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mariageChristophe Beaugrand : « La violence des manifs pour tous m'a donné envie de me marier »

Par Youen Tanguy le 07/02/2019
Christophe Beaugrand

[PREMIUM] Il est l'un des premiers animateurs français à avoir parlé publiquement de son homosexualité. Pour TÊTU, Christophe Beaugrand est longuement revenu sur la médiatisation de son mariage en juillet 2018, son désir de parentalité ou encore la représentation des personnes LGBT+ dans les médias.

Il avance d'un pas pressé, casque de moto sous le bras. "C'est bon, je suis à l'heure", ironise-t-il. Christophe Beaugrand nous a donné rendez-vous au pied de la tour TF1, à Boulogne-Billancourt. L'animateur, habillé pour l'occasion d'un jean bleu et d'une chemise noire, nous conduit jusqu'à une petite salle du 4e étage. L'ambiance est décontractée, en attestent les rires qui ont ponctué toute l'interview et la position assise de l'animateur : en tailleur. La bonne humeur de Christophe Beaugrand ne le quittera jamais pendant l'entretien, même quand il abordera les sujets les plus sombres. Et mieux : c'est contagieux.

TÊTU : Pour Jean-Michel Maire, chroniqueur dans l'émission "Touche pas à mon poste", ça fait « branchouille » de dire qu’on est homosexuel dans le milieu artistique. Qu'en penses-tu ?

Christophe Beaugrand : C’est idiot et irresponsable de dire une chose pareille. A aucun moment être gay n’est une « mode branchée ». C’est une identité. Alors oui, j’ai personnellement la chance d’évoluer dans un milieu assez privilégié. Mais quand on est connu et qu’on assume son homosexualité, on devient une cible privilégiée. Et ce n'est pas « branchouille » de se recevoir des insultes et des tombereaux de merde toute la journée.

 

"Je me souviens qu'on m’avait expressément demandé de ne pas faire de blagues ou d’allusions à mon homosexualité."

 

Comment bien lutter contre les clichés homophobes à la télévision ?

Il faut réfléchir avant de parler, et surtout banaliser l’homosexualité. Par exemple, j’ai fait une vanne dans l'émission "Big Bounce" sur TF1 il y a quelques semaines. Un candidat s’est mis torse-nu et j’ai dit : "C’est très agréable pour toutes les femmes qui nous regardent et certains messieurs aussi". C’est pas grand chose, c’est même un peu lourd (rires). Mais mine de rien, ça contribue à banaliser les choses. 

Est-ce que tu as vécu de l’homophobie au travail après avoir fait ton coming-out ?

Je n’ai jamais eu besoin de faire un coming-out à proprement parler, car j’ai commencé ma carrière sur Pink TV (une chaîne de télévision gay, ndlr). Je n'ai jamais vraiment vécu d'homophobie au travail à part à Canal+, où il régnait une ambiance qui n’était pas très ‘gay-friendly’. Je me souviens qu'on m’avait expressément demandé de ne pas faire de blagues ou d’allusions à mon homosexualité, arguant que j’allais passer pour la 'folle' ou 'l’homo de service'. Mais en fait c’était l’inverse, ça me contraignait.

 

"On voulait faire tomber un certain nombre de clichés."

 

En juillet dernier, tu as médiatisé ton mariage en publiant les photos dans "Voici". Pourquoi avoir décidé de rendre public un moment aussi intime ?

Plusieurs journaux nous ont proposé d'en parler quand ils ont appris que Ghislain et moi allions nous marier. On a refusé au début, avant de finalement accepter. On voulait tous les deux faire tomber un certain nombre de clichés et montrer qu’un mariage entre deux hommes n’est pas différent de n’importe quel autre mariage. Montrer que le vieux tonton homophobe est venu quand même, qu’il s’est éclaté et qu’il a vu beaucoup d’amour. Lorsque tu as une certaine notoriété, je trouve que tu as un devoir vis-à-vis de la société. Il se trouve que, moi, je me bats contre l’homophobie depuis très longtemps.

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Comment la publication des images de la cérémonie et l'article et ont été accueillis par tes proches et tes fans ?

Plusieurs personnes ont quand même été surpris que je publie des photos de mon mariage. Elle me disaient : « vous ne devriez pas le faire » ; « vous allez vous faire insulter ou agresser… ». C’est fou quand même ! On ne m’aurait jamais dit ça si je m’étais marié avec une femme. Mais les retours ont été globalement très positifs.

Christophe Beaugrand : « La violence des manifs pour tous m'a donné envie de me marier »
Crédit photo : Marwann Moussa.

En parlant d’insultes justement, tu subis régulièrement de grosses vagues de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux… Comment le vis-tu ?

Ça a vraiment commencé au moment des premiers débats sur le mariage pour tous. J’avais signé une pétition en faveur de la loi Taubira et j’ai été repéré par des réseaux extrémistes catholiques. Depuis, ils s’en donnent à coeur joie et ils sont très très violents. C’est terrible mais on s’habitue. On bloque les comptes, on signale les messages… J’ai porté plainte une fois contre un site à l’étranger qui me présentait comme « la fiotte sidaïque ». Ça n’a jamais abouti.

Tu évoques les débats sur le mariage pour tous. Comment as-tu vécu les manifestations il y a six ans ?

Ça a été d’une violence extrême. J’ai pleuré devant les chaînes de télévision en voyant les manifs pour tous. J’avais l’impression qu’on me foutait des baffes. Ghislain me disait souvent que je prenais les choses trop à coeur. Mais ces débats m’ont profondément blessé. Je pense aussi qu'ils ont fait un mal fou à la jeunesse et aux gamins qui se découvraient homos (il réfléchit). Paradoxalement, la violence des débats m’a vraiment donné envie de me marier. Ce droit acquis d’une lutte si âpre et violente, il fallait s’en servir. C’était presque un acte politique.

Tu as ressenti ça pendant ton mariage ?

Je me souviens avoir été bouleversé au moment où on nous a donné le livret de famille. Là on se dit : "Ça y est ! Même si certains ne le voulaient pas, on fait partie de la société française".

 

"On pousse les hommes gays à avoir recours à la GPA pour fonder une famille"

 

Avec le débat parlementaire sur la PMA pour toutes qui approche enfin, ne crains-tu pas un retour des débats haineux ?

C’est déjà le cas je crois (il fronce les sourcils). Mais je pense que c'est plutôt sain d'avoir un débat plus long, où toutes les voix ont le sentiment d'être écoutées. Ça devrait permettre d’avoir un texte plus apaisé et on ne pourra pas dire qu’on a passé la loi en force, sans écouter les opposants. Mais honnêtement, je pense surtout qu’on assiste aux derniers soubresauts d’une espèce de France rétrograde, moribonde, coincée. Une France intolérante, enfermée dans un carcan religieux et qui cherche à repousser l’autre à l’extérieur.

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Tu as récemment parlé dans la presse de ton désir de ton paternité. Pourquoi ?

On m’a posé la question et je ne sais pas mentir (rires). J’ai toujours eu envie d’être papa. J’adore les enfants et je me suis beaucoup occupé de mes neveux et nièces. C’est quelque chose qui me tient à coeur depuis des années. Il fallait surtout que que je rencontre la bonne personne (rires). Maintenant qu’on est mariés, on va voir. Mais ça fait clairement partie de nos projets et de nos envies.

Envisagez-vous, comme l’ont fait Marc-Olivier Fogiel ou Alex Goude, d’avoir recours à une gestation pour autrui (GPA) ?

Tel que le système existe aujourd’hui, on pousse les hommes gays à avoir recours à la GPA pour fonder une famille. Car il est quasi-impossible pour les couples homosexuels d’adopter. C’est une vaste hypocrisie. Après, ça pose tout un tas questions. Les GPA ne sont pas éthiques dans tous les pays. Il y a beaucoup de choses à penser et à réfléchir. Mais contrairement à ce qu’on peut lire de gerbant sur les réseaux sociaux parfois, il ne s’agit pas ‘d’acheter un enfant comme au supermarché’. Si c’était ça, ça se saurait. Ce sont des démarches très longues qui impliquent des entretiens avec des médecins, des psychologues, des avocats. Il y a un un tas d’étapes très compliquées.

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Christophe Beaugrand : « La violence des manifs pour tous m'a donné envie de me marier »
Crédit photo : Marwann Moussa.

Comment réagis-tu lorsque tu entends Laurent Wauquiez comparer la PMA et la GPA à l’eugénisme et au nazisme ?

Laurent Wauquiez a dit des choses totalement irrespectueuses vis-à-vis des familles homoparentales. Mais, surtout des choses complètement fausses ! Quand il affirme que l’on peut choisir la taille, la couleur des yeux et des cheveux des enfants, c’est n’importe quoi. On peut choisir la couleur des yeux de la personne qui donne ses ovocytes, mais pas ceux de l’enfant. Cet homme est irresponsable. Je ne comprends pas non plus son choix d’investir quelqu’un comme François-Xavier Bellamy, anti-IVG, en tête de liste pour les européennes. Il cherche à niveler le débat par le bas avec des choix totalement réactionnaires.

 

"Ma vie peut avoir une valeur d’exemple."

 

Et que penser de la députée LREM Agnès Thill, pour qui le « principe de précaution » devrait s'appliquer à la PMA pour toutes « tant qu’on n’est pas sûrs que naître sans père est mieux pour l’enfant » ?

J’ai beaucoup d’exemples autour de moi d’enfants très équilibrés élevés par deux mamans ou deux papas. J’irais même plus loin en disant que ce sont des enfants beaucoup plus à même d’accepter la différence et de s’adapter dans un monde qui évolue. Et ça a été tellement compliqué d'avoir ces enfants que, généralement, ils sont encore plus aimés que les autres. Ce qui est sûr, c’est qu’ils n’arrivent pas par accident.

Agnès Thill est une femme qui met en avant sa foi catholique avant son mandat de députée. C’est son choix, mais je pense que ça ne correspond pas aux valeurs du parti auquel elle appartient.

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Ton discours porte beaucoup chez les jeunes LGBT+. As-tu le sentiment d’avoir un devoir d’exemplarité ?

Je reçois beaucoup de messages et je sais qu’aux yeux de quelques jeunes, ma vie peut avoir une valeur d’exemple. Le simple fait de montrer que l’on peut se marier, être heureux, avoir une vie normale, un boulot et être épanoui, c'est important. Aujourd’hui, une homosexualité mal acceptée reste la première cause de tentative de suicide chez les jeunes.

Je reçois régulièrement des messages d’adolescents ou de parents qui me disent que je les ai aidés. Une maman, Denise, m’envoie régulièrement des messages pour me parler de son fils, dont elle a eu du mal à accepter l’homosexualité au début. Dans ces moments-là, on se sent un peu utile et on se dit que le petit temps de notoriété qu’on a sur cette planète sert à quelque chose. Et pas seulement à présenter des émissions rigolotes de divertissement.

Crédit photos : Marwann Moussa.