LGBTphobieJoël Deumier : "Pourquoi je quitte la co-présidence de SOS Homophobie"

Par Youen Tanguy le 03/07/2019
Joël Deumier

Après deux ans et demi à la tête de SOS Homophobie, Joël Deumier a décidé de se retirer de ses fonctions. Il explique pourquoi à TÊTU.

TÊTU : Vous quittez vos fonctions à SOS Homophobie après deux ans et demi de présidence. Quand avez-vous pris cette décision et comment est-elle motivée ?

Joël Deumier : J’ai décidé de quitter la coprésidence il y a environ trois semaines parce que le temps était venu de passer la main à quelqu’un d’autre qui donnera un souffle nouveau. Dans toute fonction, il vaut savoir laisser sa place avec humilité pour que des combats nouveaux, de nouvelles luttes soient menés.

Est-ce que c’était devenu trop difficile de concilier votre travail de juriste et votre poste de co-président ?

Je l’ai toujours fait pendant deux ans et demi avec énergie et désir. Mais vous savez, je ne suis pas le seul à devoir concilier mon engagement associatif et ma profession. C’est ce que font tous les bénévoles de l’association. Dans la mesure où SOS homophobie est l’une des plus anciennes associations LGBT et qu’elle est une référence, nous sommes constamment sollicités. Tous les bénévoles sont mobilisés quotidiennement sur leur temps libre. On est aussi l’un des principaux interlocuteurs des pouvoirs publics sur le sujet et sur l’ensemble du territoire national.

 

"Je suis militant et je sais que je ne pourrais pas rester très longtemps inactif "

Est-ce que vous avez parfois eu le sentiment d’être en « burn-out militant » ?

Je consacrais depuis 2017 la quasi-totalité de mon temps libre au travail associatif. Il a pu m’arriver d’être fatigué après une journée où il fallait aller sur France Inter à 6h20, enchaîner avec une réunion associative, se rendre au travail - et gérer les sollicitations tout au long de la journée -, déjeuner avec la presse, reprendre le travail, refaire une réunion, gérer des conflits internes et terminer avec une interview sur France Info à 22h. Mais, la fierté d’avoir été au service de la lutte contre l’homophobie et la transphobie, au service de la conquête des droits et libertés des personnes LGBT l’emporte bien sûr sur toute forme de fatigue. Aussi, j’étais entouré d’une équipe extraordinaire au sein du Bureau national, que je remercie. Désormais, je vais pouvoir prendre plus de temps pour moi… (il réfléchit quelques secondes) Mais je suis militant et je sais que je ne pourrais pas rester très longtemps inactif (rires).

La co-présidence (4 mois) a-t-elle été un problème dans la prise de décision et la répartition des tâches ?

Pas du tout, car je m’entends très bien avec la coprésidente que je remercie pour sa confiance, sa militance et sa fidélité. Je dirais même qu’un effet de cliquet positif a été franchi et il sera difficile de revenir à la vice-présidence. Cela oblige à décider à deux, entre une femme et un homme, et contribue à ce que les prises de décision soient plus inclusives. Véronique, par exemple, est très attachée aux enjeux de visibilité des lesbiennes, des trans’ et des intersexes.

 

"Il faut autant parler des gays, que des lesbiennes, des bis, des trans’ ou des intersexes."

Pourquoi partir seulement quelques mois avant le débat autour de la PMA pour toutes, sujet important et attendu depuis des années par les lesbiennes ? 

J’aurais aimé vivre les débats sur la loi bioéthique en tant que président, mais ça fait deux ans que l’on conduit un travail important sur la PMA. On a préparé le débat, pris la parole, sensibilisé les parlementaires et les pouvoirs publics et réalisé le film « Bon parent ». Il faut rappeler qu’être un bon parent, c’est la capacité de transmettre de l’amour, des repères, une éducation et c’est indépendant du genre ou de l’orientation sexuelle !

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Quand je suis arrivé à SOS homophobie en 2017, mon premier objectif en ce qui concerne l’égalité des droits était de m’assurer qu’on ne revivrait pas le déferlement de haine de 2013 lors du mariage pour tous. Il fallait impérativement accompagner le débat et ne pas perdre la bataille de l’opinion. Nous verrons si c’est réussi, mais pour l’instant on constate que la société est prête et les études d’opinion sont de plus en plus favorables.

Qu’est-ce que vous retenez de ces deux ans et demi passés à la présidence de SOS homophobie ?

Je retiens que SOS homophobie a beaucoup grandi. Je retiens qu’en tant que militant nous pouvons parfois nous indigner et qu’il est important de savoir transformer nos colères en action, afin de changer les choses concrètement en lien avec les pouvoirs publics. Je retiens aussi l’importance d’être inclusif. Dans l’imaginaire collectif, quand on parle des homos, on pense tout de suite aux hommes gays et on oublie la diversité des personnes LGBT. Il faut autant parler des gays, que des lesbiennes, des bis, des trans’ ou des intersexes. Notre devoir est de parvenir à donner toutes les visibilités nécessaires à celles et ceux qui sont invisibilisés. Leurs droits et leurs libertés exigent l’attention de toutes et tous.

 

"L’important est d’agir. Et d’agir collectivement."

Est-ce que vous avez des regrets ?

J’aurais aimé qu’on aille encore plus vite. Que les lois se fassent plus vite et que la PMA soit adoptée plus tôt. Qu’un plan pour la santé des lesbiennes soit adopté. Qu’il soit mis fin aux mutilations des enfants intersexes. Mais nous avons essayé de tout mette en œuvre pour faire au mieux chaque fois : contacter les politiques et les parlementaires, élaborer une stratégie politique et militante, faire passer des messages… etc. Après, j’ai probablement commis des erreurs. Mais des regrets (il réfléchit) Non, je ne suis pas trop du style à regretter. L’important est d’agir. Et d’agir collectivement.

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Qu’est-ce que vous comptez faire aujourd’hui ? Est-ce que vous allez garder un pied dans l’association ?

Je vais me consacrer à mon travail tout en restant membre de SOS homophobie. En revanche, je ne resterai pas membre du conseil d’administration pour laisser toute la liberté d’action à mes successeurs. Je leur fais toute confiance pour mener les combats et les luttes que nous devons mener. C’est une magnifique association et j’ai tissé des liens d’amitié et d’affection impérissables avec les bénévoles.

Le mot de la fin ?

Je voudrais rendre hommage aux bénévoles de SOS homophobie qui font des actions de prévention partout en France, militent sur les stands dans des festivals ou des événements. Je voudrais rendre hommage à leur travail, leur implication et leur militantisme.