Rares dans les séries, les personnages bisexuels sont (en plus) souvent mal représentés. Entre clichés et homophobie, quels sont les poncifs dont les scénaristes feraient mieux de se débarrasser une bonne fois pour toutes ?
Mais où sont les bisexuels dans les séries ? Alors que les personnages lesbiens et gays sont de plus en plus présents, les bis manquent toujours à l'appel. Cette invisibilisation est une histoire de "méconnaissance" pour Hélène Breda, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 13. "C'est simplement le reflet de la société actuelle. Beaucoup de gens ne croient pas à la bisexualité." Et quand on voit la manière dont les bisexuels sont représentés dans les séries, ça ne risque pas de changer tout de suite.
La bisexualité est une phase d'exploration
Premier cliché concernant la bisexualité : c'est un "truc à tenter une fois dans sa vie". "Beaucoup de séries présentent la bisexualité comme une phase d'exploration" selon Hélène Breda. En effet, dans la catégorie "la bisexualité ça va cinq minutes" : on peut citer la série Newport Beach. Dans la saison 2, Alex, bisexuelle, séduit Marissa. Mais elle quitte Orange County et Marissa retourne bien gentiment à son hétérosexualité. Son attirance pour les femmes n'est plus jamais abordée par la suite. Sa bisexualité momentanée n'a pas vraiment plu aux producteurs de la série qui y ont mis le holà.
Même cas de figure du côté british dans la série Mistresses. Jessica doit organiser le mariage d'Alex, mais les deux femmes entament une relation. Alex fini par se marier et les deux femmes se séparent. Surprise, surprise (non) : au début de la saison 2 on retrouve Jessica mariée à un homme. Sans un seul commentaire sur sa bisexualité.
Alors, certes, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Aucune orientation sexuelle n'est gravée dans le marbre. Mais la bisexualité est si peu représentée qu'il serait peut-être judicieux d'orienter les intrigues autour des questionnements des personnages ou de les faire revendiquer plus souvent cet aspect de leur sexualité.
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Une étape avant d'assumer son homosexualité
"Les bisexuels se mentent à eux-mêmes" chantait Phoebe dans Friends. Exemple parfait d'un des écueils dans lequel les séries ne cessent de tomber. Dans les séries, la bisexualité est une lubie. Un sas de décompression : on y entre hétéro et on en ressort homo. Willow, dans la série Buffy, en est un bon exemple pour Hélène Breda : "Elle ne se dit jamais bi. Au départ elle sort avec Oz, un garçon. Mais se dit gay quand elle rencontre Tara. Tout cela participe à l'invisibilisation des bies." Les personnages sont hétéros et passent par une phase trouble avant de se reconnaitre homos.
Finalement, certains personnages de série ont aussi été collés un peu vite dans la case "homos". Pour Hélène Breda, c'est le cas d'un des personnages de la série Friends. "Carol, l'ex-femme de Ross a beaucoup fait pour la visibilité lesbienne à l'époque. Mais si on regarde bien, elle est bi." Mariée à Ross pendant des années elle le quitte pour une femme avant le début de la série.
Mais plusieurs blagues ont attiré l'attention de certains fans. Notamment ce flash-back. Ross rentre de l'université pour Thanksgiving et parle de sa nouvelle petite amie, Carol. "Elle joue dans l'équipe de crosse et dans l'équipe de golf. Vous arrivez à le croire ? Elle joue pour les deux équipes."
https://www.youtube.com/watch?v=PO_wmgu7OqM
Un atout commercial
"L'orientation sexuelle devient vite un accessoire narratif quand il s'agit d'un personnage LGBT+" explique Hélène Breda. Coming out tragique, personnage queer qui meurt brutalement... Les héros bisexuels n'échappent pas aux clichés qui s'abattent sur les gays et les lesbiennes.
"La série 'The 100', a été accusée de queerbating par ses fans. Elle a utilisé la relation de Clarke (bisexuelle) et Lexa (lesbienne) pour attirer les spectateurs LGBT+. Sauf que Lexa est tuée violemment très peu de temps après le début de leur idylle." Les fans n'ont pas apprécié l'entourloupe. D'autant plus que beaucoup d'amateurs de séries se plaignent du phénomène "bury your gays", littéralement "enterre tes gays". Un trope récurent dans les séries qui consiste à faire mourir prématurément un personnage LGBT+ pour donner un nouveau rebondissement au scénario.
Autre exemple : la série Desperate Housewives. Au milieu des mères au foyer complètement barges de Wisteria Lane et entre deux cakes aux olives et un crash d'avion, les scénaristes se sont dit que la série manquait d'un personnage bisexuel.
C'est ainsi que Katherine rencontre Robin, ancienne strip-teaseuse qui vit chez Susan. Les deux femmes vivent une parfaite idylle. À tel point qu'elle s'envolent pour Paris main dans la main. C'est là que les choses se gâtent du côté des scénaristes. À son retour, Katherine apprend à ses amies qu'elle a "décidé qu'elle n'était plus intéressée par les femmes". Normal. Tout le monde sait que l'orientation sexuelle est un choix.
La bisexualité comme accessoire narratif
La bisexualité est également utilisée comme un ressort narratif pour montrer deux facettes d'un personnage. " Pour souligner les moments de transgression." selon Hélène Breda. "Au début de la série Orange is The New Black, le personnage de Piper, est fiancée à un homme. Elle vit une vie proprette et bien rangée. Les moments où elle est avec des femmes correspondent à ses moments de "rébellion"." Sa première expérience avec une femme la mène d'ailleurs à vivre une vie de criminelle. Ce sont les effets de cette relation qui vont la mener en prison.
Dans la série Killing Eve, le personnage de Villanelle est une immense psychopathe. Et sa bisexualité ne vient que renforcer son côté dérangé. Pour Hélène Breda, "il y a également une certaine forme de pathologisation de la bisexualité. Cette sexualité renverrait à une forme d’instabilité." Tout ce qui ne cocherait pas la case hétérosexualité ou homosexualité serait un révélateur de déséquilibre mental.
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Et les hommes bis dans tout ça ?
Si dans les séries, les femmes bisexuelles sont rares, les hommes bis se comptent sur les doigts d'une main. Et leur présentation est souvent bourrée de clichés. En première place, la figure de "l'homo refoulé". Celui qui a des aventures cachées avec des hommes puis retourne auprès de sa femme et de ses enfants. Sur la seconde marche du podium du cliché simpliste : le "coming-out tardif". Sol et Robert dans la série Grace and Frankie sont de bons exemples. Les deux hommes ont passé toute leur vie avec leur femme avant de leur révéler qu'ils entretiennent une relation extra-conjugale ensemble depuis des années. Un des deux a même à nouveau une aventure avec son ex-femme à un moment de la série. Pourtant, aucun n'est présenté comme bisexuel.
Alors, pourquoi les femmes sont-elles beaucoup plus présentes que les hommes ? Pour Hélène Breda, c'est parce que "deux femmes ensemble sont considérées comme un objet de désir pour le fantasme masculin. Alors qu’un homme bisexuel fait écho à des peurs masculines de perte de virilité". Dans une série, on est soit hétéro, soit on est homo. Tout trouble dans l’orientation sexuelle d'un personnage est effrayante "Les hommes qui couchent avec des femmes doivent, dans la représentation sociale des choses, avoir un côté viril. Ce qu’il sont supposés perdre en couchant aussi avec des hommes. » regrette la chercheuse. On peut toutefois donner un bon point au personnage d'Oberyn dans Game of Thrones, qui ne tombe dans aucun de ces clichés, bien que les autres personnages le considèrent déviant.
Un peu d'espoir
Une meilleure représentation est pourtant possible. La série Crazy Ex-Girlfriend met par exemple en avant le personnage de Darryl, ouvertement bi. Il entend d'ailleurs démystifier la bisexualité, notamment à travers une chanson qui résume très bien les problèmes de représentation qui pèsent sur les bis.
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Autre personnage bi qui devrait faire figure d'exemple : Rosa Diaz dans Brooklyn Nine-Nine. Fait rare dans une séries, le personnage fait son coming-out. "Elle prononce les mots "je suis bi" et son coming-out se passe bien. C'est très important." explique Hélène Breda.
Pour la chercheuse, l'espoir est permis. "Les mentalités évoluent. Et la fiction va dans ce sens aussi. Elle peut aussi participer à faire accepter la bisexualité par tous. On peut espérer que les choses vont changer. Mais le problème est loin d’être résolu".
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