Malgré les multiples nominations pour le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, la présence du film de Roman Polanski dans 12 catégories, et quelques autres choix de l'Académie des César, donnent l'impression qu'on ne vit pas à la même époque...
La sélection des nommés aux César 2020 a été dévoilée ce matin. Et provoque déjà de vives réactions. En effet, le J'accuse de Roman Polanski est présent dans 12 catégories, ce qui en fait le film le plus césarisable de cette édition. Et évidemment, des dents grincent.
Elles grincent parce qu'en novembre, alors que le film s'apprêtait à inonder les salles obscures, Valentine Monnier sortait du silence. Dans une lettre publiée par Le Parisien, elle raconte avoir été violée par le réalisateur, alors qu'elle avait à peine 18 ans. Et ce, alors que le cinéaste est toujours accusé d'avoir violé une adolescente aux États-Unis, en 1977. Mais le président de l'Académie des César, Alain Terzian, a déclaré que les César ne sont "pas une instance qui doit avoir des positions morales". Dont acte.
Adèle Haenel face à Polanski
Aussitôt, les associations féministes ont évidemment réagi. Pour Osez le féminisme, qui a publié une tribune dans Le Parisien, "le cinéma français n'a rien compris des témoignages d'Adèle Haenel et de Valentine Monnier". Nombre d'internautes partagent leur indignation et dénoncent "l'hypocrisie" du cinéma français. Pour beaucoup, la surreprésentation de Polanski aux César sont une insulte, voire un doigt d'honneur, aux mois de libération de la parole qui ont suivi le mouvement #MeToo, pendant lesquels des dizaines de comédiennes ont révélé les comportements de harcèlement et les agressions sexuelles dont elles avaient pu être victimes de la part de réalisateurs et de producteurs de cinéma.
Interrogée sur RTL, Marlène Schiappa, la secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes, a également vivement critiqué cette sélection. "Manifestement, le cinéma français n'a pas terminé sa révolution en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, a déclaré la ministre. Je m'interroge sur le message qui est envoyé. Il y a deux ans encore j'étais à la cérémonie des César placée sous l'égide de #MeToo avec une célébration de la valorisation des femmes, de leur parole, de leur liberté dans le monde du cinéma." Et de conclure : "Là, je crois que l'on ne respecte pas les femmes, et notamment celles qui parlent des violences sexuelles qu'elles ont vécues. Quand vous êtes une femme et que vous avez été violée, agressée, harcelée sexuellement et que vous vous réveillez et vous voyez qu'il y a ces douze nomination : quel est le message qui est envoyé ?"
Une question que l'on se pose aussi. D'autant plus que face à Polanski, Le Portrait de la Jeune Fille en Feu, le film de Céline Sciamma en forme de fable lesbienne sensible et féministe, a obtenu dix nominations dont celles du "Meilleur film", du "Meilleur scénario", et du "Meilleur réalisateur". L'Académie a-t-elle seulement compris le film, pour le mettre en compétition avec celui de Polanski ? Surtout après que l'actrice Adèle Haenel – nommée dans la catégorie "Meilleure Actrice" avec sa partenaire à l'écran, Noémie Merlant – a accusé le réalisateur Christophe Ruggia d'agressions sexuelles quand elle était adolescente.
Des César à côté de la plaque
Au-delà du scandale, l'absence de la lumineuse Mya Bollaers, à l'affiche de Lola vers la mer de Laurent Micheli, notre coup de cœur de la fin d'année, sonne comme un rendez-vous manqué avec l'histoire. Dans le film, cette jeune actrice prometteuse incarne une adolescente trans insoumise, aux prises avec un père qui n’accepte pas son identité. Et la révolution, le petit miracle dont le cinéma est souvent incapable, c'est que Mya Bollaers est elle-même une personne transgenre.
Si le film, aux financements à majorité belge, n'est nommé que dans la catégorie du "Meilleur film étranger", la présence de la comédienne dans la sélection du "Meilleur espoir féminin" aurait été un signal fantastique à donner au cinéma français. Et nommer une femme trans qui a crevé l'écran, dans une cérémonie regardée en direct par plus de 2 millions de téléspectateurs, aurait été une première en France qui aurait eu de la gueule. Ce sont finalement Céleste Brunnquell (Les Éblouis), Mama Sané (Atlantique), Lyna Khoudri (Papicha), Nina Meurisse (Camille) et la jeune révélation du Portrait de la jeune fille en feu Luàna Bajrami qui auront une chance de repartir avec le trophée.
Regrettable également que Djanis Bouzyani, solaire et hilarant dans le premier film d'Hafsia Herzi, Tu mérites un amour, ne figure pas parmi les nommés de la catégorie "Meilleur espoir masculin", alors qu'il avait été préselectionné. Il excellait dans le rôle Ali, un jeune homosexuel aux punchlines drôlissimes, avec une telle liberté et une telle aisance dans le jeu que l'on s'est même demandé même si l'acteur n'était pas en totale improvisation. Ce sont finalement Anthony Bajon (Au nom de la terre), Alexis Manenti (Les Misérables), Djebril Zonga (Les Misérables), Liam Pierron (La Vie scolaire) et Benjamin Lesieur (Hors normes) qui figurent dans la sélection finale de l'Académie. On note toutefois la présence du réalisateur gay François Ozon dans les catégories "Meilleur Film" et "Meilleur Réalisateur" pour Grâce à Dieu, qui retrace le combat des victimes du père Preynat, pédocriminel.
Mais Portrait de la Jeune Fille en feu, Prix du scénario et Queer Palm lors du dernier Festival de Cannes, fait davantage figure de favori. Le film, délicat et politique, est rapidement devenu culte auprès de la communauté LGBT, et évidemment des lesbiennes. Il représentait même la France dans la catégorie "Meilleur film étranger" aux Golden Globes, les très prisées récompenses de la presse étrangère à Hollywood. Parasite, l'excellent thriller coréen de Joon-ho Bong l'avait néanmoins coiffé au poteau. Espérons donc que l'adage qui dit que nul n'est prophète en son pays ne se vérifie pas aux César cette année, car sinon, cette édition 2020 sera encore plus scandaleuse qu'elle ne l'est déjà...
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