Il y a quelques jours Rayan, un jeune algérien homosexuel de 19 ans, a lancé une campagne de crowdfunding pour quitter son pays. Un pays où il subit quotidiennement des agressions. Il raconte à TÊTU.
"J'étais avec pote à la plage. Il porte les cheveux longs. On nageait, et un peu plus loin, un petit groupe faisait du bateau. Ils ont commencé à nous traiter de "pédés", à nous cracher dessus. Ils s'approchaient de plus en plus, j'ai cru qu'ils allaient nous foncer dessus. J'ai eu peur pour nos vies. Pour moi, c'était l'agression de trop. Je ne peux plus imaginer rester ici."
Il y a quelques jours, Rayan a donc lancé une cagnotte sur GoFundMe pour récolter des fonds pour quitter l'Algérie, et "commencer un nouveau chapitre" de sa vie, dans lequel "la sécurité n'est plus un problème". L'étudiant vient d'obtenir sa licence 1 de Commerce, et devrait entamer la seconde l'année prochaine, dans l'université privée où il est scolarisé. "Je ne pouvais pas envisager d'aller à la fac publique. Dans les facs privées, les gens sont un peu plus ouverts d'esprit."
"J'ai appris à me masculiniser"
Sa scolarité, il l'a passée à vivre quotidiennement les insultes, le harcèlement, et jusqu'à la violence physique. "Les ennuis ont commencé vers 13 ans, quand j'étais au collège. On m'insultait tous les jours, parfois devant les professeurs, qui ne disaient rien. Il leur arrivait même de rigoler avec les élèves qui m'injuriaient", nous raconte-t-il. Sa voix est grave, très "masculine". Le jeune homme affiche tous les codes de la masculinité : corps sculpté, 1m85, barbe fournie. Quand on lui fait remarquer que pourtant, il semble correspondre aux stéréotypes de la virilité, il acquiesce : "Mais au collège j'étais plus efféminé. J'ai appris à me masculiniser, comme un réflexe défensif. Je n'ose même pas imaginer où je serais si j'avais exprimé davantage cette partie de moi."
Pourtant, ça ne change pas vraiment son quotidien. "Le harcèlement, c'est tous les jours. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où j'ai eu une journée sans le moindre commentaire." Aujourd'hui, il va à la fac "en espérant que rien ne se passe" sur son chemin. A part ça, il sort peu de chez lui. Et jamais seul. "Il n'y a pas si longtemps, ma mère marchait devant moi dans la rue, en plein centre ville et en pleine journée. Un type s'est soudainement approché de moi, m'a mis quelque chose sous le menton et m'a dit 's'il n'y avait pas eu autant de monde, je t'aurais tué'. Ma mère n'a rien calculé, et je n'ai jamais osé lui dire ce qu'il m'était arrivé."
"Ici les marques d'affection sont illégales"
Sa mère sait qu'il est homosexuel depuis qu'il a 16 ans. Il lui a dit, assez vite même. "Elle me mettait beaucoup la pression par rapport aux filles, à comment je m'habillais, avec qui je traînais. Un jour j'ai craqué, je lui ai dit." Et heureusement pour lui, ça a été moins dur que ce qu'il avait imaginé. "J'ai de la chance, elle n'est pas hyper religieuse, comme d'autres peuvent l'être en Algérie. Au début bien sûr, elle n'a pas compris. Et puis une fois qu'elle a intégré que ça ne changerait pas, elle a commencé à l'accepter." Aujourd'hui, elle sait qu'il veut quitter le pays. "Elle comprend. Ici, les marques d'affection, même entre personnes hétérosexuelles, sont illégales. Alors imaginez pour les homos." En effet, en Algérie, les relations homosexuelles sont passibles d'une peine de prison.
L'article 333 et 338 de la loi algérienne indique en effet que : « tout coupable d’un acte d’homosexualité est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 à 2 000 dinars. Si l’un des auteurs est mineur de dix-huit ans, la peine à l’égard du majeur peut être élevée jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 10 000 DA d’amende. »
Il reconnaît pourtant qu'il a de la chance. "Ma mère sait et le tolère, j'ai des amis qui l'acceptent aussi. Je sais que pour d'autres, le simple fait d'avoir un ami LGBT pourrait leur valoir d'être virés de chez eux." Malgré son entourage, son avenir en Algérie ne correspond en rien à ce qu'il attend de la vie. "J'aimerais bien me marier et avoir des enfants. Mais ici, je sais que c'est impossible."
Physiquement en Algérie, virtuellement en Europe
Car les jeunes LGBT algériens, et à fortiori francophone comme Rayan voient chaque jour sur les réseaux sociaux qu'en Europe ou aux Etats-Unis, les couples de même sexe peuvent s'aimer, se marier et même parfois avoir des enfants. Et même simplement vivre leur homosexualité au grand jour, comme lui le fait déjà sur les réseaux sociaux. "Virtuellement, je vis déjà un peu en Europe", avoue Rayan. Sur son compte Instagram, on peut le voir poser avec une casquette en cuir ou du maquillage.
Son compte est public, tout comme son profil Twitter, où il partage son quotidien, et "insulte les racistes" quand il n'en peut plus - ce qui lui a valu récemment une suspension de la part du réseau social. "Sur Twitter, c'est là que j'ai rencontré pour la première fois des gens qui vivaient leur homosexualité au grand jour, raconte-t-il. Je crois que ça m'a aidé à m'accepter. Je crois sincèrement que c'est grâce à Twitter que j'ai fait mon coming-out."
Sauf que pour des européens, afficher son homosexualité sur Internet est plus évident que pour Rayan. "Un jour, quelqu'un m'a envoyé un message avec mon adresse, en me disant 'je sais que tu habites ici'." Comme une menace. "Mais le plus souvent, les gens me disent que je ne mérite pas d'être Algérien", continue celui qui affiche aussi le drapeau de son pays dans sa bio, plus ouvertement que son orientation sexuelle.
Rester seul ou se cacher
Et quand on lui demande s'il a déjà eu des histoires d'amour, il répond d'emblée :"Je préfère ne pas chercher de mec si c'est pour me cacher. Le jour où je serai amoureux, je veux pouvoir tenir la main de mon mec dans la rue. Mais ici, c'est presque du suicide." Du coup, il scrolle les applications, faisant défiler les profils vides. "Les seuls qui mettent des photos, ce sont les touristes. Avec les Algériens, il faut négocier pendant des heures."
Et encore, une fois la négociation terminée, on ne sait pas sur quoi on peut tomber. Il se souvient de ce fait divers sordide. Un jeune étudiant en médecine s'était fait trancher la gorge en février dernier, avant que les agresseurs n'écrivent "il est gay" avec son sang sur le mur de sa chambre d'étudiant. Il se souvient que les médias, tout comme le gouvernement, ont tenté de minimiser le caractère homophobe du meurtre. Certaines personnes, sans la moindre honte, disaient même qu'il l'avait "mérité". "J'avais l'impression d'être le seul à considérer ça comme un grave crime de haine. Ça m'a profondément choqué."
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Des perspectives limitées
Mais en Algérie, il n'y a pas que Rayan qui rêve de partir. Ni même que les LGBT. "C'est juste un niveau de plus d'oppression", explique le jeune homme. Avec un taux de chômage chez les jeunes qui avoisine les 27%, les perspectives sont limitées pour tout le monde. Au point que de plus en plus de jeune algériens font appel à des passeurs pour traverser la Méditerranée. "Quand on était gamins, on pensait que la vie normale c'était ici, et qu'en Europe c'était le luxe. Maintenant, je sais que la vie normale, elle est là-bas."
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