[PREMIUM] Pour faire des rencontres gays en Guadeloupe, les choix sont relativement limités et de nombreux hommes se retrouvent sur les plages. Alors l'association Aides organise ses actions de sensibilisation directement sur la petite crique de Tarare, à Saint-François. Reportage.
Allongé sur le sable, un homme au crâne dégarni se lève tranquillement. Il renfile son slip de bain jaune fluo, rechausse ses tongs bleues, attrape sa serviette de plage et s'enfonce dans les sous-bois. Sur le chemin rocheux il croise plusieurs hommes, dont certains se masturbent, s'interrompt souvent, discute parfois, mais continue son chemin. Il finit par s'arrêter à côté d'un petit buisson aux baies rouges, dont il ne sortira qu'une dizaine de minutes plus tard, avant de regagner le sable blanc.
Car si la petite plage nudiste de Tarare, en Guadeloupe, offre à ses visiteurs un point de vue imprenable sur les lagons d'eau bleu turquoise et les paysages verdoyants de la Guadeloupe, elle est aussi (et surtout) un lieu de drague et d'exhibitionnisme bien connu des locaux.
"L'après-midi, c'est plutôt pour les nudistes et les couples hétéros, nous confie Pascal, jeune homme aux cheveux bruns, accoudé sur sa serviette. Mais plus tard, vers 17-18h, la communauté LGBT vient prendre un petit bain et chercher des partenaires dans les sous-bois". Un point de rencontres important sur cette petite île française de de 400.000 habitants où l'on ne trouve ni bar, ni discothèque gay.
Aujourd'hui, comme tous les mois depuis 2014, une équipe de bénévoles de l'association de lutte contre le VIH/Sida Aides est venue faire une action de sensibilisation. Ce lundi, l'ambiance est plutôt calme : un couple de retraités lit un livre sous un palmier, deux amis se baignent plus loin et un jeune homme fait ses mots croisés. "C'est tranquille aujourd'hui, nous explique Myrela, une des militantes. C'est blindé de monde quand on vient le dimanche. Avec beaucoup d'homos."
Par groupe de deux ou trois, ils slaloment entre les parasols jaunes, verts et bleus de la petite crique et s'arrêtent à chaque serviette. L'occasion de discuter autour d'une boisson fraîche. "C'est un moment d'échange avant tout où l'on peut discuter avec les personnes dans un autre contexte, nous explique un des bénévoles. Ensuite, on leur remet de la documentation, des préservatifs, un feuillet qui reprend les outils de prévention et de la documentation sur la PrEP". Ceux qui le souhaitent peuvent aussi faire un auto-test VIH dans le camion installé sur le parking, à quelques centaines de mètres.
"Un moment d'échange avant tout"
Comme nous vous l'indiquions dans un article du mois de juin, la Guadeloupe est la deuxième région de France la plus touchée par l’épidémie de VIH. Ainsi, rapporté à la population, le nombre de découvertes de séropositivité était de 607 par million d’habitants en Guyane, de 238 en Guadeloupe et de 206 en Île-de-France. Des chiffres inquiétants qui expliquent la présence de Aides sur les plages.
Le responsable de la branche régionale de l'association, Jean-Claude Maced, nous propose une petite balade pour prendre de la hauteur. Des vêtements et des préservatifs usagés jonchent le chemin. "Vous avez pas de capotes aujourd'hui ?", lui demande un peu plus loin un homme assis sur un tronc de raisinier. "Si si, mais il faut que tu viennes sur la plage pour les récupérer." Après avoir grimpé cent mètres de dénivelé, on atteint finalement un point de vue magnifique sur l'île où a été installé une grande table de lecture. "Elle n'a jamais servi, explique Jean-Caude. Aujourd'hui elle est utilisée par les couples pour des partouzes".
Des contaminations au VIH en baisse
Retour sur la plage. À l'heure où le soleil commence à se coucher, les retraités qui restaient sur la plage ont été remplacés par quatre ou cinq hommes âgés d'une trentaine d'années. "Ils attendent que la nuit tombe pour s'enfoncer dans les sous-bois", nous glisse un des bénévoles dans un petit clin d'oeil. "Ça fait très longtemps que je viens ici, nous confie l'un d'entre eux, habillé d'un polo noir et de chaussures roses à paillettes. D'ailleurs, j'ai eu ma première expérience gay ici, à Tarare."
Eux ont fini d'interroger les visiteurs et c'est Myrela qui est chargée de consigner toutes leurs réponses dans un tableau. "Certains mecs ne connaissaient pas du tout la PrEP, nous explique-t-elle. C'est un bon moyen de les informer et de leur permettre de prendre en main leur santé sexuelle." Et à en croire les chiffres, ça fonctionne.
Depuis trois ans, on constate une baisse nette des nouveaux cas de personnes contaminées au VIH sur ce territoire d’Outre-mer (70 en 2018, contre 120 en 2016) et de plus en plus de personnes sont sous PrEP.
Il est 18h15 quand les militants retournent sur le parking, à côté du camion de l'association. Mais la journée est loin d'être finie. Ils doivent maintenant partir en maraude de nuit. Le but : donner des capotes aux mecs qui pourraient s'y trouver. Et pour y voir quelque chose dans la forêt, ils ont habillé un des bénévoles d'un k-way fluorescent rempli de guirlandes de noël.
Après une dizaine de minutes de marche (et quelques frayeurs en marchant sur des branches cassées), la petite équipe décide de retourner au camion. Ils ont fait chou blanc cette fois. Pourtant, un militant l'assure, "d'habitude c'est rempli de monde".
Crédit photos : Youen TANGUY.