[Article et dossier à retrouver dans le magazine têtu· disponible en kiosques ou sur abonnement] Quarante ans après la dépénalisation de l'homosexualité à l'Assemblée, et dix ans après les manifestations anti-mariage pour tous, les campagnes de Marine Le Pen et Éric Zemmour pour l'élection présidentielle de 2022 rappellent que le lobby anti-LGBT, incarné à l'international par Vladimir Poutine, Viktor Orbán ou Donald Trump et ses challengers, n'a pas désarmé.
Illustration : Cécile Alvarez pour têtu·
C'est une autre pandémie qui repart. Il y a quarante ans, la loi n°82-683 du 4 août 1982 abolit la pénalisation de l'homosexualité, “monstruosité juridique”, selon les mots de l’avocate Gisèle Halimi, qui, comme députée, mena cette bataille avec Robert Badinter, alors ministre de la Justice de François Mitterrand – cette année-là naissait par ailleurs Amandine, le premier enfant issu d’une PMA en France. De cette dépénalisation jusqu’à l’ouverture, en 2021, de la PMA aux couples de lesbiennes, en quarante ans tout a changé dans notre pays pour les homos.
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Bien sûr, nous n’étions pas assez naïfs pour croire l’homophobie éradiquée, et ses nombreuses manifestations persistantes, discriminatoires ou violentes, se chargent de nous maintenir en éveil. Et si personne, dans les démocraties libérales, ne propose plus de criminaliser l’homosexualité en tant que telle, comme le faisait l’Allemagne avec son paragraphe 175, allégé en 1969 et aboli en 1994 (il faut voir à ce sujet le film Great Freedom et le documentaire Paragraphe 175), il est une autre recette, cousue de fil blanc mais efficace pour relancer les LGBTphobies : faire vibrer la propension des parents à s’alarmer pour leur progéniture, en agitant un prétendu danger menaçant leurs enfants. En 1982, s’opposant à Gisèle Halimi à l’Assemblée, le député gaulliste Jean Foyer déblatérait déjà : “La fameuse liberté dont on nous rebat les oreilles ne serait-elle que le droit qu’ont les ogres de dévorer les petits poucets ?”
La gangrène du délire anti-gay
Pour installer cette fable, il faut rendre les questions LGBTQI+ obscènes. Comme le fait par exemple Nicolas Sarkozy en 2016, à propos du “mariage homosexuel” : “Jamais je n’aurais pu imaginer qu’on parle autant de la vie sexuelle dans le débat politique.” Le sexe est dans la place, il n’y a plus qu’à brandir les enfants. Deux ans plus tôt, un texto propageait la rumeur de “cours de masturbation” dispensés à la maternelle, pour empêcher la mise en place d’un programme éducatif luttant contre les stéréotypes de genre et le sexisme (les ABCD de l’égalité) : “Soit on accepte la « théorie du genre », soit on défend l’avenir de nos enfants”. Une fois que sonne la cloche “danger LGBT”, l’on entend beaucoup moins le cri d’autres parents, ceux des 800.000 élèves subissant le harcèlement scolaire. Comme celui, dans têtu·, de Samira Gonthier, dont la fille de 14 ans, Dinah, s’est suicidée dans sa chambre après deux années de harcèlement lesbophobe : “C’est quoi ce pays qui regarde ses enfants se pendre parce qu’ils sont « différents » ?”
Ce type d’offensive s’est d'abord décliné dans la Russie de Vladimir Poutine, puis dans la Hongrie de Viktor Orbán, qui ont toutes deux adopté une loi interdisant la “propagande homosexuelle”, au prétexte de protéger les mineurs. Même réaction outre-Atlantique avec la politique ouvertement LGBTphobe menée pendant quatre ans sous le leadership de Donald Trump, notamment à l’école. Le président sorti se voit aujourd'hui challengé par le gouverneur de Floride, son ancien poulain Ron DeSantis, qui renchérit avec un projet de loi interdisant d’évoquer les sujets LGBTQI+ à l’école. Il est si transparent dans ses intentions que ses opposants le résument d’une injonction : “Don’t say gay.”
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Qu’on ne s’y trompe pas : l’onde de ces lois homophobes se propage largement, et profondément, dans les sociétés qu’elles régissent. Ainsi, Robert Badinter rappelle que l’article qu’il fit abolir en 1982 n’était pas tant utilisé pour poursuivre les homos en justice que pour les chasser dans la rue, et les persécuter, par motif crapuleux ou purement haineux. Aujourd’hui, ce phénomène est lisible en Russie, où sous l’homophobie d’État s’épanouissent “thérapies de conversion” et tabassages, la nuit, de gays piégés sur des applis de rencontres (ce tableau forme le cadre de La Revanche des Crevettes pailletées).
Marine Le Pen et Éric Zemmour
En France, Marine Le Pen et Éric Zemmour tiennent pour l'extrême droite le flambeau de cette internationale homophobe, les deux s’étant empressés d’aller féliciter en 2021 Viktor Orbán, alors en pleine croisade anti-LGBT. “Laissons les mineurs tranquilles”, entonnait Le Pen, qui a diffusé lors d'un meeting à Reims le soutien filmé du Premier ministre hongrois : “Nous voulons protéger les familles et nous ne voulons pas laisser entrer les militants LGBTQ dans les écoles.” Zemmour a, lui, reçu l’onction médiatique d’un coup de fil de Donald Trump.
"Là est le lobbying, au service d’une vision du monde nationaliste réactionnaire, de la conjuration des homophobes."
Ces accointances sont anciennes. En 2017, Marine Le Pen était adoubée par Vladimir Poutine, obtenant un tête-à-tête filmé avec le leader russe après avoir échoué avec Donald Trump à New York. Elle réclamait du même mouvement la levée des sanctions contre Moscou au nom de son “point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie”. En septembre 2018, sur le plateau de L'Opinon, évoquant l'idée d'“un Poutine français”, Éric Zemmour lançait : “Ah oui, j'en rêverais, oui !”. Le 27 décembre 2013, sur iTélé (ex-CNews), il décernait déjà à Vladimir Poutine le titre d'“homme de l'année”, prononçant cette élégie : “Diplomatiquement, c'est quand même le roi de l'année, avec la Syrie, avec l'Ukraine qu'il a arrachée à l'Europe, parce que l'Europe en fait n'est que le paravent de l'OTAN. Et Poutine, je le répète, parce que moi je ne me cache pas derrière mon petit doigt : Poutine devient le dernier rempart contre le politiquement correct, contre le communautarisme gay, le multiculturalisme etc”. Là est le lobbying, au service d’une vision du monde nationaliste réactionnaire, de la conjuration des homophobes. En quarante ans, tout a changé. Sauf eux.
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