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pornoChez les couples de même sexe aussi, la violence conjugale existe

Par Youen Tanguy le 12/07/2019
Violences conjugales

Vendredi 12 juillet, deux députés LREM ont demandé à Marlène Schiappa d’inclure les LGBT+ dans son plan contre les violences conjugales. Car si les femmes hétérosexuelles en sont les premières victimes, les personnes LGBT+ ne sont pas épargnée. Enquête.

Cette enquête a d'abord été publié dans le numéro 218 de TÊTU, paru au printemps dernier 

"Tout était prétexte à me frapper. Une serviette mal rangée ou une paire de chaussures laissée dans l’entrée. Il a commencé par des gifles et des coups de poing, se souvient Christian. Il est vite passé aux étranglements et aux viols. J’ai su qu’il fallait que je me sauve quand il m’a balancé à travers une porte. Si je n’étais pas parti, aujourd’hui je serais mort.” Après deux mois de violences psychologiques, physiques et sexuelles infligées par son compagnon de l’époque, le calvaire de Christian a continué au commissariat, où des policiers ont refusé de prendre sa plainte en lui riant au nez. Il a alors découvert qu’il n’existait aucune structure d’accueil pour les hommes battus et s’est pratiquement retrouvé à la rue.

15% des gays et lesbiennes victimes de violences conjugales

Le sentiment d’abandon est trop souvent le lot des personnes LGBT+ victimes de violences conjugales, comme le montrent les témoignages que nous avons recueillis (à retrouver à la fin de l’enquête). “La lutte contre ces violences s’est construite à partir du cadre « femme agressée-homme agresseur », analysent pour nous les sociologues Tania Lejbowicz et Mathieu Trachman. Il y a sans doute une difficulté à penser ce type de violences au sein des couples de même sexe.” En France, entre 2010 et 2015, les femmes représentent 74 % des victimes de violences conjugales, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Et si les études sur le sujet sont légion outre-Atlantique, presque aucun.e chercheur.se n’a traité de la question dans l'Hexagone. Dès 2004, une étude du gouvernement canadien révélait que 15 % des gays et des lesbiennes avaient déjà été victimes de violences conjugales, contre 7 % des hétérosexuels.

Un sujet peu étudié

Pour Mathieu Trachman – l’un des rares chercheurs français à s’être intéressé aux violences conjugales au sein des couples d’hommes –, l’explication est d’abord historique : “Les universitaires qui travaillent sur les homosexualités en France se sont concentrés sur les questions d’homophobie. Les violences entre personnes de même sexe n’ont pas encore été traitées.”

Le président de SOS homophobie, Joël Deumier, partage ce constat. “On ne les traite pas, car ce ne sont pas des violences liées à l’orientation sexuelle, reconnaît-il. Il y a une vraie faiblesse des associations françaises et des pouvoirs publics sur ce sujet.”

Mais l’explication est aussi statistique (et politique). Selon Mathieu Trachman, pour avoir des données sur les couples de même sexe, on peut soit extraire les chiffres des enquêtes quantitatives auprès de la population générale, soit les chercher après des structures d’accueil. Dans les deux cas, les couples de même sexe sont sous-représentés. “Les femmes hétérosexuelles victimes de violences conjugales sont, à raison, au centre de l’attention des sciences sociales et des politiques publiques”, constate le sociologue.

“Pour les policiers, c'était juste une bagarre entre deux mecs”

À cause de ce manque de données, le phénomène est très difficile à quantifier. En 2016, le ministère de l’Intérieur avait décompté 167 décès dans le cadre de violences conjugales, dont trois hommes homosexuels (sur 34 victimes masculines). D’autres chiffres nous viennent de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). En 2017, l’association avait comptabilisé 13 983 appels sur sa ligne d’écoute destinée aux femmes battues, le 3919. Seuls 119 provenaient de femmes lesbiennes et 72 d’hommes gays, ces derniers étant moins enclins à rechercher de l'aide extérieure. Par ailleurs, ceux qui contactent la ligne d’écoute ne sont que 39 % à avoir sollicité des professionnels de police, de justice, de services sociaux ou de santé. Un chiffre qui grimpe à 52 % concernant les hommes hétéros.

Il est en effet rare que les personnes LGBT+, surtout les hommes, parlent autour d’eux des violences qu’ils subissent. La faute, d’abord, à une absence totale d’informations sur le sujet. Si l’on tape “violences conjugales gay” ou “violences conjugales LGBT” dans un moteur de recherche, on ne trouve que de vieux articles de presse, des numéros d’écoute sur messagerie, des associations fermées...

Après avoir été frappé par son compagnon, Fabrice* savait qu’il avait besoin d’aide. Mais il n’a trouvé aucune structure pour le soutenir. “Je me suis senti abandonné, confie-t-il. J’avais le sentiment qu’on me disait que ce j’avais vécu n’était pas grave. Pire, que ça n’existait pas.”

Mépris et moqueries

Les violences subies par les hommes au sein de leur couple (homo ou hétéro) suscitent du mépris, des moqueries ou du désin- térêt. Sur les 80 000 hommes victimes chaque année de violences conjugales, seuls 5 % portent plainte contre 14 % des 223 000 femmes concernées. “On dénie totalement la place de l’homme victime, analyse Catherine Ménabé, maitresse de conférence à l’université de Lorraine et auteure d’une thèse sur la criminalité féminine. Comme si parler des hommes battus allait automatiquement remettre en cause la légitimité de la question des violences faites aux femmes.”

Si les hommes n’osent pas porter plainte, c’est parce que “le statut de victime de violences conjugales est traditionnellement attribué à la femme, précise-t-elle. Qu’on le veuille ou non, l’homme en prend un coup à sa virilité. Et s’il franchit le cap de cette autocensure pour se rendre dans un commissariat, par exemple, sa parole n’est pas forcément comprise et prise en compte par les services de police.”

C’est ce qu’a ressenti Fabrice au moment de raconter son histoire aux policiers. “Je ne les ai pas sentis dans la même approche que si j’avais été une femme victime d’un homme. Pas du tout. En gros, ils m’ont dit : « Vous êtes deux grands gaillards. Vous êtes capable de vous défendre et de régler vos affaires. » Pour eux, c’était juste une bagarre d’égo entre deux mecs, bagarre que j’avais perdue, se souvient-il. Et puis, quand on est un homme gay frappé, on doit faire deux coming out : celui d’un homme battu et celui d’un homosexuel.” Il a renoncé à porter plainte.

“Il y a un problème de traitement, de recueil des plaintes et de formation de la police”, concède aisément Joël Deumier, qui souhaite que les formations des policiers référents “lutte contre la haine anti-LGBT” se concentrent aussi sur les violences conjugales.

Les femmes lesbiennes ne sont évidemment pas épargnées par ces violences et les stéréotypes qui les accompagnent. “J’ai raconté au policier ce qui m’était arrivé et ça l’a fait marrer, confie Dao. Il m’a dit que c’était simplement du « crêpage de chignons entre filles ». J’ai l’impression d’avoir été punie deux fois : ma meuf m’a démontée et la police m’a achevée.”

Les services de police n’ont pas mieux accueilli Mathilde. “Après m’être fait violée par ma compagne, j’ai contacté le 17, se remémore cette étudiante âgée de 20 ans. Les policiers ne m’ont pas du tout prise au sérieux. Ils m’ont clairement demandé comment une femme pouvait en violer une autre.” Mathilde se sent abandonnée par la police et cherche du soutien sur internet. Mais ça n’est pas mieux, au contraire. “Quand on tape « viol couple lesbien » sur Google, on ne tombe que sur du porno, déplore-t-elle. Autant vous dire que j’ai arrêté toute recherche.”

Aucune association

Une autre difficulté revient souvent dans la bouche des hommes battus, surtout des plus précaires : l’absence de structures d’hébergement uniquement masculines. C’est d’ailleurs l’une des demandes de Raphaël Gérard.

Christian, qui était SDF au moment où il a rencontré son ex-compagnon, a bien failli se retrouver à la rue après s’être enfui. “Je n’avais nulle part où aller, se souvient-t-il. J’ai été contraint d’appeler ma famille alors qu’on ne se parlait plus depuis des années.”

Il n’y a pas non plus d’associations dédiées à la lutte contre les violences dans les couples LGBT+. Il existait bien, il y a quelques années, Air Libre pour les lesbiennes ou Agir, qui avait lancé le dispositif “Brisons le tabou”, mais toutes deux sont aujourd’hui inactives, sans qu’on en connaisse la cause. Contactées par TÊTU, aucune des deux associations n’était joignable ou n’a souhaité répondre à nos sollicitations.

Même constat du côté des lignes d’écoute. La plus connue, le 3919, est uniquement à destination des femmes et les écoutantes ne sont pas formées aux questions LGBT+. Françoise Brié, la directrice générale de la FNSF, en charge de cette ligne, assure pourtant que “les hommes sont écoutés comme toutes les victimes qui téléphonent, avec les mêmes problématiques et en respectant leur besoin de s’exprimer.”

Où trouver de l'aide ?

Pour en avoir le cœur net, on a composé le 3919 un mercredi soir. Une femme décroche au bout de trois minutes. On se présente en tant qu’homme et on lui dit qu’on a besoin de parler. Elle nous répond, d’une voix monocorde : “Vous appelez pour quoi exactement ?”

On lui explique alors être victime de violences conjugales de la part de notre compagnon. “On est spécialisés effectivement pour les femmes victimes de violences conjugales. (Silence.) Mais vous recherchez quoi exactement... je sais pas... comme aide ou comme écoute?”. On précise avoir cherché de l’aide pour les hommes ou les personnes LGBT+, sans rien trouver. Elle répond par un nouveau silence. Lorsqu’on l’informe avoir subi des violences physiques, elle nous indique que ce sont “des infractions pénales”, sans trop d’empathie.

L’écoutante au bout du fil nous oriente finalement vers le réseau France Victimes et une association locale parisienne. Si les conseils sont excellents, ils n’effacent pas les cinq minutes de conversation où elle ne nous a pas demandé une seule fois si on allait bien. Nous n’avons pas eu le sentiment d’avoir été “écoutés dans des conditions optimales”, comme le promettait le répondeur automatique au début de l’appel. Quand un premier contact se déroule dans de pareilles conditions, les victimes n’ont-elles pas tendance à se murer dans le silence ?

Un partenariat avec SOS Homophobie

Par la suite, nous avons tout de même souhaité vérifier si, comme nous l’avait dit l’écoutante, la fédération France Victimes était plus à même d’accueillir la parole des personnes LGBT+. Sa porte-parole, Olivia Mons, assure que c’est le cas. Selon elle, il est “très important que les femmes puissent avoir un accès privilégié via le 3919, mais il ne faut pas laisser d’autres personnes sur le bord de la route. C’est terrible de se dire que quelqu’un peut en venir à baisser les bras parce qu’il n’a pas trouvé l’information.”

Mais les opérateurs de la ligne d’écoute sont-ils seulement formés aux questions LGBT+? “Abolir tous les préjugés liés au genre, à l’orientation sexuelle, à l’ethnie, à la culture, ça fait partie de notre quotidien”, assure-t-elle, avant de reconnaître qu’une “formation plus précise sur les personnes trans’ et les changements de sexe” serait la bienvenue.

Comment faire avancer les choses? Si Olivia Mons ne se dit pas favorable à la “dé- multiplication des services”, la porte-parole propose tout de même un projet concret : un partenariat entre SOS homophobie et France Victimes. “Ce serait cohérent et intéressant, juge-t-elle. Ça permettrait dans un premier temps de créer un lien de confiance entre la victime et une personne spécialiste des questions LGBT+ avant de la rediriger vers nos services.” Il ne reste plus aux pouvoirs publics qu’à établir, eux aussi, un lien de confiance.

Crédit photo : Shutterstock.