la communauté gay, le rapport à la virilité est ambivalent, cela ne me plaît pas du tout”, pose Arthur Robert, 34 ans, pour expliquer l'esprit de la marque de mode qu'il a fondée en 2022. "L'idée de Ouest, c'est de proposer une masculinité plus bienveillante que menaçante, en jouant par exemple avec les clichés du cow-boy et du surfeur macho."

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Pour le lancement de chacune de ses collections, ses mises en scène lors des Fashion Week parisiennes tiennent de l'expérience immersive et ludique, entre défilé classique et performance théâtrale. L'été 2024, Arthur transforme ainsi la galerie Sultana, dans le 3e arrondissement de la capitale, en sex-shop rempli de DVD et d'affiches de films de cow-boys, de surf, ou pornos. Tel un réalisateur de cinéma, il sélectionne avec soin les personnages – en privilégiant une diversité de physiques et d'âges – qu'il place dans ses décors. Ceux de son "sex-shop" jouent d'ailleurs des scènes inspirées du film culte My Own Private Idaho, de Gus Van Sant.

Jean sans peur

Cet hiver, Arthur pousse encore le bouchon en habillant un espace du palais de Tokyo de rideaux de velours rouge, rappelant la fameuse chambre rouge de la série Twin Peaks, de David Lynch. Pour y accéder, il faut traverser un couloir étroit et mystérieux avant de découvrir des personnages vêtus de denim indigo et de cuir vegan noir. "Mon vestiaire s'inspire souvent de l'Americana, la culture des États-Unis. Pour moi, David Lynch est celui qui a le mieux su se moquer du rêve américain, décrypte-t-il. Il y a en ce moment quelque chose d'inquiétant dans l'actualité, un contexte de plus en plus sombre… L'idée était donc de jouer avec l'atmosphère cauchemardesque de la « red room »."

Quand on lui demande pourquoi ses mannequins sont loin des standards de la mode, Arthur sourit : "Moi-même, je ne fais pas spécialement taille mannequin. Que je puisse m'identifier à au moins un modèle du show, c'est quand même cool ! Ouest joue souvent avec la masculinité et son côté sexy. Or je peux désirer une personne qui n'est pas maigre ou pas jeune, donc il est important que tous les types de physiques soient représentés : plus costaud, plus âgé…"

Arthur est Parisien, et comme beaucoup de cool kids de sa génération issus de belles familles du 16e arrondissement, il a d'abord étudié le droit avant de plonger dans sa véritable passion : la mode, qu'il a apprise sur le bout des doigts en écumant les forums Internet. "Un jour, j'ai demandé de l'argent à ma mère afin de m'acheter des livres pour la fac ; finalement, j'ai acheté un jean Raf Simons en solde chez Colette, avant de redoubler mon année de droit", résume-t-il. Il met alors ses études en pause et trouve un stage dans une boutique Margiela : "On vendait la toute dernière collection. C'était génial, il y avait une clientèle ultra-fidèle qui vouait un culte aux pièces." À la rentrée suivante, il reprend finalement des études mais cette fois dans la mode, à l'Atelier Chardon Savard.

Pièces à vivre

Un stage chez Ami, le label qu'Alexandre Mattiussi vient tout juste de lancer, l'amène à y rester sept ans, jusqu'au moment où il se sent prêt à lancer sa propre marque. "Cette expérience m'a beaucoup inspiré, développe le créateur. J'ai vu comment construire une marque. Il y avait une vraie attention au produit mais aussi à tout l'univers qui l'entoure. Ça m'a permis de me dire qu'il était possible, à 30 ans, de se lancer comme designer. Pour moi c'était un rêve, l'aboutissement de ce métier."

Sa marque, c'est son univers, même si elle ne porte pas son nom. "Ouest, c'est la somme de mes inspirations : le Sud-Ouest d'où vient ma famille, avec toute la culture surf de Biarritz où on passait tous nos étés quand j'étais ados… Et puis il y a aussi tout ce vestiaire de cow-boy, du western, du Far West, mais j'ai choisi le terme français afin d'éviter tout problème avec un certain rappeur [Kanye West] ! C'était surtout plus logique, puisque Ouest est une marque parisienne basée en France."

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Pensé pour le quotidien, son vestiaire se concentre sur des coupes simples et fonctionnelles. "Ouest propose un uniforme que tu peux porter toute la journée : pour aller au travail, boire un verre, sortir le soir et retourner bosser le lendemain, détaille Arthur. Même si tu n'as pas changé de vêtements, ce n'est pas grave, l'idée c'est de pouvoir vivre dans ces pièces." Pour cela, il privilégie le denim, qu'il maîtrise à la perfection et qu'il recommande de porter en total look : "Tous les créateurs qui m'inspirent ont travaillé cette matière. Hedi Slimane a imaginé des jeans incroyables chez Dior, c'était une pièce fondamentale chez Helmut Lang, idem pour Rick Owens…"

Le trentenaire est intarissable sur le jean : "C'est facile à porter, hyper démocratique. Tu peux passer toute ta journée dedans, alors qu'il y a plein de vêtements magnifiques et très chers qui, en fin de journée, sont froissés et moches. Et puis peu importe ce que tu fais, avec un jean, tu restes cool. Il se délave, vieillit avec le temps… il y a quelque chose de très beau dans l'usure du denim." C'est aussi une matière plus facile à rendre accessible, comme il le revendique : "La mode et le luxe ont atteint des niveaux de prix irréalistes, qui forment une sorte de bulle. Bien sûr, nos vêtements ont un certain prix, mais l'idée est de rester honnête et pas complètement déconnecté de la réalité ; si quelqu'un de mon âge, qui travaille, veut s'offrir un jean ou une veste, il doit pouvoir le faire."

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Crédit photo : Nicolas Kuttler

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