LGBTQI+"Un demandeur d'asile LGBT n'a pas à prouver son orientation sexuelle", selon le patron de l'Ofpra

Par Youen Tanguy le 27/09/2018
demandeurs d'asile LGBT

On observe depuis quelques années une augmentation des demandes d'asile au motif de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Rien qu'à l'association Ardhis, près de 800 nouveaux demandeurs d'asile LGBT ont été accompagnés en 2017. Comment expliquer une telle augmentation ? Est-il plus difficile d'obtenir l'asile lorsque l'on se dit LGBT ? Comment les officiers de protection chargés de statuer prennent-ils leur décision ? Pascal Brice, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), a accepté de nous répondre en exclusivité.

TÊTU : Connait-on le pourcentage de demandeurs d'asile LGBT ?

Pascal Brice : L’Ofpra ne fait pas de fiches où serait indiquée l’orientation sexuelle des gens. Ce serait contraire à tous les principes de droit et totalement discriminatoire. Ce que nous pouvons vous dire, c’est que ce motif de protection existe en droit, que nous y sommes très attentifs et qu’il est de plus en plus invoqué. Est-ce parce que les persécutions s’amplifient ou parce que l’Ofpra y est plus attentif ? Peut-être les deux. Mais nous n’avons pas d’indications chiffrées et ne souhaitons pas en avoir.

Sait-on d'où viennent majoritairement ces personnes ?

Les persécutions envers les LGBT sont très présentes parmi les demandeurs africains, afghans et proche-orientaux. 

Comment la liste des pays d'origine sûrs (pays considérés comme veillant au respect des principes de liberté, de démocratie et des droits de l'homme, ndlr) est-elle prise en compte dans le travail de l'Ofpra ?

Commençons pas dire que la liste des pays sûrs est rédigée par le Conseil d’administration de l’Ofpra, c'est-à-dire l'Etat, et que je n'ai pas mon mot à dire. Si un demandeur d'asile LGBT est originaire d'un pays dit sûr, sa demande d’asile sera traitée plus rapidement (en procédure accélérée, ndlr). Mais je vous assure que les garanties d’instruction sont les mêmes que pour les procédures normales.

« La protection de personnes LGBT est à la fois une des plus belles choses qui nous soit demandée et l’une des plus impossibles... »

Est-il plus difficile d'obtenir l'asile lorsque l'on se dit LGBT ? Devoir convaincre de son homosexualité n'est-ce pas une charge supplémentaire qui s'ajoute sur les épaules du demandeur d'asile ?

Ça ne doit pas l’être et c’est notre ligne de conduite. J'ai souvent tendance à dire que la protection de personnes parce qu’elles sont homosexuelles, lesbiennes ou transgenres, est à la fois une des plus belles choses qui nous soit demandée et l’une des plus impossibles, car il nous revient d’établir la crédibilité de l’orientation sexuelle de quelqu’un. Et nous ne le faisons que parce que le droit nous l’impose et car c’est fondamental de protéger les personnes persécutées pour ce motif. Mais c'est délicat. L'officier de protection doit faire preuve d'une grande délicatesse pendant l'entretien tout en authentifiant le besoin de protection au regard de la culture de la personne et de son histoire. On ne vit pas et on n'exprime pas son homosexualité de la même manière lorsque l’on vient d’une ville ou d’un village, de France ou du Mali. La responsabilité de l’Ofpra est de sur-investir (moyens humains et financiers, ndlr) sur les questions LGBT. Je le répète : il faut pouvoir établir la crédibilité de l’orientation sexuelle et non pas la prouver.

Pourtant, bon nombre d'associations et de demandeurs d'asile dénoncent le fait qu'il faille bel et bien prouver son orientation sexuelle ou son identité de genre devant l'Ofpra...

Ce n'est pas le cas ! Comment peut-on prouver une homosexualité ? Cela donne lieu aux dérives terrifiantes qui ont pu exister dans d’autres pays européens et qui relèvent de l’indignité absolue. Un demandeur d’asile, quel qu'il soit, n’a rien à prouver. Il a à 'établir', aidé par l’officier de protection, la crédibilité de ses craintes. Mais cela veut dire, clairement, qu’il ne suffit pas de se dire LGBT pour être protégé.

Les associations pointent aussi du doigt la part importante "d'intime conviction" de l'officier de protection pour prendre sa décision ?

Ce que vous appelez l’intime conviction, c'est ce que j’appellerais la suggestivité. Le rôle de l’institution, et le mien plus précisément, c’est à la fois de respecter cette suggestivité qui relève d'une activité humaine, tout en la limitant, en l'encadrant et en l'accompagnant. Comment ? A travers un groupe de référents, composé d’une vingtaine de personnes, qui est là pour aider les collègues dans les instructions individuelles et dans la construction des outils d’appui à l’instruction. Il s’y ajoute que l'officier de protection ne prend pas sa décision en sortant de l’entretien tout seul dans son coin. Il en parle avec ses collègues. C’est un travail collectif. 

On retrouve encore aujourd'hui des questions telles que 'Comment avez-vous pris conscience de votre homosexualité ?'. Est-ce acceptable ?

C’est une question qui ne doit plus être posée. C'est comme si on me demandait à moi comment m’est apparue mon identité sexuelle, quelle qu’elle soit. Ce sont des questions sur lesquelles nous avons travaillé il y a encore quelques mois et sur lesquelles nous continuons de travailler. Mais, vous avez 320 officiers de protection à l'Ofpra, c'est donc un véritable travail d’accompagnement. 

« Chaque officier de protection participe régulièrement à des ateliers et à des formations »

Comment sont formés les officiers de protection à ces questions ?

Depuis la réforme de l'Ofpra en 2013, chaque officier de protection participe régulièrement à des ateliers animés par les référents et à des sessions de formations. Il y a un accompagnement global, mais aussi individualisé sur chaque demande d’asile en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Les officiers de protection ont également à leur disposition les lignes directrices pour les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Un support (d'une quarantaine de pages) qui n’a cessé d’être enrichi et complété depuis quatre ans. Tout ça est un travail évolutif. 

Est-ce que la loi asile et immigration va changer quelque chose pour les demandeurs d’asile LGBT+ ?

Nous sommes très attentifs aux besoins de protection des personnes LGBT, car on touche à l’intime. Avant, pendant et après la loi, c’est ça qui va se poursuivre. La loi ne change pas grand chose de ce point de vue-là. De nouvelles dispositions techniques vont nous permettre de réduire un peu plus les délais de 100 jours aujourd'hui à 60 jours demain. En clair, la loi nous donne les moyens de convier plus vite les demandeurs d’asile à l’Ofpra. Les acteurs de l’asile - administratifs et associatifs - devront aussi être très attentifs à la manière de gérer l’accélération de la procédure d’asile.

Justement, faut-il améliorer le travail avec les associations ?

Ce dont je me suis rendu compte, notamment pendant l’affaire Moussa, c'est qu'autant nous avons un travail fourni avec certaines associations très spécialisées, autant nous avons peu de contacts avec les associations généralistes de défense des personnes LGBTI. Je leur ai proposé une réunion (elle s'est tenue le 12 septembre dernier, ndlr) après m'être rendu compte d’une vraie méconnaissance de ce qu’est le droit d’asile et la mise en oeuvre par l’Ofpra de la protection des demandeurs d‘asile LGBTI.

Vous évoquez l'affaire Moussa (jeune demandeur d'asile gay débouté de sa demande d'asile à deux reprises, ndlr), que s'est-il passé dans ce dossier ?

Je n’ai pas communiqué et ne communiquerai pas sur la situation individuelle de Monsieur Camara car c’est un principe fondamental protecteur pour les personnes. Même si, aux vues du nombre de bêtises que j’ai lu, j’ai eu souvent très envie de m’exprimer... La seule chose que je puisse vous dire, c'est que nous nous sommes entourés à chaque fois de toutes les garanties pour que la demande de ce jeune homme soit examinée avec la plus grande attention. Non seulement lors de sa première demande, qui a conduit à un rejet de l’Ofpra à l’époque, confirmé par la CNDA, mais également lors de son réexamen pour lequel l’instruction a été particulièrement attentive, avec des officiers de protection particulièrement formés en présence de l’association et de l’avocate. L'entretien était très long, très détaillé et très fourni. La seule chose que je puisse vous garantir, c’est que l’Ofpra s’est donné, comme elle le doit à tout demandeur d’asile en l’occurence, les moyens d’une instruction extrêmement minutieuse et très bienveillante. 

« Il ne suffit pas de faire des déclarations dans les journaux pour être homosexuel. »

Certains ont accusé Moussa de mentir sur son orientation sexuelle pour obtenir l'asile. Sur ce sujet, les passeurs jouent-ils un rôle dans l'augmentation des demandes d'asile en raison de l'orientation sexuelle ?

C’est possible, mais nous nous interdisons de rentrer dans ce raisonnement. Sinon, c’est la suspicion générale. S’il y a un message que je peux faire passer aux demandeurs d'asile et de facto à toutes celles et ceux qui les accompagnent, c'est d'être dans la spontanéité de ce qu’il vivent et de ce qu’ils ont vécu dans leur pays d’origine. Ils ont souvent l’impression qu’il faut en faire des tonnes, mais non. D’ailleurs, il suffit que quelqu’un soit homosexuel dans le regard des personnes de son pays d'origine pour qu’il obtienne l’asile. Mais il faut que tout ceci soit crédible. Il ne suffit pas de faire des déclarations dans les journaux pour être homosexuel.

Crédit photo : TÊTU