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LGBTphobieEn Algérie aussi, le gouvernement part à la chasse aux arcs-en-ciel

Par Rasha Baraka le 21/02/2023
Arc-en-ciel à Alger

Le ministre du Commerce du gouvernement algérien, Karim Rezig, s'est lancé dans une guerre ouverte contre les couleurs de l’arc-en-ciel, celles bien sûr du drapeau LGBT. Un nouveau front du lobby réac international, à l'argumentaire spécieux éprouvé : protéger les mineurs…

"Protégez votre famille, méfiez-vous des produits qui portent des couleurs et des symboles contraires à l’islam et à nos valeurs morales." Ces mots sont ceux du ministre du Commerce algérien, Karim Rezig, sonnant l'alarme le 26 décembre 2022 contre l'imminence d'un danger… Et celui-ci n'est pas économique, bien que l’Algérie en pleine transition économique se voit touchée par une inflation de 9,4% et un taux de chômage alarmant, il est… coloré : ce sont les couleurs de l’arc-en ciel.

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La première semaine de janvier 2023, le ministre du Commerce a ainsi mobilisé les 58 wilayas (subdivisions administratives) du pays dans une guerre contre les couleurs symboles de la communauté LGBTQI+, et qui en forment le drapeau. Karim Rezig a ainsi explicité son intention lors d'une allocution dans son ministère d’Alger : la saisie et l’interdiction des "produits sur lesquels sont apposés des symboles et des couleurs qui portent atteinte à la religion et aux valeurs morales du peuple algérien", sous peine de "sanctions sévères". D’après le quotidien arabophone Ennahar, le ministère déclare avoir exproprié l’an dernier près de 38.542 articles portant ces couleurs et symboles d’une valeur de 4.5 millions de dinars algériens. Une campagne de "queer paranoïa" inédite dans un pays où l’homosexualité constitue déjà un délit puni par la loi.

L'Algérie dans la danse du lobby réac mondial

Diffusés via les radios, les télévisions algériennes et par SMS, des milliers de messages de "sensibilisation" crient donc désormais haro sur les couleurs de l'arc-en-ciel, emblème en Occident des minorités sexuelles et de genre. "Faites attention aux produits portant les signes et les couleurs contraires à la morale", martèlent-ils, appelant au devoir de responsabilité de chacun. Un avertissement pris au pied à la lettre, puisque les places publiques et centres commerciaux se voient scrupuleusement scrutés, à l’affût de tout article aux couleurs interdites, comme en témoignent des images partagées sur Facebook par la Fédération algérienne des consommateurs.

Mais quel serait le danger soudain combattu ? D’après l’auteur de cette campagne, "il faut arrêter la propagation des produits contenant ces couleurs et symboles porteurs des mêmes connotations et visant à incruster les mêmes idées chez les jeunes générations". Ou la propagation en Algérie de l'argumentaire LGBTphobe éprouvé du lobby réac international, de la Russie de Vladimir Poutine aux trumpistes américains, en passant par la droite conservatrice et l'extrême droite en France.

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Comme d'habitude, c'est la protection de la famille qui est invoquée comme leitmotiv de cette croisade anti-LGBTQI+. En mettant l’accent sur la jeunesse, le gouvernement sait jouer sur une corde sensible, agitant une muleta éprouvée. "On interdit des jouets pour les enfants parce que la crainte agitée, c'est que l’idéologie LGBT véhicule une sorte d'épidémie, comme si c'était une maladie contagieuse…, relève Jamal, l’auteur de JINS, premier podcast inclusif et intersectionnel sur les sexualités des personnes arabes et/ou musulmanes. Comme si on pouvait empêcher un enfant de devenir homosexuel en enlevant les drapeaux arc-en-ciel qui peuvent se retrouver sur des jouets, et comme si l'homosexualité était un choix. C’est absurde."

La croisade anti-LGBT étendue à l'école

Absurde mais efficace, à en croire les vidéos relayées par des Algériens scandalisés devant des bonbons et jouets un peu trop colorés. Dans un des passages filmés par des citoyens en patrouille dans les magasins, la suspicion écrase tout discernement : tout ce qui s’apparente à un arc-en-ciel y passe ! Exhibant un ballon bleu, vert, jaune et et orange, un vidéaste s’offusque : "Ton enfant va finir par voir le monde en couleur depuis tout petit. Ici, non ! On ne voit qu’une couleur, il n’y a pas de 'en couleur' [ndlr : traductrion de la darija au français]".

Et le gouvernement ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Prochaine étape, comme en Occident ou en Russie : l'école. Dans le cadre d’une convention avec le ministère de l’Éducation nationale, le président de la Fédération algérienne des consommateurs, Zaki Hariz, prévoit en effet d'y poursuivre cette campagne de "sensibilisation". Après les citoyens lambdas, les agents de l’État sont à leur tour enjoints d'endosser l’uniforme de police contre la non-normativité, au nom de la préservation de l’ordre cis-hétéro patriarcal.

Crispation anti-homo dans le monde arabe

Dans cette campagne vendue comme une "cause sacrée", la moralité publique va bien évidemment de pair avec la religion. En décrétant que les couleurs de l'arc-en-ciel portent atteinte à "la foi religieuse et aux valeurs morales de la société algérienne", le gouvernement renforce l’idée d’une incompatibilité religieuse et identitaire avec les valeurs d'inclusion LGBTQI+. Et bien que cette offensive cible la communauté LGBTQI+ du pays, cette dernière n’est jamais explicitement nommée dans les discours officiels, une absence illustrant bien le tabou et le refus de reconnaitre jusqu'à son existence. Pour rappel, dans le Code pénal algérien, l’homosexualité est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement ou d’une amende de 2.000 dinars. Face à l’oppression législative et à la pression sociale accablante, beaucoup se retrouvent à vivre dans l'ombre ou à s’exiler, comme Linda : "J’ai en quelque sorte abandonné mon identité algérienne. Je ne sens plus aucune attache à ce pays. J’y suis née, j’y ai grandi, et puis je l’ai quitté parce qu’il m’a empêchée de vivre, et il m'en empêche encore."

Bien que cette campagne soit inédite pour l’Algérie, elle ne l’est évidemment pas pour les pays de la Ligue arabe. L’annonce de Karim Rezig est ainsi survenue deux semaines après la fin de la Coupe du Monde 2022 de football au Qatar, où, parmi la myriade de violations des droits humains reprochées à l'émirat, tout ce qui rappelle la présence des LGBTQI+ a été banni des stades, y compris bien sûr les drapeaux arc-en-ciel. Or, tandis que les partenariats économiques entre l’Algérie et le Qatar se consolident, le pays nord-africain a soutenu les décisions en ce sens du gouvernement qatari. "Le drapeau LGBT est vraiment la frénésie actuelle des gouvernements du monde arabe qui s’inspirent de la charia, d'un conservatisme religieux et d'un traditionalisme très puissant", constate Jamal. Devant ce nouvel assaut d'homophobie d'État, nombre d’internautes algériens questionnent tout de même le sens des priorités de ce gouvernement : userait-il de cette campagne comme d'un écran de fumée pour détourner l’attention des problèmes plus urgents ?

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Crédit illustration : Fayez Nureldine / AFP