Marche des fiertésSortir dans l’espace public : la longue marche vers la fierté

Par têtu· le 28/06/2019
Marche

De la première marche, en 1970 à New York, à nos jours, Charitini Karakostaki, sociologue, experte associée à la Fondation Jean-Jaurès, revient sur 50 ans de manifs, de gay prides et de Marches des Fiertés.

Cette année, les manifestations de la communauté LGBT fêterons le 50e anniversaire des émeutes de Stonewall Inn, partout dans le monde. Bien que cette émeute ne soit pas la 1ère dans l’histoire des luttes homosexuelles, elle fut la première à marquer une vague de protestation, déclenchant la première manifestation homosexuelle à New York, le 28 juin 1970. Les communautés LGBT des grandes villes européennes se donnent alors pour objectif de suivre le mouvement.

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En 1971, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) propose la tenue d’une marche dans Paris. Mais jusqu’en 1973 aucune marche n’est organisée, les militants homosexuels défilant avec les manifestants du 1er Mai, profitant de la couverture médiatique. Le 25 juin 1977, 400 personnes manifestent dans les rues de Paris, s’inscrivant dans la lignée du militantisme homosexuel des années 1970.

L’aménagement d’un espace politique spécifiquement homosexuel : les années 1970

L’histoire du mouvement homosexuel en France s’inscrit dans le mouvement de libération qui se développent en Occident à partir des années 1960, avec une différence : celui-ci n’est ni homogène ni unidimensionnel. Tout au long de la décennie 1970, le mouvement homosexuel se constitue de façon autonome, bien qu’il soit en relation avec les mouvements féministes et d’extrême gauche, comme le montre la création en 1971 du FHAR. L’organisation d’une manifestation homosexuelle à Paris est un grand défi puisque l’homosexualité n’est toujours pas légale. Mais en 1977, la campagne homophobe de la chanteuse américaine Anita Bryant qui avait comme slogan « Protégeons nos enfants contre l’homosexualité » fut l’élément déclencheur du premier rassemblement français.

En 1979 émerge le CURAH (Comité d’urgence anti-répression homosexuelle), ce groupe et le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) organisent la manifestation du 4 avril 1981, juste avant l’élection présidentielle, qui a rassemblé 10 000 personnes, et qui est considérée aujourd’hui comme la première manifestation homosexuelle, avant la marche de 1977. Sous la présidence de Mitterrand, est voté la circulaire Defferre, limitant le fichage homosexuel. La brigade homosexuelle de la Préfecture de Police est dissoute. La France ne reconnaît plus la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) selon laquelle l’homosexualité est une maladie mentale. Sous le septennat de Mitterrand donc, une nouvelle ère commence pour la communauté homosexuelle mais aussi pour la société dans son ensemble.

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Les années sida et la restructuration du territoire homosexuel : la parade au second plan

La légalisation de l’homosexualité et la Gay Pride de 1982 qui rassemble 8 000 personnes, semblent augurer la possibilité d’une nouvelle vie pour la communauté. Cependant, le début de l’année 1982 est marqué par l’affaiblissement des groupes homosexuels « politiques », notamment par l’abrogation de la différence d’âge de la majorité sexuelle entre hétérosexuels et homosexuels. Or, cette période de liberté vient se heurter à la propagation du virus du sida. Les pouvoirs publics échouent à réagir rapidement aux défis de la maladie. Par la dépolitisation des mouvements homosexuels et la lente réaction des pouvoirs publics face à la réalité du virus, la première association contre le sida, « vaincre le sida » (VLS), est fondée en 1983, en 1984 apparaît Aides, et en 1985 Arcat-Sida. La parade coutumière se déroule chaque année en juin lors de la décennie de 1980 et compte désormais tous les groupes actifs contre l’homophobie et le sida.

Malgré cela, la participation ne dépasse jamais 5 000 personnes et la méfiance s’accélère au sein de la société française face à la liaison faite entre l’homosexualité et l’épidémie. En 1989, l’association Act-Up fait son apparition à Paris, dans l’objectif de relier la lutte contre le sida et la question homosexuelle. L’association organise un die-in lors de la Gay Pride de 1989. Les pouvoirs publics débloquent alors des financements et mettent en place des campagnes de prévention contre le sida, offrant à la communauté homosexuelle une visibilité jusqu’alors inédite, l’État traitant pour la première fois les homosexuels comme des citoyens à part entière.

L’esprit associatif des années 1990 : la parade malgré les différences

A partir de 1990, le mouvement homosexuel connaît une phase de spécialisation des associations. Le fossé se creuse entre les homosexuels masculins et les lesbiennes, la lutte pour la liberté censée être commune, mettant l’identité gay plus en avant que les autres. La Gay Pride devient la Gay and Lesbian Pride en 1991 et la Lesbian and Gay Pride en 1995. A partir de 1993, la parade de juin connaît une nouvelle influence avec 10 000 participants. Ce qui coïncide avec la quête de visibilité et d’ouverture de nouvelles discussions sur les droits, les libertés individuelles et les discriminations auxquelles les masses citoyennes plus larges s’identifient. L’édition de 1997 de Paris qui était nommée ville organisatrice de l’Europride est un exemple caractéristique.

Dynamique unificatrice de la parade au niveau européen : rivalités politiques et identitaires à l’occasion de l’Europride de 1997

Teddy Whitherington propose la création d’une édition européenne de la parade de juin commémorant les émeutes de Stonewall dans l’une des capitales ayant une communauté homosexuelle active. Paris est choisie pour la sixième Europride. Au Centre gay et lesbienne de Paris émerge l’association « Bi-cause », dans le but d’affirmer spécifiquement l’identité bisexuelle. L’atmosphère des Gay Pride reste festive, par l’augmentation de la prise en charge des malades du sida et par l’adoption en 1996 par le Parlement européen d’une résolution mettant fin aux discriminations contre les homosexuels. Les Gay Pride sont également de plus en plus suivies par le milieu politique, la ministre de l’Aménagement du territoire et le Président de l’Assemblée nationale participant pour la première fois à la marche.

Visibilité (de la) « politique » dans les parades de 2000 et 2001 : le passage à l’institutionnalisation

Le Pacs entré en vigueur en 1999, représente une avancée importante. La Lesbian and Gay Pride devient un terrain de conquête politique en 2000 et pour les municipales de 2001, comme l’a montré Philippe Séguin (RPR) en y étant représenté. Le Parti socialiste et les Jeunes socialistes y eurent même leur propre char. En 2001, le maire de Paris, Bertrand Delanoë participe à la parade, une première institutionnelle. Ce changement s’accompagne d’une ouverture des thèmes de célébration à ceux qui ne s’identifient pas aux catégories gay et lesbienne, à savoir, les hétérosexuels, notamment sur les questions touchant aux « nouvelles formes familiales ».

Vers le mouvement inter-associatif LGBT : La naissance de la Marche des fiertés

Au début des années 2000 apparaît une nouvelle configuration inter-associative sous la formule de LGBT, respectant l’exigence primordiale de l’affirmation identitaire des différents acteurs, tout en trouvant des convergences dans la lutte commune pour l’égalité. La parade de juin constitue un point de convergence absolue. Réunies dans le collectif Lesbian & Gay Pride Île-de-France, les associations nationales et régionales LGBT signent en mai 2000 un nouveau Livre blanc prenant en considération l’histoire du mouvement et agissant à titre de charte opératoire pour l’avenir.

La Marche de juin se présente ainsi comme un événement de grande ampleur capable d’accorder une visibilité aux causes spécifiques, difficilement obtenues autrement, et elle doit être préservée et organisée sans faille. En 2001, suite à la déposition d’une marque commerciale sur le nom de la parade par SOGIFED, celle-ci prend le nom de « Marche des Fiertés », montrant d’autant plus sa lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité du genre et sa promotion des droits humains et des libertés fondamentales. 

 

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