[PREMIUM] "Life is Strange" demeure l'un des premiers jeux à succès à intégrer des personnages principaux LGBT+ dans ses arcs narratifs. En attendant la sortie du dernier épisode de la deuxième saison, TÊTU a rencontré Michel Koch, Raoul Barbet et Jean Luc Cano, l'équipe de production du jeu.
Ambiance feutrée, rythmes lancinants et dialogues intimistes, "Life is Strange" n'a rien des gros blockbusters du jeu-vidéo. Pourtant, c'est bien à plusieurs millions de copies que le jeu s'est vendu depuis la sortie de sa première saison en 2015. Ce jeu a également reçu de très nombreux prix comme le prestigieux BAFTA Games Award de la meilleure histoire ou encore le Global Game Awards du meilleur jeu original.
Mieux encore, "Life is Strange" des studios parisiens DontNod, a toujours mis à l'honneur des personnages queer. Lors de la saison 1, le personnage principal de Max Caulfield fut saluée par la critique comme étant une adolescente se découvrant le pouvoir de remonter et manipuler le temps, et son amie d'enfance Chloé Price, unies pour le meilleur comme pour le pire.
Depuis le 27 septembre 2018, la seconde saison de "Life is Strange" est accessible aux joueurs, toujours sous cette même forme épisodique. Une saison toujours aussi queer. Le prochain et dernier épisode sortira le 3 décembre. En attendant, TÊTU a fait le point avec les créateurs du jeu, Raoul Barbet et Michel Koch et le scénariste de cette deuxième saison, Jean-Luc Kano.
TÊTU : Après l’énorme succès de Life is St
range, comment avez-vous conçu la seconde saison ? Quels ont été les principaux moteurs de réflexions ?
Jean Luc : “Life is strange” a été créé pour être un jeu unique. Au vu du succès de la première saison, notre éditeur, Square Enix, nous en a proposé une seconde. Avec Michel et Raoul, on a beaucoup discuté tous les trois sur ce qu’était l’ADN de "Life is Strange" pas en tant que jeu mais en tant que série. Et du coup on a réalisé que “Life is Strange” parlait surtout de personnages auxquels on peut facilement s’identifier - des personnages contemporains, mais aussi de faits de société qu’on voulait aborder et dont il nous a semblé important de parler, le tout avec une pincée de surnaturel. Pour cette saison 2 on a imaginé une histoire qui pouvait contenir ces 3 piliers dans l’objectif de se renouveler et de ne pas proposer la même expérience de jeu et les mêmes thèmes que la saison 1.
Vous avez instauré une romance gay dans l’épisode 3. Est-ce un moyen de conserver un lien avec la communauté LGBT ?
Raoul : On se dit pas ‘tiens on va mettre un personnage pour avoir telle situation ou telle romance’. Nous voulions simplement raconter la fuite de Sean et son frère, leurs expériences sur la route et leurs rencontres avec différents personnages avec le plus de réalisme possible. Et parmi ces personnages le joueur peut amener Sean vers Cassidy (personnage féminin), vers Finn ou vers personne.
Michel : C’était intéressant pour nous de jouer sur ce que ça faisait de découvrir d’autres modes de pensée auxquels on avait pas réfléchi auparavant. Ce sont des questions que se posent les jeunes :”qui suis-je ?”, “qui est-ce que je pensais être ?” Et on a voulu laisser le choix au joueur de se les poser aussi, car cela nous semble important.
C'était une volonté dès le départ d'avoir des personnages LGBT+ dans le jeu ?
Michel : On ne commence jamais un projet en se disant qu’il fallait absolument intégrer telle ou telle notion ou élément narratif. On veut représenter la société le plus réellement possible. Avec ses nombreux individus et ses modes de pensée mais sans pour autant chercher à être inclusifs à tout prix. On le fait car ce sont des thèmes très importants mais qui arrivent dans un second temps après l’histoire et les personnages.
Raoul : Dans la première saison, le personnage de Max est venu naturellement dans l'histoire. C'était logique d'un point de vue scénaristique, et le joueur pouvait choisir d'aller plus loin avec Chloé... ou non.
Comment a été reçue l’idée de créer un personnage LGBT par les équipes ? Par les producteurs ? A quels problèmes avez vous pu être confrontés ?
Michel : On a eu la chance, sur les deux saisons, d’avoir beaucoup de liberté dans l’écriture des personnages. Après, bien sûr, il y a des questions qui se posent, sur des choix marketing ou sur la réception du jeu, dans son ensemble. On se demande toujours, par exemple : "le thème va t-il parler aux gens ? Est-ce qu’il n’est pas trop sensible ? N’est-ce pas risqué pour la réception commerciale ensuite ?" Mais on est vraiment très contents d’avoir pu aussi expliquer nos idées et nos intentions, et on est fiers du travail mené avec notre éditeur.
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La communauté gaming peut parfois être assez fermée d’esprit. Avez vous eu peur que le jeu ne trouve pas son public ?
Raoul : C’est évident qu’il y a certains joueurs aux idées contraires à celles qu’on aborde, et qui détestent le jeu. Si on perd des joueurs pour des raisons qui nous paraissent justes et positives, tant pis !
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Est-ce que les jeux d’aventures narratives sont plus favorables pour mettre en valeur des personnages LGBT ?
Raoul : On ne s’est pas dit, au début, qu’on allait faire un jeu d’aventure narrative parce que ça allait nous permettre d’introduire ces modèles là. Mais ces questions peuvent être traitées par plein d’autres types de jeux. Evidemment, le public de certains jeux (jeu de tir à la première personne, par exemple) seront moins réceptifs à thèmes là. Dans notre cas, on écrit des personnages réalistes dans une société contemporaine donc ce sont des questions dont on parle de manière naturelle, peu importe le style du jeu.
Il est rare de voir des personnages LGBT+ de premier plan. Ils sont présents mais jamais vraiment dans l’intrigue principale. Quelle est votre vision là-dessus ?
Michel : L’impression que j’ai sur les jeux de Bioware (Mass Effect, Dragon Age, ndlr) c’est que les romances sont souvent des histoires parallèles à l’histoire principale. C’est quelque chose de très bien mais ça reste des éléments secondaires. Un jeu comme le nôtre est tout simplement porté par les relations et les histoires entre les personnages. Le coeur du jeu c’est vraiment la narration et les personnages qui donnent l’impression aux joueurs que les relations sont bien plus importantes car elles permettent de faire avancer l’histoire.
Que pensez-vous de la représentation de l’homosexualité dans les jeux-vidéo, aujourd’hui ?
Jean-Luc : Il y a encore du travail ! Mais il y a quand même plus d’ouverture d’esprit. Les jeux en parlent ou n’hésitent pas à mettre en scène des personnages LGBT+. Maintenant, je pense que ça deviendra la norme le jour où on arrêtera de parler de jeux qui mettent en scène des personnes LGBT+, comme étant des “jeux exceptionnels”. Lorsque ça deviendra “normal” de ne plus définir un personnage par son orientation sexuelle, je pense qu’on aura fait un bon pas en avant.
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Crédit photo : studio Dontnod