musiqueJohn Grant : « J’ai rencontré l’un de mes premiers petits amis en thérapie de conversion »

Par Romain Burrel le 23/11/2018
John Grant

Il y a quelques semaines, John Grant publiait son quatrième album solo. Sur « Love is Magic », le crooner américain ouvertement gay, lèche les plaies de sa dernière rupture amoureuse avec un ouragan de synthétiseurs et un humour (noir) fracassant. On y trouve pêle-mêle ballades lacrymales, discos étranges sur les beaux gosses du lycée (« Preppy Boy »), et même quelques diatribes politiques (« Metamorphosis »). Un grand disque pop comme un mode d’emploi pour survivre après l’amour. Rencontre avec le meilleur songwriter de sa génération à l’occasion de son passage au festival Les Inrocks.

Avant d’évoquer ensemble tes nouvelles chansons, est-ce qu’on peut prendre une seconde pour parler sérieusement de cette pochette où l’on te voit poser en slip, la tête dans une cage à oiseau ? Ça va bien ?

(Rires). Oui ça va ! C’était super drôle de faire cette photo. On l’a shootée ici à Paris. Il y a une chanson sur l’album qui s’appelle "The Common Snipe", et cette image, c’est moi essayant d’entrer dans la peau du personnage de ce morceau. Il faut trouver le bon son à tout prix. Même si tu dois te déguiser en oiseau et enfoncer ta tête dans une cage. J’aime les univers étranges. Les gens barrés. J’adore Brigitte Fontaine, par exemple. Je trouve son album "Kekeland" fabuleux !

John Grant : « J’ai rencontré l’un de mes premiers petits amis en thérapie de conversion »
John Grant, plus Titi que Grosminet...

Une nos chansons préférées de l’album s’intitule « Preppy Boy ». Elle s’adresse à qui exactement ?

C’est une chanson qui parle de se branler sur les mecs que tu détestes le plus au monde. (rires) Tu les hais parce qu’ils sont méchants avec toi. C’est un classique, non ? J’ai été dans une école de bourges. Les garçons avaient de très beaux vêtements, il étaient tous super beaux et ils jouaient tous dans l’équipe de Lacrosse… Ils me faisaient vivre un enfer mais je fantasmais à mort sur eux. C’était très troublant.

John Grant : « J’ai rencontré l’un de mes premiers petits amis en thérapie de conversion »

La chanson qui termine l’album, « Touch and Go », est sublime. On dirait les Daft Punk perdus dans le manoir Elton John !

Merci. Gamin, j’adorais son album « Yellow Brick Road ». Et je l’adore toujours ! Le son de ce disque est fabuleux. Et tu as raison, je pense qu’on peut entendre ça dans ma musique. Tu sais, Elton est un ami. J’ai passé beaucoup de temps seul avec lui dans sa loge avant qu’il ne monte sur scène, à parler de tout et de rien. J’ai diné avec son mari David et leurs enfants. On a même pris son hélicoptère pour aller chez lui à Old Windsor. C’était dingue. Il connaît tous les jeunes musiciens !

Tu parles beaucoup de dépression sur ce titre. On a toujours un peu peur pour toi…

Tu ne devrais pas t’inquiéter pour moi. Tu sais, la dépression, c’est une maladie chronique. Comme une maladie de peau… Je ne vais pas me suicider. Je ne vois pas l’intérêt. Cela causerait trop de destruction pour les gens qui m'aiment. J’ai plein de trucs à vivre encore. Mais je pense aussi que c’est important de parler des trucs qui font mal, qu’on souhaite si souvent cacher. J’adore parler à un psy. Un bon psy t’aidera à développer des outils pour faire face tous les jours. Pour ne pas t’isoler. Des outils pour que tu puisses quitter ton appartement et rencontrer des gens. Car lorsque tu commences à éviter les gens, tu glisses dans ce trou sans fin qu’est la dépression et c’est très difficile d’en sortir. Moi, j’ai besoin de ces outils. Et sur ce disque, tu entends des joies extrêmes et la désespérance la plus absolue. Parce que c’est ça la vie, mon pote !

Tes parents étaient très religieux. Et ils t’ont inculqué la haine de l’homosexualité. Tu leur as pardonné ?

(Long silence) Je crois que d’autres ont connu un sort encore pire que le mien. Lorsque leurs parents apprennent qu'ils sont sont gays, il se font frapper et les virer de chez eux. Ça ne m’est pas arrivé. C’était plutôt des abus psychologiques et spirituels. Au final, ça te nique la tête tout autant, mais je sais que mes parents m’aimaient. Ils étaient juste terrifiés pour moi. Ils ne voulaient pas que je sois « cette chose ». Parce qu’ils savaient que ma vie serait difficile pour moi. Ce qui nous amène à cette question débile : « As-tu choisi d’être gay ou es-tu né ainsi ? » C’est une distraction. A cause de cette rhétorique, pendant trop longtemps, les homosexuels ont eu peur d’être eux-mêmes. Si tu fais des erreurs, si t’es alcoolique, les gens te pointe du doigt et te disent: « Ah ! Tu es alcoolique parce que l’homosexualité est contre-nature ! » Mais répondre : « Non, je suis né ainsi », c’est déjà tenter une justification. La seule réponse qui vaille, c’est : « Ta gueule. Ça ne te concerne pas. Point. » On a en permanence l’impression qu’on doit se justifier. Comme lorsque nos relations amoureuses ne fonctionnent pas. Ce qui est mon cas, je n'ai pas encore trouvé une relation qui marche.

John Grant : « J’ai rencontré l’un de mes premiers petits amis en thérapie de conversion »

C’est le sujet de ce disque. La fin de l’amour…

Cet album explique que même si tu échoues dans une relation amoureuse, c’est ok. Tu peux encore aimer. Tu n’as pas besoin de te réfugier dans la dépression, la colère et la rage. J’ai perdu cette relation avec mon copain, une relation qui était très importante pour moi. On a été ensemble pendant 4 ans. Et ça m’a rendu malheureux. Mais j’ai appris tellement de choses depuis la dernière fois que j’ai pu le laisser partir. Je ne vais pas m’effondrer. Je vais continuer à vivre ma vie. Et je ne vais pas non plus commencer à le haïr parce qu'il ne m’aime plus. C’est "ok".

Tu suis le débat sur les "thérapies" de conversion qui a lieu en ce moment aux Etats-Unis…

Je ne sais pas s’il y a un débat. Il y a surtout deux camps diamétralement opposés. Tu sais, j’ai suivi une thérapie de conversation. C’était au début de ma vingtaine. Pour moi, ça me semblait naturel. Personne ne m’a forcé mais j’avais l’impression que je devais le faire. Mes parents me disaient, « on t’aime mais… Essaie de changer. » J’y suis allé deux fois pour une semaine. Et… la deuxième fois… j’y ai rencontré mon petit ami. » (rires) J’avais un coloc qui était très beau. On a couché ensemble dès la première nuit…

Ce mal-être que tu transformes souvent en humour noir dans tes chansons, c’est ce l’une des choses que ton public adore chez toi…

Je le ressens. Et ça me fait du bien. On se sent compris. C’est intense lorsqu’on comprend que quelqu’un nous voit vraiment et nous comprend. Quand on reçoit de la tendresse, de la compassion et qu’on t’aime comme tu es, tu te sens génialement bien. C’est ce qu’on cherche tous dans un partenaire, non ? Quelqu’un qui te voit. Qui sait que t’es plus cinglé qu'un rat d'égout mais qui t’aime quand même. Malgré tes erreurs et ton corps imparfait...

Tu t’en es sorti comment ?

J’ai fait une analyse. Ça fait 14 ans que je suis sobre. C’est difficile parce que l’alcool et la drogue sont des super moyens d’éteindre ton cerveau. Mais je ne veux plus des effets secondaires. En cure de désintox, les psys te disent : « Si vous sentez que vous allez rechuter:  joue-toi le film jusqu’à la fin. » Tu te souviens à quel point c’est génial d’être défoncé, mais si tu déroules le scénario en entier, tu te souviens aussi des moments difficiles : comme le fait que je suis devenu séropositif parce que je baisais sans préservatif quand j’étais saoul. Je me sentais comme une merde et j’avais en permanence des idées suicidaires. Voilà. C’est comme ça que je reste sobre.

Tu as écris une chanson avec les Years & Years. Pourquoi elle n’est pas sur leur album ?

C'est vrai. Mais ils ne l’utilisent pas, apparemment…

Ils nous ont dit qu’ils la sortiraient plus tard, sur un autre support... On te sent déçu qu’elle ne figure pas sur leur disque ?

Je ne sais pas si « déçu » est le bon mot. Un album c'est un domaine très privé. Je n’ai pas le droit d’avoir une opinion sur ce qu’on trouve sur leur disque.  Vraiment. J’ai moi-même écrire une chanson avec quelqu’un et qui ne figure pas sur mon disque. Pourtant, je l’aime toujours et je veux toujours la sortir. Mais parfois ça ne marche pas avec les autres chansons. J'aime beaucoup ces mecs. Olly est un chanteur extraordinaire. Et tellement flamboyant ! A coté de lui, j'ai l'air d'un clodo.

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Elton John, Olly Alexander... C’est important de soutenir les autres musiciens ouvertement gays, comme toi ?

Oui je crois. La communauté gay est souvent trop bitchy. Quand tu vas dans les clubs gays, t’as un peu l’impression de retrouver face à une meute de hyènes prêtes à réduire en pièce le pauvre petit zèbre que tu es (rires). On n’est pas obligé de s’aimer, mais on devrait avoir un peu de compassion les uns pour les autres. Parce qu’on a tous traversé des choses difficiles.

John Grant : « J’ai rencontré l’un de mes premiers petits amis en thérapie de conversion »

Tu parles six langues. Tu vis entre Islande et l’Angleterre. Est-ce que tu t’en sens européen désormais ?

Je me sens encore très américain. Pourtant, je me sens mieux quand je suis hors des Etats-Unis. Un psy dirait sûrement que je fuis la douleur d’avoir grandi dans un environnement hostile aux Etats-Unis, en tant que jeune gay. Et alors ? Qu’importe ce que j’ai pu fuir, ce qui compte, c’est tout ce que j’ai appris en chemin. Et puis, où qu’on aille, on a ses mêmes problèmes avec soi. Je me dis souvent: « Peut-être que je fuis. Mais où que je sois, je me dis que je vais apprendre les mêmes leçons que ‘en plus, je vais apprendre une nouvelle langue... »

"Love is Magic" de John Grant est disponible chez Bella Union / [PIAS].

Crédits photos : Shawn Barckbill, Jonathan De Villiers