Diane Leriche, secrétaire d’Acceptess-T : "C’est plutôt la loi Justice du… 19e siècle"

Par Adrien Naselli le 20/06/2016
Diane Leriche Acceptess-T

Un amendement au projet de loi "Justice du 21e siècle" censé permettre le changement d’état civil des personnes trans rencontre une forte hostilité de la part des associations. Diane Leriche, secrétaire et porte-parole d’Acceptess-T, nous explique pourquoi.

 
Vous avez participé à la réunion du 7 juin avec des députés impliqués dans l’amendement. Comment se passent ces rencontres ?

Ce sont des tables rondes où se réunissent de nombreuses associations qui défendent les droits des trans. Mme Crozon et M. Binet [les députés ayant présenté l'amendement initial, NDLR] étaient présents, nous avions aussi avec nous une avocate qui s’occupe des droits des trans et qui plaide pour le CEC [le changement d’état civil libre et gratuit, NDLR]. On essaye de leur faire accepter l’idée qu’il est possible de ne pas passer devant un TGI [Tribunal de Grande instance, NDLR], mais les députés ne cessent de nous rétorquer que le gouvernement ne veut pas aller plus loin, qu’il est déjà allé presque jusqu’à la rupture à cause d’une forte pression du groupe Les Républicains. Ils nous demandent en somme d’être contents car « au moins il y aura un amendement et on verra après pour les détails ». Mais justement, ensuite, il n’y aura plus urgence, et la situation n’évoluera plus !

 
Quel était votre sentiment en sortant de cette réunion ?

Eux-mêmes sont d’accord pour dire que le texte est mal formulé. Mon sentiment c’est qu’ils ont cherché à nous piéger en nous disant qu’on devait prendre nos responsabilités : c’est un dialogue de sourds car ils savent que le texte ne peut pas marcher tout en ne voulant rien changer. On fait un pas en avant, or ils font un pas un arrière.

 
Pour nos lecteurs qui ne le sauraient pas, pouvez-vous réexpliquer les conditions actuelles pour le changement d’état civil ?

Il n’y a aucune loi qui est établie pour le CEC, juste une jurisprudence. Nous devons passer devant un TGI. Nous devons donner les preuves d’une irréversibilité du « changement de sexe », d’une stérilisation, de témoignages de psychiatrisation, le juge peut même faire appel à une expertise médicale. Mais pas dans tous les TGI… car certains juristes ont mené des combats. Par exemple, suivant les TGI, la notion d’irréversibilité n’est plus là : à Montpellier la demande sera refusé, à Nanterre on ne sera pas dans le même cas. On est donc confronté à une inégalité en fonction des lieux géographiques. De plus, il s’agit d’une procédure très longue, entre un et trois ans. Cela entraine une grande précarisation pour le logement et le travail notamment : au bout de trois ans, on est quasiment à la rue. Pour se resocialibiliser le chemin est très long, il faut une grande force psychologique pour supporter ça. Dans la situation actuelle, beaucoup de personnes trans se suicident ou entrent dans une forme d’illégalité : pourquoi respecter la loi quand on ne nous donne pas de droit ? On est en mode « ras-le bol », surtout quand on sait que la Cour européenne préconise autre chose. La France a été condamnée en 1992 par l’Union européenne pour atteinte à la liberté du corps.

 
Qu’est-ce qui pose problème dans cet amendement ?

Ce sont les sous-amendements : ils vont nous obliger à passer par une saisie du conseil judiciaire, il va falloir que l’on ait l’aide d’un avocat et donc repayer. Il y a aussi un jugement sur le physique. Quels sont les critères pour juger ce qui fait une femme ou un homme alors que les personnes cis [les personnes qui ne sont pas trans, NDLR] sont déjà extrêmement diverses ? C’est complètement absurde, on retombe dans un jugement complet. Il ne devrait pas y avoir besoin d’autre chose que de témoignage. Une personne cis n’est pas reconnue par son sexe de naissance, puisque personne ne le voit ! Tout repose sur sa manière de se présenter. Comme pour un mariage, on a juste besoin de deux témoins, devant un officier d'état civil, il n’y a pas de soucis là-dessus. Cette loi sur la justice du XXIe siècle s'apparente à une loi sur la Justice du XIXe siècle, alors que l’identité de genre n’est plus reconnue comme un trouble psychiatrique depuis 2010 par l’OMS. Le gouvernement a imposé des sous-amendements qui remettent en avant le côté maladie. Ils reviennent en arrière alors que la Norvège, par exemple, a retiré purement et simplement le trouble de l’identité de genre.

 

Diane Leriche Acceptess-T
Existrans 2015 - crédit photo Max K Pelgrims

 
Pourquoi Jean-Jacques Urvoas, le nouveau ministre de la Justice, s’en est-il lui-même mêlé ?

Si le gouvernement s’est interposé, c’est pour éviter que « La Manif pour tous » ne redescende dans la rue : il a peur que LMPT râle mais ils n’a pas peur de ce qui se passe actuellement contre la loi Travail, allez comprendre... Il y a automatiquement des lobbys au niveau de l’Assemblée nationale, des lobbys qui ont un pouvoir d’électorat très important. J’ai du mal à comprendre ce gouvernement qui craint LMPT alors que ses manifestants ne voteront pas pour eux. Ils se disent que nous sommes moins nombreux, car leurs chiffrent tournent autour de 10.000 et 15.000 personnes ; mais ils ne prennent en compte que les personnes qui ont fait une réassignation, en réalité nous sommes évidemment plus nombreux. En ce moment, le fait que les personnes trans soient un peu plus et mieux médiatisées est très important, car cela permet aux gens de se reconnaître et de ne pas se sentir isolés. La transidentité c’est ce que l’on est et non pas ce que l’on aime, il faut arriver à faire passer ce message. Ce n’est pas un choix, il faut pouvoir être accepté dans son genre comme tout un chacun.

 
Pourquoi ont-ils imposé dans le texte cette notion de « sincérité et de continuité » qui annule tout le principe de démédicalisation ?

Cette notion ici ne veut rien dire et elle est catastrophique car elle pourra être interprétée de différentes façons. Combien de temps dure cette « continuité » : un jour, un mois, un an ? La « sincérité » nous renvoie encore et toujours à la psychiatrie. Encore une fois, les députés eux-mêmes reconnaissent que cette formulation n’est pas bonne !

 
Le ministre de la Justice ne connaît manifestement pas le sujet : il a parlé de « travestis »… Mais qui connaît le sujet finalement ? Avez-vous des interlocuteurs.trices qui ont l’air de savoir de quoi il est question ?

Monsieur Urvoas ne sait pas ce qu’il dit : il a même parlé de transformistes ! Or les transformistes n’ont aucune envie de changer d’état civil puisque, justement, changer d'apparence physique est leur métier ! Les députés commencent à connaître le sujet à force de nous cotoyer. On a mis en avant le travail des associations. Ils nous ont promis que la Cour de cassation allait faire en sorte de changer la mentalité des institutions, or en prison c’est tout le contraire qui se passe. Les femmes trans se retrouvent en prison d’hommes, elles sont obligées de se déguiser en mecs. Elles se retrouvent isolées et avec un poids psychologique énorme, à côté du département des délinquants sexuels. Cela prouve l’ignorance du ministre de la Justice qui est dans un conservatisme extrême. Il faut tout de même rappeler que la France est condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’exigence de stérilisation imposée par les tribunaux.

 
Vous dites que l’amendement qui a été adopté vise simplement à annuler la condamnation de la France ?

C’est clairement pour éviter de payer, car leur échéance arrive début juillet. Ils nous ont dit que ce serait un amendement et non pas une loi pour éviter d’aller devant le Sénat. Je constate en tout cas que pour la loi Travail, ils n’ont pas hésité à passer avec le 49.3, mais pour qu’un citoyen de France devienne l’égal des autres, surtout pas.

 
Cette année, l’Inter-LGBT consacre son mot d’ordre aux droits des trans pour la Marche des fiertés. Pensez-vous que cela aura un impact ? 

Je ne connais pas l’impact de cette marche sur les populations. On ne retient souvent que le bloc officiel, le premier, qui sera aux côtés des élus. Le message va être brouillé car ils vont mettre l’amendement en avant...

 

Pour en savoir plus :

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Couverture : Marche des fiertés 2015 - crédit Max K Pelgrims