Rencontre avec le photographe Antonio Guzzardo et ses "toy boy" barbus pour un regard inattendu et sucré sur la société du XXIème siècle.
"Barbe" c’est la rencontre improbable des hipsters à barbe avec l’univers des poupées Barbie concoctée par Antonio Guzzardo. Diplômé par l’Académie des Beaux-Arts de Rome en 2008, ce jeune artiste gay propose en 2010 une thèse sur la photographie publicitaire ; un projet au croisement de la mode, de l’ironie et de la provocation. Des thèmes qu’il réactualise aujourd’hui en photographiant des hommes à barbe semblant tout droit sortis des usines Mattel. Zoom sur ces "Ken du nouveau millénaire" et leur créateur.
TÊTU : Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bonjour à tous les lecteurs de TÊTU. Je suis Antonio Guzzardo, j’ai presque 34 ans, et je suis fièrement gay. Je suis sicilien, mais depuis douze ans j’habite la ville éternelle : Rome. Je n’aime pas me considérer comme un photographe, un illustrateur ou un peintre, mais comme un créatif. J’expérimente et je m’exprime avec les arts qui m’inspirent le plus.
TÊTU : Quelles sont tes influences ?
Beaucoup d’artistes m’ont influencé. Quelques-uns m’accompagnent à chacune de mes séances photos, de mes dessins, de mes peintures : David Cronenberg, Francis Bacon, Frida Khalo, Terence Malick, Gustav Klimt, David LaChappelle, Tim Walker, Paolo Roversi, Alphonse Mucha et bien d’autres.
Je me laisse principalement inspiré par des images, des sensations et des idées qui me viennent à l’esprit, et je tente de les mettre sur papier. Je prends des notes et je réfléchis : comment réaliser cette idée ? Et celle-ci ? Comment essayer de la concrétiser ? Différentes étapes qui prennent du temps, mais qui demandent aussi de la patience et de l’introspection. Il faut regarder à l’intérieur de soi, ce qu’on a vécu, ce qu'il y a au fond. Comme l’a dit David Lynch, les idées sont comme les poissons. Si on veut attraper les plus gros, il faut descendre en eau profonde.
TÊTU : Qu’en est-il de ton projet "Barbe" ?
Ce n’est pas simple de décrire "Barbe". Ou plutôt, l’idée est peut-être trop simple mais ça n’a pas été facile de réaliser le concept. "Barbe" est né à la base comme un projet éditorial de mode, mais je ne voulais pas que ça s’arrête là. Je voulais raconter la photographie de mode avec la photographie artistique que l’on peut voir lors d’une exposition. Je voulais créer une combinaison, comme de nombreux artistes de renommée internationale le font.
Au début, l’idée est partie du nom de Barbie puis s’est transformé. Qui sont les Barbe ? Ce sont des "toy boy". Des Ken fascinants du nouveau millénaire qui vivent dans un monde de plastique et de douceur à la limite du diabète. Mais méfiez-vous. Ils sont beaux, mignons, doux, sexy, tendres, ce sont de vraies geishas, mais ils sont aussi très très meurtriers.
TÊTU : Quel est le message de tout ça ?
Le message final n’est pas si profond mais il est certainement très provocateur. Il s’agit de voir les hommes comme des objets, peut-être comme les impudiques du nouveau millénaire. Ces gars-là vivent dans un monde de plastique comme si c’était réel, comme si c’était la seule vie digne d’être vécue. Il y a certainement un message lié à la superficialité. Ces poupées sont entourées de couleurs, de moments de fierté et de vanités, mais au final, elles ne sourient pas. Peut-être qu’il y a une profonde tristesse parce qu'il est finalement impossible de ne vivre que de paillettes et d’hédonisme.
TÊTU : Qui sont ces hommes à barbes que tu photographies ?
Le pivot de l’histoire - celui qui sert de fil conducteur - c’est Valerio, un mannequin qui travaille pour une agence de mode. Je voulais que le protagoniste ait un beau corps et puisse ressembler au Ken moderne. Le reste de l’équipe, ce sont des garçons qui viennent de différentes régions d’Italie et qui ont répondu à une annonce. Après avoir reçu plusieurs messages, j’ai fait une sélection : il y avait des jumeaux, un couple, un mec avec une grosse moustache et des garçons avec de très longue barbes. Et j’ai choisi d’immortaliser les hommes à barbe, parce que je voulais avant tout créer un jeu de mots entre le mot italien barbe (des barbes en français, ndlr) qui est le pluriel de barba (une barbe en français, ndlr) et Barbie, pour faire une fusion avec le logo de Mattel des années 1980. Et c’est parti de là, du titre.
TÊTU : Pourquoi considères-tu ce projet comme gay-friendly ?
Disons que maintenant, même dans le monde gay est arrivé la figure du hipster barbu. Ces dernières années, on s’est fait une indigestion des garçons homosexuels dotés de ces barbes fournies, même si elles ont apporté un vent de fraîcheur et de masculinité aux stéréotypes pour lesquels nous sommes tellement critiqués. Mais qui a dit que ces hommes très barbus sont pour autant aussi viril ? Peut-être en apparence, du visage, mais il est possible qu’ils soient plus féminins qu’il n’y parait.
L’idée m’est venue à l’esprit à partir d’un surnom que nous avons trouvé avec des amis en allant en soirée, en voyant des machos barbus qui ne se comportaient pas vraiment comme des rustres. Combien de fois il m’est arrivé de connaître un beau jeune homme au visage velu qui, une fois sur la piste de danse, se lance dans des mouvements que même les Pussycat Dolls seraient incapables de faire !
Notre expression "Voici les Barbe" fait référence à l’arrivée de ces garçons avec un look de hipster, très négligés, avec une longue barbe, mais ayant des attitudes et des goûts pas vraiment masculins. Mais ça nous plaît aussi comme ça.
TÊTU : Est-ce que ton travail va être exposé ?
Eh bien, le projet original c’est un projet de mode et donc pour le moment ça le restera. Mais qui sait, il ne faut jamais dire jamais. Ça serait très satisfaisant qu’une galerie ou qu'un espace d’exposition soit intéressé par mon travail et souhaite y dédier une exposition, mais il faut toujours garder les pieds sur terre. Parfois les rêves sont beaux même quand ils ne se réalisent pas.
TÊTU : As-tu d’autres projets en tête ?
Je ne sais pas encore. Je ne suis pas un photographe qui prévoit. Je suis inspiré par l’instant, par une période, un mot qui vient dans mon esprit et qui me martèle. Tout comme ça s’est passé pour "Barbe".