Mégalo, misogyne, provocateur, visionnaire... Les adjectifs sont nombreux pour qualifier l'homme à la tête de Playboy. Celui d'allié LGBT vient moins spontanément à l'esprit et pourtant, le revers du peignoir rouge brodé pourrait bien être arc-en-ciel.
Mercredi 27 août, Hugh Hefner est décédé à l'âge de 91 ans, dans sa mansion de Beverly Hills, le bien nommé Manoir Playboy, célèbre pour ses nombreuses locataires féminines, ses soirées, ses excès... en partie dénoncés dans le livre de son ancienne petite amie Holly Madison, Down the Rabbit Hole. Bille de flipper dans l'Amérique puritaine, Hugh Hefner, fils de protestants conservateurs, a bouleversé le maccarthysme en vendant jusqu'à 9 millions d'exemplaires son mensuel érotique, déboutant les procès pour obscénité et les attaques puritaines - féministes aussi.
Hugh Hefner le personnage public cultive le paradoxe. Celui qui a battit sa fortune sur l’objectivation des femmes, imprégnant la culture populaire d’une représentation aux effets dévastateurs, qui a attribué des notes à ses playmates et alimenté les préjugés sexistes, s’est toutefois élevé - personnellement ou par le biais de sa fondation - contre les loi anti-sodomie, anti-avortement, anti-contraception, anti-gay...
Bande annonce du documentaire Hugh Hefner: Playboy, Activist and Rebel (2009).
Première dystopie gay dans la presse
1955. Playboy, le magazine qui est réputé pour cacher des lapins dans des couvertures de femmes nues, a seulement deux ans, mais Hugh Hefner, son créateur, fait un pari : celui de publier la nouvelle de science-fiction The Crooked Man, refusée de tous les titres, y compris d'un autre magazine de charme, Esquire. Alors que l'homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale, l'auteur Charles Beaumont (qui a déjà été publié dans Playboy l’année passée) y dresse un monde homonormé où la législation criminalise l’hétérosexualité, et dans lequel Mina doit se déguiser en drag pour pouvoir retrouver son amant Jesse, le héros de l’histoire, au beau milieu d’une orgie gay. Plusieurs lecteurs sont outrés et écrivent leur mécontentement au rédacteur en chef du magazine. Mais Hugh Hefner n'en démord pas et défend son choix. Quatorze ans avant les émeutes de Stonewall, il leur répond :
S'il était mal de persécuter les hétérosexuels dans une société homosexuelle, alors l'inverse l'est aussi.
Une fois n’est pas coutume, son magazine se fait tribune pour le mouvement des droits civiques des afro-américains : y est interviewé Miles Davis en 1962, Malcolm X en 1963, Martin Luther King en 1965… Des articles de fond, notamment sur le sida, côtoient les déshabillé de femmes, qu'il s'agisse des enquêtes sur l'origine de la maladie ou de conseils pour des pratiques sexuels sans risques, et maintiennent l’attention sur le sujet. "Je n'aurai pas démarrer Playboy si j'avais eu peur de la controverse. Je pense que la controverse permet de faire changer les choses", déclarera-t-il plus tard.
Mannequins noires et mannequins trans parmi les "Bunny girl"
Rebelle dans les lignes et dans les images. En octobre 1971, Hugh Hefner fait poser Darine Stern, playmate noire en Une du magazine, trois avant que Vogue ne produise sa première couverture mettant à l’honneur une femme de couleur. Dans ses Playboy Clubs comme dans ses show télé (Playboy Penthouse puis Playboy After Dark), "Hef" fait cohabiter des Noirs et des Blancs sur la scène comme dans le public, quitte à enfreindre les lois ségrégationnistes encore en vigueur dans certains États.
En 1981, l’actrice Caroline Cossey surnommée Tula vient de tourner dans un James Bond époque Roger Moore : Rien que pour vos yeux. Mais un tabloïd s’est procuré son dossier médical et étale en kiosque sa transidentité. Après cet outing, Playboy lui offre de poser dans ses pages, faisant d’elle le premier mannequin trans à poser pour un magazine.
Mariage pour tous, étape de la "révolution sexuelle"
D'ailleurs, lorsque le magazine Advocate - auquel il glisse au passage avoir eu déjà des aventures homos - lui demande en 1994 s'il est militant des droits des gays, Hugh Hefner répondra plus simplement qu'il est un "militant des droits humains" :
Passer notre temps à se discriminer les uns les autres au lieu de célébrer le simple fait de notre existence mutuelle, c'est la plus grande tragédie qu'il y a à être en vie.
En 2012, celui qui s'est marié à trois reprises défendait avec humour le mariage pour tous dans The Daily Beast, lorsqu'il affirmait que "penser que le concept de mariage sera souillé par le mariage homo est ridicule. Les hétéros s'en sortent déjà très bien tous seuls". S'adressant directement à ses lecteurs, dont l'écrasante majorité sont des hommes hétéros, il y démolit les conservateurs qui "pratiquent une discrimination déguisée en liberté religieuse" et qui de fait "criminalisent toute votre vie sexuelle." Arguant que le combat pour l'ouverture du mariage aux couples homos est "un combat pour tous nos droits" sans lequel "nous renversons la révolution sexuelle et revenons à des temps antérieur", il attaque directement plusieurs texte de lois réactionnaires et appelle à la "protection de tous les Américains."
Controverse
Hier, une grande partie de la presse américaine a salué un "pionnier des droits pour les gays", omettant ce qu'il a coûté à la lutte féministe (exemple parmi d'autres, en 2010, il disait des femmes qu'"elles sont des objets !" pour Vanity Fair). Sarah Kate Ellis, directrice de la Gay and Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD) qui veille au traitement des sujets LGBT dans les médias, a contrebalancé ces portraits édulcorés en trois tweet :
C'est inquiétant de voir comment les médias tentent de dépeindre Hugh Hefner comme un pionnier ou un militant de la justice sociale. Rien ne pourrait être plus loin de la réalité. Hefner n'était pas un visionnaire. Il était un misogyne. Il a construit un empire sur la sexualisation des femmes et la généralisation des stéréotypes, ce qui a causé des dommages irréparables sur les droits des femmes et sur notre culture toute entière.
Hugh Hefner devrait reposer à côté de la première playmate, Marilyn Monroe, qu'il n'a pourtant jamais rencontré en personne (il a acheté ses photos dénudées au photographe Tom Kelley pour qui elle avait posé par le passé), et dont il avait acheté la tombe voisine au Westwood Memorial Park de Los Angeles en 2009.
Couverture : extrait de Playboy After Dark, 24 avril 1970.