TchétchénieLa Tchétchénie promet de "châtier" les journalistes qui ont révélé la purge anti-gay

Par Julie Baret le 14/04/2017
Tchétchénie purge anti-gay

D'éminentes figures religieuses et politiques tchétchènes ont promis de châtier les responsables de ces révélations, "où qu'ils soient et sans délai."

Le 1er avril, Novaïa Gazeta nous ouvrait les yeux sur le cauchemar des homosexuels et présumés en Tchétchénie : plusieurs centaines d'arrestations depuis le seul mois de février, des hommes entassés dans des prisons secrètes et servant d'appât numérique pour capturer d'autres victimes. Mais aussi des tortures, des humiliations et du chantage primaire commandés par les autorités tchétchènes. Ainsi qu'au moins trois meurtres dont Novaïa Gazeta affirme détenir les preuves, tout en craignant un chiffre bien plus grand dans cette région du Caucase qui pratique toujours le "crime d'honneur".
Les photos des blessures et les témoignages glaçants des rescapés ont depuis fait le tour du globe grâce à l'emballement des médias internationaux, bouleversant l'opinion publique et poussant les politiques à s'exprimer. Mais le journal lanceur d'alerte est désormais dans une situation dramatique.

Traquer et punir les "ennemis de la patrie"

Novaïa Gazeta révélait hier qu'une réunion d'urgence s'est tenue le 3 avril (soit 48 heures après la publication du premier article choc) à Grozny en Tchétchénie. "Des représentant de l'opinion publique, des représentants religieux, ainsi que les représentants des 24 wird [sous-branche d'une confrérie soufie, ndlr]" se sont rassemblés dans la mosquée centrale de la capitale (en couverture) pour discuter de ces révélations déjà portées en dérisions par les porte-paroles officiels de cette république constitutive de la Fédération de Russie.
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Toujours selon le journal, un total de 15.000 personnes se serait pressé dans le lieu de culte surnommé "le cœur de la Tchétchénie", dans ce territoire à majorité musulmane. Au cours de cette réunion exceptionnelle, le journal a de nouveau été accusé de "calomnie" et tous ses employés ont été qualifiés d'"ennemis de notre foi et de notre patrie" par Adam Chakhikov en personne, conseiller du président tchétchène Ramzan Kadyrov. Surtout, la réunion a conclu à la résolution suivante :

Étant donnée les insultes subies envers les traditions, les fondements de la société tchétchène, et envers la dignité des hommes tchétchènes, nous promettons que les instigateurs subiront un châtiment, où qu'ils soient et sans délai de prescription.

Ces déclarations ont été relayées par les télévisions locales et font actuellement le tour des réseaux sociaux, attisant l'atmosphère de terreur. Le Grand Mufti tchétchène, qui représente la plus haute autorité religieuse du pays, a joint sa parole à ces menaces, rapporte un autre journal russe.

La molle défense du Kremlin

"Cela nous paraît évident : cette résolution encourage les fanatiques religieux au massacre des journalistes", s'inquiète désormais le journal qui a d'ores et déjà alerté le Kremlin. Le secrétaire de presse du régime, Dmitri Peskov, s'est pour l'heure contenté de répondre que "si des accusations calomnieuses ont été faites, il existe des moyens légaux pour les contrer."
Depuis sa création, Novaïa Gazeta a déjà assisté impuissant à l'assassinat de cinq de ses journalistes dont la majorité travaillait sur la Tchétchénie. Pour cette raison, le journal d'opposition avait officiellement annoncé son retrait du pays en 2009. En dépit des menaces actuelles, l'équipe se dit déterminée à couvrir la persécution anti-gay car "le silence et l'inaction de tous les protagonistes qui ont pourtant le pouvoir d’agir deviennent complices de cette situation. Nous savons pertinemment que nous pouvons payer le prix fort. Les meurtres non élucidés d’Anna Politkovskaïa et de Natalia Estemirova en sont la preuve évidente", signait hier la rédaction.
 
Couverture : Extrait de "Grozny TV" diffusant les images de la réunion d'urgence selon Novaïa Gazeta
 
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