GuadeloupeEn Guadeloupe, la longue lutte contre le VIH commence à porter ses fruits

Par Youen Tanguy le 13/05/2019
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Les territoires ultra-marins sont les premiers concernés par l'épidémie de VIH en France, notamment la Guadeloupe. Isabelle Lamaury, infectiologue à l’hôpital de Pointe-à-Pitre, a analysé la situation pour TÊTU.

La Guadeloupe est la deuxième région de France les plus touchée par l'épidémie de VIH. Ainsi, rapporté à la population, le nombre de découvertes de séropositivité était de 607 par million d’habitants en Guyane, de 238 en Guadeloupe et de 206 en Île-de-France. Mais depuis trois ans, on constate une baisse nette des nouveaux cas de personnes contaminées au VIH sur ce territoire d'Outre-mer (70 en 2018, contre 120 en 2016). 

Comment expliquer de tels chiffres ? En quoi l'épidémie diffère-t-elle en Guadeloupe par rapport à la métropole ? A l'occasion d'une conférence organisée par Aides le 4 avril dernier, TÊTU a interviewé Isabelle Lamaury, infectiologue à l’hôpital de Pointe-à-Pitre et présidente du COREVIH (Coordination régionale de la lutte contre l’infection due au VIH).

TÊTU : En quoi l'épidémie est-elle différente en Guadeloupe par rapport à la métropole ?

Isabelle Lamaury : La transmission hétérosexuelle est prédominante dans la région (environ 80% des cas), même si l'on sait qu'il y a une sous-estimation de la transmission chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) à cause de l'homophobie persistante aux Antilles. Sur les 1.300 hommes que l'on suit, un quart dit avoir déjà eu des rapports homosexuels ou bisexuels. Mais si on ne s’intéresse qu’aux nouvelles personnes diagnostiquées en 2016-2017 (40 hommes et 30 femmes), la moitié des hommes dit avoir des rapports avec d'autres hommes. S'il est évident qu’il y a ici une homophobie et une sérophobie encore plus importantes qu’en métropole, les choses évoluent et les nouveaux patients ont moins de difficultés à parler librement.

La Guadeloupe présente un taux très élevé de dépistage à un stade avancé. Comment expliquer ces chiffres ?

Il est vrai que, jusqu’en 2015, on avait un chiffre de dépistage à un stade avancé de 15 points plus élevé que la métropole. Mais depuis 2016-2017, l'écart tend à se resserrer. On a considérablement amélioré le recours au dépistage ces dernières années, notamment dans les laboratoires. Aujourd'hui, nous sommes la région de France qui dépiste le plus avec la Guyane.

"Si un Guadeloupéen est séropositif, on imaginera souvent qu'il a eu des rapports avec des hommes."

Comment améliorer l'offre de dépistage en Outre-mer justement ?

Plusieurs choses. Il faudrait proposer systématiquement un dépistage à l'occasion des bilans sanguins ou d'une hospitalisation. Je le fais déjà avec mes patients et ça ne choque personne. Les médecins pensent souvent - à tort - que proposer un dépistage reviendrait à porter un jugement de valeur. Mais s’ils franchissaient le pas, ils auraient en face d’eux quelqu’un de tout à fait compréhensif à qui on pourrait expliquer pourquoi c’est important de le faire de temps en temps, même si l'on est dans une relation monogame depuis 30 ans.

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Outre la réticence des médecins, reste-t-il de nombreux patients ne souhaitent pas forcément se faire dépister ?

Tout à fait. Si je propose un dépistage à mon patient, ça sous-entend qu’il ou elle trompe son mari ou sa femme. C’est un problème. De plus, le fait d'être séropositif est toujours accompagné de beaucoup de préjugés tels que : "Si t’as attrapé le VIH, c’est que tu as fait quelque chose qui n’allait pas". Autre cliché : si un homme est séropositif en Guadeloupe, on imaginera souvent qu'il a eu des rapports avec des hommes. C'est difficile à assumer dans une société encore homophobe.

"La PrEP représente un outil majeur dans lutte contre le VIH."

L'un des outils novateurs dans la lutte contre l'épidémie de VIH est la PrEP, ou prophylaxie pré-exposition. Est-ce proposé (et utilisé) en Guadeloupe ?

La PrEP représente un outil majeur dans lutte contre le VIH. Sur les trois territoires (Guadeloupe, St-Martin, St-Barth), on compte aujourd'hui, en avril 2019, une vingtaine de 'prepeurs'. C'est peu, mais nous ne sommes pas à Paris ou dans une grande métropole.

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Pourquoi y'a-t-il si peu de personnes sous PrEP ?

Ici, la seule association de lutte contre le VIH est Aides et leur local est situé à Basse-Terre, le territoire le plus rural de la Guadeloupe. On travaille de concert avec eux depuis quelques années, mais il est difficile d'apporter l'information au public concerné, car il n'existe pas de lieux fermés - comme des bars ou des centre de santé communautaires - où l'on peut retrouver les homosexuels. Aides va faire des actions sensibilisation sur des plages ou dans des soirées privées, mais ça n'est pas suffisant pour informer tout le monde.

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Globalement, les choses s'améliorent donc ? 

J’ai l’impression que des choses s’améliorent, oui. Mais il reste beaucoup de travail à faire avec des contraintes et freins différents par rapport à la métropole. On veut surtout lutter contre cette espèce de fausse représentation selon laquelle le VIH/Sida ne concernerait que les étrangers et les homosexuels.

J'ai vécu des années difficiles quand je suis arrivée en Guadeloupe en tant qu'interne, pendant les années Sida. Aujourd'hui, ça me met en colère de voir quelqu’un mourir du Sida quand on aurait pu le prendre en charge.

Crédit photo : Francois-Xavier PEROVAL/Aides.