Rencontre avec Agnès b. créatrice libre et engagée, au style à la fois français et universel, singulièrement dans l’air du temps.
Quarante ans après sa création, agnès b. est reconnue pour sa mode intemporelle et ses modèles incontournables. Mais ce que l’on retient avant tout c'est un style et une philosophie de vie aussi marqués que ne l'est l’engagement personnel de la fondatrice, dont les convictions s’affirment avec bienveillance et optimisme au gré des saisons.
TÊTU : Quel est votre moteur pour continuer à créer, plus de 40 ans après la création de votre marque ?
Agnès b. : Mon moteur est le plaisir de créer, j’adore faire mon travail. Je dessine en réfléchissant à la vie des gens et à l’usage qu’ils feront des vêtements qui, pour moi, doivent toujours être dans l’air du temps. J’ai une nature très positive et sereine et je ne m’ennuie jamais ! Mon travail de styliste m’amène à styliser beaucoup de choses : les boutiques (je viens par exemple d’ouvrir une boutique à Versailles que j’ai complètement imaginée avec un de mes proches collaborateurs) mais aussi les accrochages à la galerie du jour que j’adore réaliser…
TÊTU : Et si vous n'aviez pas été la grande styliste que vous êtes aujourd’hui?
Agnès b. : Je serais conservateur dans un musée ou bien dans un dispensaire en Afrique. Mais je serais toujours aussi têtue !
Un groupe international, familial et responsable
Agnès b. ouvre sa première boutique rue du jour à Paris en 1976. Depuis, elle propose une mode qui vit et se vit selon l’air du temps, un vestiaire qui s’adapte à chaque personnalité et surtout qui peut se porter très longtemps. Homme, femme, enfant, layette sont autant de collections qui traduisent son univers riche, traversé par les mêmes convictions et le même style.
Entreprise familiale et citoyenne, agnès b. s’efforce autant que possible de maintenir sa production en France. La marque compte aujourd’hui 286 points de vente à travers le monde (boutiques et corners), dont 39 en France et une trentaine respectivement à Taïwan, Hong Kong et en Chine. Elle emploie 2200 collaborateurs dans le monde, conçoit et produit dix collections par an mises au point par un atelier composé d’une trentaine de personnes : patronniers, toilistes, mécaniciens, coupeurs.
Masculin singulier
agnès b. a apporté la désinvolture au costume masculin. Elle a assoupli les lignes, étriqué les vestes et multiplié les détails pour les faire évoluer en permanence : du nombre de boutons à la longueur des pantalons en passant par les cols. Agnès b. fait appel aux mêmes façonniers depuis des années, reste fidèle à leurs “savoir-faire”.
Qu’il soit en lin, coton, tweed, laine sèche, alpaga ou velours, uni ou à fines rayures, pied de poule, ou petits carreaux, un costume agnès b. se porte des années. Le costume trois pièces des années 50, le look dandy, l’élégance de la Nouvelle Vague, la photo des années 40, 50, 60 sont pour la styliste, les codes du costume masculin.
Les dandys cool à la française
L’homme est classique en costume cintré, chemise blanche et cravate. Un peu impertinent aussi : il porte la cravate avec désinvolture, associe les imprimés et dédramatise les costumes trois pièces. L’homme décale ce qu’il porte. En veste ou en costume, voire en smoking mais avec des imprimés qui tranchent, un détail décalé, un jabot. L’homme est un dandy rock en couleurs vives ou rock, en noir ou en cuir.
TÊTU : L’homme agnès b. en trois adjectifs ?
Agnès b. : Moderne. Non daté, on peut garder une veste 10 ans ! Dans l’air du temps et surtout EASY.
TÊTU : Quels sont les essentiels du vestiaire masculin agnès b. ?
Agnès b. : La chemise bleue marine à tout petits pois et toutes les variations sur les petits imprimés sur des tons pastels l’été, et plus sombres l’hiver. Le parfait jean noir, serré avec un peu de stretch. Le blouson à bord-côte dans différentes matières.
Les blousons noirs prennent des couleurs
Renouveler dans la continuité
"J’ai envie de faire des vêtements que l’on garde toute une vie." Agnès b. crée depuis ses débuts un vestiaire composé de pièces indémodables, définit son propre vocabulaire stylistique en mixant les codes classiques à la mode de la rue. Vêtements de travail, t-shirt rayés et chemises blanches sont autant d’incontournables qui s’adaptent à tous usages et modes de vie.
Les vêtements de travail : Vestes de charbonniers, salopettes de peintres ou cabans deviennent le point de départ d’un nouveau vestiaire, fait d’élégance rugueuse et de matières douces, à oublier, pour se sentir bien partout.
L'uniforme en goguette
Le t-shirt rayé : En 1977 la créatrice fait la rencontre d’un fabricant de chemises de rugby. Celles-ci sont taillées dans d’épaisses toiles de coton rayées et Agnès b. a l’idée de les utiliser pour faire des t-shirts sans col qu’elle teint pour obtenir des couleurs spéciales.
agnès b. n'est pas prête à tirer un trait sur le t-shirt rayé
Les chemises blanches : On ne parle pas de la chemise blanche chez agnès b. mais des chemises blanches. Une véritable institution. En popeline de coton ou en coton crépon, à boutons, boutons pressions ou zippées, avec ou sans manches, à col pointu, italien, officier ou rond, à lavallière ou à jabot, ample ou à corps étroit, masculine, ou plutôt chemisier, à poignets mousquetaires ou rondelle… parfois aussi, sérigraphiées bref, de quoi trouver son bonheur.
Variations sur un même thème : les réincarnations de la chemise blanche
TÊTU : Les effets de mode et les tendances sont-ils conciliables avec le style et l’élégance au masculin ?
Agnès b. : Je n’ai aucune idée des tendances de la "mode" ! Je ne vais à aucun défilé, je ne fais pas de shopping et je ne vois que la rue. Je suis inspirée par mes amis et les gens qui m’entourent : artistes, musiciens, mais aussi les mannequins qui arrivent avec leur propre look lors des essayages. Au moment du défilé j’aime adapter les looks à chacun car j’ai horreur des stéréotypes.
TÊTU : Existe-t-il encore un tabou dans la manière qu’ont les hommes de s’habiller? L’ultime interdit ou faute de goût ?
Agnès b. : Je déteste l’association chemise-cravate avec une veste sportswear ou une parka. Les mocassins à pompons ainsi que le pull noué sur les épaules. Enfin, les vestes avec les épaules trop carrées. En revanche, j’adore la hardiesse, ceux qui se stylisent eux-mêmes, avec une subtile fantaisie.
TÊTU : Existe-t-il selon vous un vêtement considéré comme ringard ou désuet que vous aimeriez remettre au goût du jour ?
Agnès b. : Les sandales masculines et espadrilles, surtout que les baskets tiennent trop chaud l’été ! Les maillots de bain simples, moulants, assez courts, à la James Bond. Les garçons, n’hésitez pas à mettre un paréo autour des reins avant d’aller déjeuner. Et pour vous mettre à table, surtout, mettez un T-shirt !
Le cultissime cardigan à pressions
T-shirts d’artistes
Agnès b. fait des ponts entre les univers qui lui sont chers et sa mode. Les t-shirts d’artistes en sont le parfait exemple. C’est une ligne à part entière, qui n'obéit pas à une logique de saisons, une ligne prestigieuse et unique, qui peut se vanter d’avoir en mémoire plus de soixante artistes dont certains extrêmement célèbres comme Robert Filliou, Jonas Mekas, Martine Barrat, Gilbert and George, Dennis Hopper, Futura, Claude Lévêque ou Douglas Gordon.
C’est une proposition de l'artiste cubain Felix Gonzales Torrès, qui a amorcé le mouvement en 1994 : il avait proposé à agnès.b de réaliser un t-shirt blanc, avec une simple phrase dans le dos : “Nobody owns me”. Le t-shirt avait eu un grand succès et est devenu un collector très recherché. Depuis, agnès b. invite régulièrement des artistes connus ou inconnus, français ou étrangers, à s’approprier ce support. Au fil des années, une véritable ligne est née. Ce sont toujours des créations exclusives, le plus souvent éditées en série limitée.
Pour fêter ses 40 ans, la marque réédite en série limitée une vingtaine de t-shirts d’artistes choisis parmi les plus emblématiques depuis la création de cette ligne qui rassemble depuis plus de vingt ans des artistes, célèbres ou inconnus, français ou étrangers.
Les t-shirts de Kenneth Anger, Jean-Michel Basquiat, Philippe Baudelocque, Frédéric Bruly-Brouabré, John Giorno, Jonone, Seydou Keïta, Harmony Korine, David Lynch, Jim Shaw, Hugues Reip... pour n’en citer que quelques-uns ! agnès b. offre aussi cette opportunité à de jeunes artistes moins connus, qui y trouvent l’occasion de montrer leur travail.
TÊTU : Quels sont vos derniers coups de coeurs artistiques ?
Agnès b. : Au cinéma, la Palme d’Or du Festival de Cannes, le film de Ken Loach, magnifique (Moi, David Blake, ndlr). Je rencontre aussi beaucoup de musiciens que j’habille comme Jain avec sa robe noire et blanche, les Ibeyi avec leurs combinaisons rouge, Nekfeu, Oxmo Puccino, Baxter Dury, Tom Waits, M, Dominique A… Souvent tard le soir j’écoute Radio Nova, mais on ne sait pas toujours les noms, et ça me casse les pieds de faire Shazam à chaque fois ! Le meilleur cadeau qu’on puisse me faire, c’est de me donner des playlists, ce que font plusieurs de mes copains musiciens.
La fleur au fusil
Convaincue que les initiatives privées doivent se multiplier pour faire avancer les choses, la société agnès b. apporte son soutien à de nombreuses associations et organisations à but social ou humanitaire (Les Restos du Cœur, Handicap Sans Frontières, Act up, Aides, la Fondation Abbé Pierre, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières)... pour ne citer que les dons les plus importants.
agnès b. met aussi en vente dans ses boutiques des produits dont la totalité des bénéfices est reversée à des associations. Certains de ces produits sont présents dans les boutiques depuis plusieurs années et d’autres apparaissent le temps d’un soutien ponctuel. Une manière pour elle de faire connaître les causes qu’elle estime importantes et de proposer aux clients de s’associer à sa démarche.
TÊTU : Vos engagements et les causes que vous soutenez avec fougue et bienveillance sont aussi reconnus que vos créations. Certains combats vous tiennent-ils plus à coeur aujourd'hui?
Agnès b. : Tous les combats que je peux mener me tiennent également à cœur. J’essaie de faire du mieux que je peux. Cela vient de ma nature, de mon éducation, et de l’envie de partager. Aujourd’hui, plus que jamais, il est important que les plus favorisés partagent. Au XXIe siècle il faudra tout partager : les ressources, l’eau, l’énergie… en veillant à préserver notre terre. En ce moment, la question des migrants en Méditerranée et du nombre de ceux qui périssent m’obsède. Que va t-il se passer pour ceux qui en réchappent ? Et que dire de l’homophobie et de l’islamophobie ? Ce sont deux idéologies inacceptables.
La créatrice s’implique particulièrement dans la prévention et la lutte contre le VIH/sida. Depuis 1988, elle met en vente dans ses boutiques des écharpes rouges, en laine ou en coton selon la saison, dont les recettes des ventes sont versées à diverses associations ou services hospitaliers dans chacun des pays où elle est présente. #LoveWins
TÊTU : On trouve depuis toujours des préservatifs gratuits dans vos boutiques : pourquoi ce geste est-il pour vous une évidence?
Agnès b. : Dès le début de l’épidémie du sida, j’ai décidé de mettre des bocaux remplis de préservatifs à disposition des clients (ou juste des passants d’ailleurs) dans mes boutiques, avec des emballages stylisés par le service image de la maison. C’était pour moi une évidence d’agir face à cette situation d’urgence. Je continue aujourd’hui, car l’épidémie ne s’est pas arrêtée. (Chaque année, la marque distribue gratuitement 20 000 préservatifs, ndlr).
Découvrez tout l’univers, les collections, l’historique et les engagements d’agnès b. sur le site internet de la maison : agnesb.com
Pour en savoir plus :
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Crédit photo couverture Patrick Zwirc