Charles Culioli, candidat malheureux du Nouveau Front populaire aux élections législatives en Picardie, appelle la gauche à s'adresser aux électeurs du Rassemblement national. Pour ce faire, elle doit selon lui réinvestir la ruralité en assumant des mesures sociales émancipatrices.
Alors que le Rassemblement national (RN) a fait des scores très élevés dans l'Aisne aux élections législatives anticipées, Charles Culioli, candidat malheureux du Nouveau Front populaire (NFP) dans la première circonscription de ce département de Picardie (Hauts-de-France), tire la sonnette d'alarme : la gauche doit reconquérir les terres abandonnées au RN. Pour ce faire, elle doit selon lui réinvestir un projet porté par la valeur de liberté, tenir un discours social fort et s'émanciper de la figure de Jean-Luc Mélenchon. Entretien.
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- Qu'est-ce qui vous a conduit à vous présenter aux élections législatives dans l'Aisne ?
Charles Culioli : Je suis avocat en droit social pour défendre les travailleurs lors de plans sociaux. Je suis quelqu'un d'ici, j'habite à Laon, et ma famille vient de Tergnier. Tout s'est fait au dernier moment, avec un rythme imposé par Emmanuel Macron. L'Aisne est l'un des départements les plus RN de France, nous avons eu quatre circonscriptions sur cinq acquises au RN dès le premier tour. Mais ce n'est pas une fatalité. Je voulais porter une parole de gauche un peu différente et avoir l'opportunité de faire une campagne de projet et non simplement tournée sur notre opposition au RN. Dans les départements ruraux, où le RN est très présent, la gauche a tendance à avoir la politique honteuse et à ne pas défendre ses idées. Mon objectif, c'était d'inverser cette dynamique.
- Sur les réseaux sociaux, vous avez fait avec humour une campagne qui n'a pas laissé indifférent le Twitter gay… Ça vous a surpris ?
Un peu, oui. (Rires.) Mais le Twitter gay m'a permis de développer mon discours politique. Je suis heureux d'avoir comme alliées des personnes dont je suis également un allié. Certains pensent que dès lors qu'on parle aux classes populaires rurales, on se détache du sociétal. C'est faux ! Il ne faut pas prendre des additions pour des soustractions, ce n'est pas parce qu'on met l'accent sur le pouvoir d'achat qu'on oublie les questions d'égalité.
- Qu'est-ce qui selon vous explique l'importante progression du Rassemblement national sur des terres qui furent longtemps acquises à la gauche ?
Le discours de gauche à Paris n'a pas permis à la gauche rurale de prospérer. Les élus du Nouveau Front populaire plébiscités dès le premier tour sont tous urbains et, au total, les autres députés NFP sont majoritairement métropolitains. Nous devons absolument reconquérir l'électorat du RN, qui nous considère aujourd'hui comme des emmerdeurs, des empêcheurs. La gauche doit être à nouveau synonyme de liberté, notamment face à la financiarisation de l'économie qui nous contraint, ou au réchauffement climatique qui nous empêche de nous projeter dans un avenir heureux. Je rappelle qu'en 1936, le slogan du Front populaire, c'était "pain, paix, liberté".
- François Ruffin s'est émancipé de la figure de Jean-Luc Mélenchon. Vous comprenez sa décision d'avoir quitté La France insoumise ?
Je me sens proche de François Ruffin et j'ai vécu la même chose que lui sur le terrain. Le rejet de Jean-Luc Mélenchon est très fort dans l'Aisne. Une partie est liée à sa diabolisation reposant sur des manipulations des médias Bolloré qui lui font porter des positions qui ne sont pas les siennes. Mais parallèlement, il a aussi tenu des propos ambigus sur de nombreux sujets, par exemple les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, et il a une propension à toujours culpabiliser la société quand on a besoin de joie, d'apaisement, et même d'amour – y compris pour les électeurs du RN. Jean-Luc Mélenchon clive les Français par une posture qui me semble intransigeante. À côté de cela, je ne fais aucune concession sur le programme du Nouveau Front populaire et la nécessité de porter un discours ancré dans le social et les valeurs d'émancipation.
- Emmanuel Macron a appelé à un programme de coalition républicaine. Quelles mesures consensuelles vous semblent prioritaires ?
La première des mesures devrait être l'augmentation du Smic. Avec ce niveau de crise sociale, nous ne pouvons nous permettre d'avoir une rémunération du travail aussi faible par rapport à la rémunération du capital. Nous devons ensuite avoir une grande loi sur les déserts médicaux, notamment par la régulation de l'installation des médecins à la sortie de leurs études. On pourrait par exemple les salarier un ou deux ans dans un désert médical avant de leur permettre de s'installer en libéral. Nous devons ensuite légiférer sur la fin de vie, réforme qui avait une majorité transpartisane avant d'être arrêtée de manière brutale par la dissolution d'Emmanuel Macron. Enfin, je pense que nous devons avoir une grande loi sur la prévention au travail, car nous avons vu une corrélation forte entre la politique d'Emmanuel Macron et l'augmentation des accidents du travail.
- Comment aujourd'hui sortir du blocage politique ?
Si on veut un régime parlementaire, il faut qu'Emmanuel Macron donne un mandat au premier groupe à l'Assemblée nationale pour former une coalition. C'est exactement l'inverse de ce que fait le président en tentant de se remettre au centre du jeu alors que l'ensemble des Français lui ont demandé d'en sortir. On lui a mis un carton rouge, et lui revient sur le terrain en voulant tirer le penalty. Arithmétiquement, nous ne sommes pas en mesure de mettre en œuvre le programme du NFP, alors nous devons resserrer nos ambitions sur certaines mesures qui font consensus. Je les ai listées : Smic, déserts médicaux, fin de vie et conditions de travail.
- Demander les voix du RN pour faire approuver les textes du programme du Nouveau Front populaire, est-ce une ligne rouge ?
Très clairement, oui. Mais si leurs députés votent les mesures du NFP, cela montrera qu'ils n'ont pas toujours un double discours. Si demain il y a un texte qui propose l'abrogation de la réforme des retraites, ça clarifiera les choses. Mais ce n'est pas à la gauche d'aller demander au Rassemblement national de voter ses textes. Par ailleurs, nous devons tout faire pour que l'extrême droite n'arrive pas aux postes à responsabilités à l'Assemblée nationale. Cela marquera une différence avec la pratique du pouvoir par Emmanuel Macron.
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Crédit photo : @CharlesCulioli via X (Twitter)