Pour la première fois de l'histoire du Kosovo, les rues de la capitale Pristina ont accueilli une marche des fiertés. Le président s'y est rendu. Le signe d'une volonté politique de promouvoir les droits des LGBT ou une sortie médiatique sans conséquences concrètes ?
« Aujourd'hui, je prends la parole non pas pour me faire entendre personnellement mais pour faire entendre la voix de celles et ceux qui ne peuvent pas s'exprimer, qui veulent vivre en paix et être traités avec dignité. » Drapeau arc-en-ciel noué autour du cou telle une cape de super-héros et lunettes assorties sur la tête, Lendi Mustafa a prononcé son premier discours lors d'une marche des fiertés. Le jeune homme de 21 ans est l'un des organisateurs de la première Pride du Kosovo. Au terme d'une semaine des fiertés, mardi 10 octobre 2017, plus de 300 personnes ont pu arpenter 500 mètres des rues de la capitale Pristina, sous le slogan « Au nom de l'amour ».
Hundreds march through Kosovo's capital for the strongly conservative country's first gay pride parade pic.twitter.com/v4ngrU18bS
— AFP news agency (@AFP) 10 octobre 2017
Cette « Love Parade » a été rendue possible grâce à la coordination de neuf ONG locales. Agim Margilaj en est l'un des représentants, il est membre du CSGD (Center for Social Group Development), une association LGBT. « Cette Pride a attiré une attention, inédite au Kosovo, sur les questions LGBT. Ainsi nous voulons voir comment l’État est prêt à protéger notre fierté et être attentifs aux réactions au sein de la population et au sein de notre communauté, analyse-t-il auprès de TÊTU.
Pour le militant, cette première marche des fiertés fut émouvante : « Je n'imaginais pas un tel succès. Pendant le défilé, j'étais très euphorique, mon esprit était soufflé et je ne pouvais plus sentir mes jambes, témoigne-t-il. Je me souviens seulement d'un moment en particulier : les gens marchaient et dansaient, moi j'étais à l'avant du cortège et je tenais la bannière « Prishtina 1st Pride 2017 », j'ai crié « Happy pride Kosovo » et j'ai pleuré. »
Cet événement a été soutenu par des ambassades étrangères, dont celle des États-Unis. Greg Delawie, ambassadeur américain au Kosovo, a d'ailleurs défilé aux côtés des militant·e·s.
Joined #Pride Parade w/@USEmbPristina staff and GoK officials to support #HumanRights of #LGBTI community in #Kosovo & throughout the world. pic.twitter.com/Zx4bJo1Fik
— Amb. Greg Delawie (@USAmbKosovo) October 10, 2017
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Des menaces et des appels à la violence
Après l'annonce de cette marche, de nombreuses menaces s'étaient répandues sur les réseaux sociaux et des appels à la violence avaient été envoyés aux médias kosovars. Des appels à tuer « ceux qui sont immoraux » et « dégénérés ».
En théorie, la discrimination à l'égard des LGBT est interdite au Kosovo depuis 2004 et le vote de la loi contre les discriminations. En pratique, les associations LGBT locales font état de nombreuses discriminations quotidiennes et affirment que peu de LGBT se présentent comme tels en société. « Le respect des droits des LGBT par la société est faible au Kosovo. Même parmi les parents de personnes LGBTI, une proportion importante [41%, ndlr] a déclaré à un sondage d'opinion [du NDI, l'Institut démocratique national, ndlr] qu'ils essaieraient de «guérir» leur enfant s'il s'avérait être homosexuel », peut-on lire dans le rapport 2016 de l'Ilga Europe. Le même institut de sondage avance également d'autres données : 81% des LGBT kosovars auraient été agressés verbalement et 29% physiquement.
Dans ce pays officiellement laïc, 90% de la population est de confession musulmane et la religion a toujours une place de choix. Certains imams ont d'ailleurs publiquement dénoncé la marche des fiertés et dénié aux LGBT leur appartenance à l'humanité. Gezim Kelmendi, le leader de Fjala, un parti religieux, a notamment publié sur Facebook un texte nauséabond. Depuis retiré, celui-ci présentait les homosexuels comme des malades qui détruisent le Kosovo et menacent la démocratie.
Malgré ces menaces et ces appels à la haine, la marche s'est déroulée sans incident.
Le soutien affiché du président
Même si cette manifestation est décrite comme la première marche des fiertés du Kosovo, il ne s'agissait pas de la première apparition de la communauté LGBT dans les rues de Pristina. Le 17 mai 2016, activistes et politiques défilaient pour le 3ème IDAHOT (ou Journée mondiale de lutte contre les LGBTphobies) de l'histoire du pays. Le président Hashim Thaçi était présent et avait prononcé les mots suivants : « Le Kosovo est européen, les droits de toutes les communautés y sont garantis et nous sommes ici pour l'affirmer. "
Mardi dernier, le président a également pris part à la manifestation. Lors d'une rapide intervention, il a exprimé son soutien à la communauté LGBT. « Toutes les communautés sont égales au Kosovo, notre État et notre société sont bâtis sur des principes de liberté et d'égalité pour tout le monde », a-t-il affirmé avant d'ajouter qu'aucune violence à l'égard des LGBT ne serait tolérée. Sur Twitter, il a écrit : « La Constitution du Kosovo protège l'amour ».
As President of Republic I joined today hundreds of #LGBTI activists for #KosovoLoveParade. #Kosovo's constitution protects love! #Pride pic.twitter.com/QfCntKzkce
— Hashim Thaçi (@HashimThaciRKS) October 10, 2017
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Paroles, paroles, paroles ?
Pourtant, l'une des batailles menées par les militant·e·s locaux concerne justement la Constitution. En effet, les lois du pays sont ambiguës sur la question du mariage. Dans la Constitution, l'article 37 stipule que « tout le monde peut bénéficier du droit au mariage et du droit de fonder une famille ». Si cet article n'intègre aucune notion de genre, ce n'est cependant pas le cas des lois sur la famille qui sont indépendantes de la Constitution. Dans l'article 14, le mariage est décrit comme l'union d'un homme et d'une femme. Les militant·e·s kosovars sont donc déterminé·e·s à se débarrasser de cet article. Selon Rina Braimi, membre du Centre pour l'égalité et la liberté au Kosovo, contacté par pinknews.cos : « Comme la Constitution est l'acte légal le plus important, la loi [sur la famille] est inconstitutionnelle. » Le militant affirme d'ailleurs que l'article 37 est utilisé par les autorités comme preuve du libéralisme du pays alors que, dans la réalité, aucun couple homosexuel n'a pu se marier.
Des paroles mais peu d'actes ? Une analyse que Agim Margilaj trouve pertinente : « Le gouvernement a en effet exprimé ses engagements en matière de promotion et de protection des droits des personnes LGBTI mais, comme les gouvernements précédents, nous ne pensons pas qu'ils feront quelque chose de concret pour améliorer la position des LGBTI au Kosovo. »
Une prérogative à l'entrée dans l'UE
Le Kosovo est l’État le plus récent du continent européen. Né de l'éclatement de la Yougoslavie, son indépendance n'a été déclarée qu'en 2008. Potentiel candidat à l'entrée dans l'Union Européenne, le Kosovo est l'objet de rapports du Parlement européen concernant notamment la situation des personnes LGBT. Début 2017, l'institution européenne a voté son rapport annuel concernant le Kosovo. Celui-ci félicite le soutien d'un nombre important de politiques pour les droits LGBT mais réitère son constat de l'année précédente : « La peur reste répandue dans la communauté LGBT ». Ulrike Lunacek, rapporteuse du texte et co-présidente du groupe pour les droits des LGBT au Parlement européen a affirmé : « Il n'y a littéralement aucun moyen de contourner ceci : entrer dans l'Union européenne exige une protection contre les discriminations envers les personnes LGBT, tant en droit qu'en pratique. »
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Couverture et corps d'article : crédit photo Meddy Huduti