C'est une première historique pour les élections législatives pakistanaises, qui se tiendront le 25 juillet prochain. Au total, cinq personnes trans' briguent un fauteuil de député. Parmi elles, Nayyab Ali, rescapée d'une attaque à l'acide. Candidate sans étiquette, celle que la vie à mise à rude épreuve ne perd pas espoir de pouvoir, un jour, servir son pays.
Une loi a tout changé pour Nayyab Ali, le 8 mai 2018. Celle que le Sénat pakistanais a adopté, et que des militant.e.s et des parlementaires portaient depuis plus d'un an. Elle met sur un pied d'égalité les personnes transgenres et les citoyens du Pakistan. Dans un pays aux mœurs conservatrices, l'adoption du « Transgender Persons (Protection of Rights) Act » est une petite révolution. La loi prohibe toute forme de harcèlement ou de discrimination envers les personnes trans', et leur permet d'avoir les mêmes droits que n'importe quel autre citoyen pakistanais, y compris celui de concourir à une élection législative.
Attaquée à l'acide
Nayyab Ali aura traversé des années d'enfer. Abusée sexuellement par des proches, elle se fait chasser par sa famille à 13 ans, après avoir fait son coming-out transgenre. Originaire d'Okara, une ville du nord-est du Pakistan, elle est recueillie par un « gourou », sorte de leader offrant un refuge aux personnes trans' rejetées, qui lui permettra de continuer ses études. Dans une interview donnée à la presse locale, cette diplômée en botanique confie avoir été attaquée à l'acide par son ex petit-ami. Des épreuves effroyables, qui l'ont « plusieurs fois affaiblie » mais qu'elle transformera en « motivation sans faille » pour servir son pays.
Très investie en politique, cette membre de l'antenne locale de la commission électorale du Pakistan, organisation chargée d'organiser les élections, s'est également engagée activement dans le réseau « All Pakistan Transgender Election Network » (réseaux de candidat.e.s transgenres au Pakistan). « Je prend cette campagne comme un challenge, et j'ai déjà commencé ma campagne sur les réseaux sociaux. Je vais me mettre en contact avec mes mentors et ma communauté, pour obtenir leur aide. C'est un véritable défi pour une personne transgenre, de participer à une élection, alors qu'aucune femme n'ose le faire », confie-t-elle au quotidien Pakistanais The Express Tribune.
En campagne
Déterminée, Nayyab Ali n'hésite pas à partager les temps forts de sa campagne sur les réseaux sociaux.
Véritable figure locale, cette militante pour la défense des droits des personnes transgenres au Pakistan a notamment créé une école pour les personnes trans', où elle officie en tant que directrice et professeure. Grâce à son travail social, Nayyab Ali veut croire en sa bonne étoile.
« A l'inverse de mes opposants des partis politiques, je ne suis pas solide financièrement et je ne peux pas acheter de votes. Mais je suis confiante. Mon travail auprès de la société m'aidera à remporter le siège. »
Donner de la visibilité
13 candidat.e.s transgenres étaient initialement dans la course aux législatives. Mais entre le harcèlement public pour empêcher leur candidature et les contraintes financières, elles ne sont plus que cinq. Nadeem Kashish est l'une d'entre elles, candidate dans une circonscription de la capitale, Islamabad. Cette militante pour les droits des personnes trans' et ancienne maquilleuse travaille désormais à la radio, où elle anime une émission sur les problèmes rencontrés par les transgenres au Pakistan.
Cette activiste a conscience que le défi est de taille, puisqu'elle devra battre deux barons de la politique pakistanaise : Shahid Khaqan Abbasi, le Premier ministre sortant, et Imran Khan, le chef de file de l'opposition. Interviewée par la BBC, Nadeem Kashish avoue n'avoir que très peu de chances de l'emporter, mais peu importe. Ce n'est pas la victoire qu'elle vise, mais une meilleure visibilité pour sa communauté :
« Aucun parti politique ne veut travailler sur les droits des personnes trans', nous ne sommes pas dans leur agenda. C'est la raison pour laquelle je me suis lancée dans la course. (...) Il n'y a qu'avec la participation des personnes transgenres à cette élection que le processus démocratique pourra pleinement se faire au Pakistan. »
Les « khwaja siras » ou le troisième sexe
Donner une meilleure visibilité à cette communauté, dans un pays qui est pourtant en avance sur les États-Unis en matière de droits des trans', tout un paradoxe. Historiquement, les personnes transgenres ont toujours eu une position compliquée dans certaines sociétés d'Asie du sud-est et notamment au Pakistan, en Inde ou au Bengladesh. Tour à tour guérisseurs et guérisseuses dotés de pouvoirs mystiques, prêtres et prêtresses lors de cérémonies religieuses, celles et ceux qu'on nomme les « khwaja siras » (pour troisième sexe), sont également perçu.e.s comme des bêtes de foires, qui doivent être mises au ban de la société.
La persécution des « khwaja siras » peut parfois tourner au drame. Le 4 mai dernier une femme trans' a été tuée parce qu'elle ne pouvait pas changer d'argent. En 2016, un hôpital a refusé de soigner une activiste trans' après qu'elle se soit faite tirer dessus, arguant que l'établissement n'acceptait que les personnes de sexe masculin ou féminin. Elle est décédée des suites de ses blessures. Ces deux meurtres ont eu lieu dans une province pakistanaise, qui comptabilise désormais 57 homicides perpétrés sur des personnes transgenres depuis 2015. Ils prouvent qu'en dépit d'une législation désormais protectrice, le Pakistan continue de persécuter cette minorité.
Quant à Nayyab Ali, la candidate craint pour sa sécurité lors de la campagne, et a demandé au gouvernement de lui offrir une protection policière. Elle ira jusqu'au bout, même si cela doit la mettre en danger, car s'investir en politique représente pour elle « le seul moyen pour les personnes transgenres d'obtenir de véritables droits ».
Crédit Photo : compte Facebook de Nayyab Ali.