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cinéma"Peter von Kant" : les amours gays de Fassbinder vues par Ozon ouvrent la Berlinale

Par Franck Finance-Madureira le 11/02/2022
"Peter von Kant" a ouvert la Berlinale 2022

Un réalisateur autodestructeur se prend de passion pour un jeune ambitieux et décide de le prendre sous son aile pour en faire une star. Avec cette adaptation revisitée des Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder, François Ozon a offert au festival de Berlin 2022 un film d’ouverture très gay en forme de déclaration d’amour au cinéma.

Quelques mois à peine après la sortie de Tout s’est bien passé, film sur la fin de vie avec Sophie Marceau et André Dussolier, le prolifique François Ozon ouvrait ce jeudi 10 février le festival de Berlin avec son nouvel opus, Peter von Kant. L’occasion pour le réalisateur d'Été 85 de revenir sur la vie et l’œuvre de Fassbinder, réalisateur gay allemand dont il avait déjà adapté Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, avec Bernard Giraudeau et Malik Zidi, en 2000.

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Huis-clos théâtral et Adjani

Dans Les Larmes amères de Petra van Kant, pièce de théâtre du jeune Fassbinder qu’il adaptera lui-même à l’écran en 1972, l’héroïne était une célèbre créatrice de mode qui maltraitait son assistante et se prenait de passion pour une jeune femme qu’elle décidait de lancer dans le mannequinat. En adaptant l’œuvre de ce cinéaste qui, de son propre aveu, le hante depuis toujours, François Ozon a remplacé Petra par Peter pour créer un héros qui évoque directement Fassbinder lui-même (Denis Ménochet, incarnation ogresque, colérique, détestable, touchante et pathétique à la fois de la figure du réalisateur allemand) et a changé le genre des deux autres personnages principaux : l’assistant souffre-douleur et quasi muet (l’excellent Stefan Crepon révélé par son rôle de César, le jeune hacker du Bureau des légendes) et l’objet de la folle passion de Peter, Amir (incarné par la révélation du film, le comédien Khalil Gharbia). 

"Peter von Kant" : les amours gays de Fassbinder vues par Ozon ouvrent la Berlinale

Le film, tourné quasiment en huis-clos dans l’appartement du "maître", assume sa théâtralité, faisant de ce loft de Cologne une scène sur laquelle se succèdent les entrées et sorties des personnages, notamment celles, remarquées d’Isabelle Adjani qui, dans le rôle d’une comédienne cocaïnée qui pourrait être la fille naturelle d’Elisabeth Taylor et de la Patsy Stone d’Ab Fab, joue les entremetteuses avec un bonheur communicatif. Là où Ozon parvient à toujours surprendre, c’est dans sa façon de parvenir à jouer sur plusieurs tableaux avec une réelle dextérité : le tragique est toujours teinté d’une cruauté drolatique, la dureté des échanges d’une dérision bienvenue, et s’il fait bien le portrait de Fassbinder, le réalisateur français parle aussi beaucoup de lui en transposant l’intrigue dans le milieu du cinéma.

Déclaration d'amour au cinéma

Son Peter van Kant a beau sembler ne rien maîtriser de sa vie de tous les jours et ne pas être conscient des rapports de pouvoir toxiques qu’il impose à son entourage, l’art, la création, les images lui permettent de toucher au divin, de se réaliser. Il saura transfigurer cette passion funeste pour le jeune Amir par la création artistique : le film qu’il lui fera tourner et qui en fera une star, les tirages photographiques immenses qu’il affiche ostensiblement sur ses murs, les premiers essais filmés un peu gênants qui graveront à jamais sur la pellicule leurs premiers moments comme le déséquilibre évident de cette relation.

"Peter von Kant" : les amours gays de Fassbinder vues par Ozon ouvrent la Berlinale

Avec Peter von Kant, François Ozon fait une déclaration d’amour vibrante au cinéma, à ce métier de réalisateur qui consiste souvent à utiliser les douleurs intimes les plus vives pour en faire des œuvres qui sauront s’adresser à chacun.e. Cette passion de Peter pour Amir est singulière, unique, mais elle devient, via le prisme des émotions variées que fait vivre le film, l’incarnation universelle de toutes les histoires d’amours déçues. Le film devrait sortir en salles durant l’été 2022.

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