Les maires réactionnaires qui avaient interdit la campagne de prévention gay voulue par le Ministère de la Santé pourraient être poursuivis au pénal; l'association Mousse des "Justiciers LGBT" a porté plainte pour discrimination.
En novembre dernier, Santé Publique France - un organisme public rattaché au ministère de la Santé - dévoilait une nouvelle campagne de prévention. Quatre couples d'hommes sur fond colorés pour informer, prévenir et sensibiliser les gays - chez qui les contaminations au VIH ne diminuent pas et même augmentent chez 15-24 ans - au sexe safe. Pourtant, ces affiches très lollipop n'avaient pas plu à tout le monde, et notamment à certains maires LR ou UDI qui se croyaient soudain devenus les maître-penseurs des "bonnes moeurs". Argument du XIXème gargarisés, ils ont inventé que ces affiches étaient un scandale, qu'elles pervertissaient la jeunesse. Ces mêmes bons hommes qui ne s'émouvaient pas de voir des femmes parfaitement nues utilisées à des fins commerciales sur leurs abris-bus sont soudainement partis en croisade contre ces slogans "Coup de foudre, coup d'essai, coup d'un soir" déclinés en grand format. Par arrêtés municipaux ou par simples coups de fil à JC Décaux, les mairies d'Aulnay-sous-Bois, de Chaville et de Meudon en région parisienne, d'Angers en Maine-et-Loire et de Compiègne, dans l'Oise, ont fait interdire ces affiches en milieu urbain.
Des mesures "prises sur le fondement (...) de la 'dignité', de la 'protection de l'enfance' et de la 'notion de famille'" alors que ces "affiches interdites se bornent à suggérer que des relations sexuelles sont possibles entre personnes de même sexe" dénonce l'association Mousse qui lutte contre l'homophobie, "elles ne montrent pas d'organes génitaux. Elles ne montrent pas de relations sexuelles. Elles ne montrent même pas de corps dénudés". Certaines municipalités les ont tout bonnement décrochées, d'autres les ont carrément barrées d'une banderole jaune hurlant "Protégeons nos enfants", à l'instar du maire d'Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza, d'après qui ces images "portaient atteinte à la dignité humaine"... Soit un message clair envoyé à leurs administrés : l'homosexualité n'est pas la bienvenue dans notre ville. Pour Maître Etienne Deshoulières, l'avocat de l'association, ces interdictions relèvent tout simplement de la censure à caractère homophobe :
L’interdiction de ces affiches vise non pas à protéger un public sensible face à des scènes à caractère sexuel, mais à cacher, notamment aux enfants, que des relations sexuelles entre personnes de même sexe sont possibles. Il s’agit d’une interdiction prononcée à raison de l’homosexualité. C’est contre cette censure que Mousse porte plainte aujourd’hui.
La liberté d'expression vaut même pour les informations "qui heurtent, choquent ou inquiètent une fraction de la population"
D'après l'association qui agit en justice contre les auteurs de propos et de discriminations homophobes, les arrêtés litigieux ont déjà fait l'objet de recours administratifs "de la part des préfets compétents" sur ordre du gouvernement. Après les textes, c'est donc contre les personnes que les "Justiciers LGBT" de Mousse souhaitent agir. Hier, ils ont porté plainte contre les maires d'Angers, d'Aulnay-sous-Bois, de Compiègne, de Chaville et et de Meudon pour discrimination commise par un dépositaire de l'autorité publique (art. 432-7 du code pénal) ; le même fondement juridique invoqué contre les maires refusant de marier des couples homos tels Marie-Claude Bompard jugée au début du mois.
Le procureur dispose désormais de trois mois pour ouvrir une enquête et poursuivre les maires incriminés, mais la jurisprudence joue contre ces maires réactionnaires. L'association se repose en effet sur deux affaires, une première où un maire fut condamné en 2010 pour avoir refusé à une élue son droit de parole en conseil municipal car celle-ci portait une croix chrétienne en pendentif, et une seconde, où une association catholique échoua en 2005 à faire condamner AIDES pour "injure" suite à sa campagne de prévention "Sainte Capote".
Me Etienne Deshoulières mise également sur l'arrêté Handyside (décembre 1996) émis par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans une affaire de presse anglaise voyant à nouveau l'affrontement entre "bonnes mœurs" et représentation de l'homosexualité ; le texte affirme que la liberté d'expression vaut même pour les informations "qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de société démocratique." A l'avocat de constater, amusé :
Historiquement, les associations défendant la famille ont beaucoup attaqué - les décisions des maires, les affiches anti-sida... - ce qui a permis le développement d'une jurisprudence qu'aujourd'hui nous, dans le mouvement LGBT, on peut invoquer lorsque ces gens-là invoquent les "bonnes mœurs" et les valeurs de la famille pour empêcher de voir deux gays sur une affiche.